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Au-delà du drame d’une SDF, c’est toute la société qui souffre                             

Fella Borsali, sans-abris

Quel drame que d’assister à sa propre déchéance sans que l’on ne prenne la mesure de ses errements? Fella Borsali, c’est son nom, une ancienne enseignante à l’université d’Annaba a été trouvée, il y a seulement quelques jours, morte de froid dans la rue de la ville.

Personne, jusqu’à présent, ne sait comment cette algérienne biochimiste qui avait quitté il y a longtemps, un poste de travail prestigieux en France sombrait dans la précarité et le dénuement. Et pourtant, son salaire et sa vie professionnelle ne la prédestinaient aucunement à un tel sort. Mystère!

D’aucuns répètent à l’envi qu’elle fut atteinte de dépression nerveuse,  d’autres par contre estiment qu’elle était tout simplement délaissée, dans un pays où le savoir n’est, semble-t-il, que la cinquième roue de charrette d’un système à bout de souffle.

Entre les uns et les autres, une poignée de commentateurs sur les réseaux sociaux, jouant tantôt aux pyromanes, tantôt aux moralisateurs, accablaient et pouvoir et société pour leur je-m’en-foutisme et incurie, à la limite de la sauvagerie. Reste que le cas dramatique de cette SDF, loin d’être un banal fait divers, donne l’ampleur de la crise morale et de valeurs, qui frappe de plein fouet notre société, en perte de repères.

« Personne n’est à l’abri, dit une jeune internaute qui se présente comme une doctorante en sociologie, du moment que le statut professionnel ne protège pas des aléas de la vie, en raison de la fragilité du système de solidarité institutionnalisé.

On sait maintenant, poursuit-elle, que le relais de solidarité traditionnel est usé, périmé, dépassé par le temps et qu’il faut aller à la logique moderne : associations, structures de prise en charge performantes, un arsenal opérationnel pour la protection effective des couches défavorisées de la société. »

Abondant dans le même sens, un autre commentateur accuse directement les pouvoirs publics d’être mous, en signalant le nombre incroyable de réfugiés africains et syriens qui rôdent dans nos rues,  en plein hiver, sans aucune prise en charge sérieuse de la part des autorités. Cela, explique-t-il coléreux, nous renseigne sur les difficultés que rencontrent la majorité des sans-abris dans nos grandes villes, exposés à la délinquance, à la mendicité, aux fléaux sociaux, etc. Qui est responsable de tout ça bon Dieu ? Cette universitaire n’est pas un cas normal, analyse un autre commentateur, d’évidence juriste.

Essayons de voir, écrit-il, ce qui l’a poussé à prendre la rue pour refuge. Car la rue n’est une solution pour personne. Une sorte de pis-aller au cas où les choses tournent mal et c’est fréquent chez nous pour différentes raisons : la cherté de la vie, la mentalité rentière qui, dès le début des années 2000, avait inséminé dans la tête de l’Algérien lambda que son confort personnel va à l’encontre de celui de la collectivité, la déchirure dans les liens familiaux, et finalement, la percée inquiétante de l’individualisme aux relents fétides du libéralisme anarchique. Ceci dit, la notion de l’humain, autrefois portée dans les esprits au nom des valeurs religieuses, a perdu de son poids et de sa résonance.

Comment un SDF peut-il avoir de l’attention, alors que les gens dans l’état normal souffrent déjà de l’indifférence de la société? Et puis,  il faut revoir le statut juridique de la femme, en la mettant à l’abri des violences physiques, des agressions verbales,  de la domination du type patriarcal, à la fois oppressive et machiste. Même l’autonomie financière n’est plus une garantie pour la femme en Algérie, où cette dernière ne peut toujours pas se marier seule, habiter et voyager sans autorisation maritale ou parentale.

Et que dire de celle qui habite dans un quartier populaire, où toutes les contraintes sociales « misogynes » pèsent sur elle, son corps devenu un enjeu communautaire, et sa vie en tant qu’élément de sa société. Il y a urgence, conclut le juriste, à revoir de fond en comble son statut et d’aller vers des réformes efficaces qui lui rendent sa dignité de femme à part entière.

En somme, rien ne vaille que le courage de dire les choses et d’agir en conséquence. Car c’est toute la société qui est en pente, dans la déliquescence, perdue dans ses chimères modernistes alors qu’elle plonge dans l’ignorance sacrée, laquelle ne fait que générer du conservatisme hypocrite, en déphasage avec nos valeurs algériennes authentiques.

Kamal Guerroua 

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