La quatrième publication de cet instrument de travail est des plus opportunes en ce temps d’un regain de tension entre La France et l’Algérie dont le régime continue de vivre sur « l’hypercommémoration » du 1er Novembre 1954 (selon une expression chère à Guy Pervillé) comme cache-misère de son incompétence liberticide.
Cet atlas bénéficie d’une présentation à la fois pédagogique et scientifique. De courtes biographies, une chronologie, une orientation bibliographique et la mention des sources, ainsi qu’un précieux glossaire en facilitent la lecture. La cartographie de Cécile Martin et de Fabrice Le Goff est des plus claires.
Chaque carte résume une des grandes étapes de la conquête, de la mise en valeur à l’exploitation. Les cartes des pages 12 et 13, avec un léger correctif que l’on pourra lire sur le site Internet de l’auteur, apportent beaucoup quant à la main-mise française sur l’Algérie. La carte d’Alger en 1830-1848 devrait accompagner les travaux actuels de la Commission des historiens franco-algériens en vue d’une histoire commune. Il en est de même pour la question de la colonisation de peuplement et de ses résultats.
Les organigrammes de la page 20 sur l’accroissement de la population algérienne contredisent la récente allégation du président Tebboune sur le « génocide », dont la France aurait été responsable depuis la conquête. En revanche, l’analyse de l’auteur ne cache rien de la paupérisation du peuple algérien et de l’effondrement de l’agriculture et de l’élevage traditionnels. Sont justement évoquées les insurrections depuis celle du Dhara, en 1845, à celle du 8 mai 1945 dans le Constantinois.
Pratiquement, aucun des aspects de la guerre d’indépendance n’est oublié. L’enracinement du FLN, l’analyse de ses structures et de son implantation territoriale apportent beaucoup, tout comme la présentation des wilayas, plus développée que dans la première édition en 2003, sans oublier le MNA et le FLN en France.
En pages 36-37, est évoquée à juste titre l’influence du FLN et du GPRA dans le monde. Quant à la contre-offensive française, rien n’est occulté là aussi, y compris le contrôle des frontières, les zones interdites ou les camps de regroupements. Guy Pervillé a raison d’insister sur les rapports entre les Français d’Algérie et le pouvoir métropolitain en y incluant le plan « Résurrection » (1958), ainsi que l’enjeu majeur du Sahara depuis 1947.
La partie consacrée au dénouement et au bilan de la guerre est tout aussi intéressante, dans une approche rigoureuse de l’analyse des violences lors du chaotique retrait français. Sont évoqués le résultat du référendum du 8 janvier 1961, la guerre OAS-FLN et les événements d’Oran en 1962.
Cartes à l’appui, on comprend mieux les attendus des accords d’Evian. Le bilan humain, comprenant la question des désertions et celle des harkis, s’ajoute aux précieuses remarques sur les pertes humaines mensuelles depuis 1955 dans les deux camps, illustrées d’organigrammes clairs.
Enfin, étude sans doute la plus novatrice, la dernière partie concerne les mémoires de la guerre dont l’auteur est un des grands spécialistes. De l’analyse de ces mémoires incompatibles entre les deux rives de la Méditerranée, est issue, pages 70-71, une étude comparée des plus pertinentes.
Si les Etats ne brillent pas par une politique mémorielle sereine, l’auteur tient justement à souligner la fructueuse coopération entre historiens, notamment avec les Algériens Mahfoud Kaddache et Mohammed Harbi.
Et ce, afin que l’Algérie devienne enfin un sujet d’histoire comme les autres, comme l’avait déjà souligné l’Allemand Hartmut Elsenhams dans sa thèse monumentale sur la guerre d’Algérie, publiée en 1974, mais traduite en français tardivement en 2000. En écho au dernier opus de Kamel Daoud (Houris, Gallimard 2024), Guy Pervillé donne d’utiles éclaircissements sur la guerre civile des années 1990 et sur les crises mémorielles qui en découlent.
A noter, pages 74-75, les cartes sur la mémoire de la guerre à Alger et les principaux lieux de mémoire en France. L’auteur offre une typologie bienvenue différenciant les sites « Algérie française », des lieux de mémoire nationale, dont le Mémorial national de Montredon-Labessonié, des sites anti-colonialistes et anti-militaristes, dont les inévitables « Rue du 19 mars 1962, fin de la guerre d’Algérie ». Combien sont aussi utiles les cartes et commentaires sur les « rapatriés » et les réfugiés d’Algérie en France.
De surcroît, ne sont pas oubliées les diverses origines des Européens d’Algérie à la fin du XIXe siècle. En page 77, la carte des camps de harkis comprend aussi les hameaux forestiers et les cités d’accueil pour les familles d’anciens supplétifs. Enfin, l’étude des Algériens en France et l’analyse du vote Front national clôturent ce livre à la fois impertinent, bousculant tant d’idées reçues, et d’une grande sérénité scientifique.
Cet ouvrage n’est pas seulement un Atlas, mais sans doute la synthèse la plus courte et la plus réussie jamais consacrée au drame vécu par les populations de l’Algérie coloniale et de leurs descendants en France métropolitaine.
Jean-Charles Jauffret
Guy Pervillé, Atlas de la guerre d’Algérie. De la conquête à l’indépendance, Paris, Autrement, octobre 2024, 98 p., 24 €