Comme l’imprévu fait toujours l’histoire, il en fut sans doute ainsi pour aâmi Salah Benlamri qui n’est autre que notre cher Salah Aârav (l’arabe) que chacun des Ath Yenni reconnaissait certes à sa petite moustache Charlie Chaplin, mais bien davantage à son appréciable bonhomie, à son chaleureux sourire et bien entendu à son amaigrissement apparent qui ne pouvait pourtant pas dissimuler son incroyable robustesse.
Salah aârav , comme on l’a, à juste titre, surnommé en raison de ses origines arabophones, est arrivé durant cette période des années 1966 dans ce grand village d’Ath Yenni pour gagner sa vie à la sueur de son front, et il n’a depuis songé à abandonner cette magnifique population qui l’a merveilleusement adopté. On apprend même que sa venue en Kabylie remonte à plus tôt à savoir en 1958, l’année de sa tendre jeunesse. De nombreux témoignages attestent que notre courageux bonhomme a bien été d’abord présent à Mechtras et puis à Larbaa nath Ouacifs avant d’atterrir, comme ce hasard qui s’aventure, dans le village des ciseleurs d’argent.
Il croyait certainement, comme tous ceux qui allaient gagner durement leur croute loin de chez eux, faire un petit pécule et repartir aussitôt chez lui pour permettre une vie plus digne à sa très pauvre famille qui escomptait, au plus vite son retour à Sidi Hadjres, son douar natal situé non loin de la ville de Sidi Aissa.
On comprend bien que Salah aârav était si loin d’imaginer qu’il avait mis les pieds sur ces terres des Igawawen pour n’effectuer qu’un ultime retour dans sa terre d’origine. Il avait cette fois-là, à son âge très avancé, retrouvé ses proches parmi lesquels il a hélas vécu les derniers jours de son existence. Combien il devait être heureux d’avoir eu le temps de dire à tous au revoir avant de rendre son âme de brave. En ce triste jour du 9 janvier 2006, les Ath Yenni ont chaudement pleuré un des leurs, et nombreux Iyaniwen ont fait le déplacement pour accompagner plutôt Dda Salah à sa dernière demeure. Il repose depuis en paix dans le village de ses ancêtres.
Etrangement quand je replonge dans mes savoureux souvenirs qui me parlent de ces moments de ma vie si marqués par des personnages aussi valeureux et aussi appréciés que Dda Salah, je ne peux m’étonner d’avoir à m’attrister un peu en pensant à cette intense et émouvante époque qui a filé sous mes yeux.
Il faut se remémorer justement qu’en ce temps-là, nos villageois avaient particulièrement recours à une main-d’œuvre qui s’amenait en grande partie de Djelfa, Sétif, et Msila à savoir de ces lointaines localités d’où était issue la majorité de ces jeunes hommes à tout faire qu’on désignait tous, sans encore savoir le pourquoi, de fellahs (travailleurs agricoles).
Guidé par son inébranlable choix du cœur, Dda Salah avait décidé que sa vie ne pouvait être ailleurs que parmi cette vraie et authentique population kabyle qui lui accorde un tel profond respect et une pareille considération admirative en raison de ses incontestables qualités humaines et de sa rigueur insoupçonnable dans le travail.
Le Djurdjura a alors vu naître ses sept enfants qui furent bien plus que nos camarades de classe et de jeux. Les enfants Benlamri étaient et demeurent ces frères et ces sœurs avec lesquels on continue de partager humblement la même histoire et le même destin.
Dda Salah ne savait jamais compter ses heures de travail pour répondre aux moults besoins de sa petite famille, et on pouvait, à n’importe quel moment de la journée, apercevoir sa familière silhouette totalement plongée dans son travail du jour. En effet, il était, sept jours sur sept, sollicité pour des tâches assez différentes bien que tout le village savait que le natif de la tribu de Sidi Hadjres excellait particulièrement dans son rôle de travailleur de la terre.
Oui, la vie fut dure pour le papa d’Aissa, Malika et Nora. Elle n’était cependant nullement morose pour ce papa doté d’un humour sans pareil, et qui ne savait rater aucune occasion pour balancer un mots ou une petites blagues pour égayer, comme à chaque fois, le moment de ses retrouvailles avec ses amis et ses partenaires de jeu de dominos.
Oui, il nous a tous fort aimé comme il a autant aimé sa vie parmi nous. Il est autant vrai que nous l’avons tellement aimé qu’il nous sera insupportable de ne pas entretenir la mémoire vivante. de ce brave homme qui a su laissé sa belle empreinte dans l’histoire d’Ath Yenni.
Depuis son départ vers l’au-delà, je ne peux ignorer que les Ayaniwen sont trop nombreux à vouloir témoigner de ces belles choses qu’ils ont vécu avec notre Dda Salah, il n’est, me semble-t-il, jamais trop tard de le faire avec le cœur et en toute humilité.
Yazid Sadat