Mardi 26 décembre 2017
Au Maroc, les « mines de la mort » de Jerada
A Jerada, commune déshéritée du nord du Maroc, des centaines de mineurs risquent leur vie pour extraire clandestinement du charbon. Il y a quelques jours, Abderrazak a miraculeusement échappé à la mort. Mais deux de ses compagnons n’ont pas eu cette chance.
On les appelle les « mines de la mort »: dans cette ancienne ville minière, ils sont près d’un millier à s’aventurer quotidiennement dans des mines désaffectées, environ deux décennies après leur fermeture, sans aucune protection et au péril de leur vie.
Houcine et Jedouane, deux frères âgés de 23 et 30 ans, ont péri vendredi dans un accident dans une galerie.
Leur mort a suscité colère et émoi au sein de la population locale qui se dit « marginalisée » et manifeste depuis dimanche contre les autorités pour l’avoir laissée à l' »abandon ».
Abderrazak Daioui, 22 ans, était avec les deux frères au moment de l’accident.
« Nous sommes descendus à 85 mètres sous terre. Houcine et Jedouane étaient juste au-dessous de moi. L’un d’eux a creusé horizontalement et a touché un puits d’eau. Nous avons été inondés. Je me suis accroché à ma corde et j’ai réussi à remonter. Eux n’ont pas eu cette chance », raconte à l’AFP le jeune homme.
« Je risque ma vie »
Vivant dans une modeste maison à la construction inachevée, Abderrazak vit dans la misère. Il affirme prendre en charge financièrement son père de 80 ans – lui-même un ancien mineur – ses six frères, sa femme et sa fille.
« Il n’y a pas d’alternative, pas de travail. C’est pour ça que je risque ma vie. Je gagne entre 100 et 150 dirhams par jour (entre 9 et 13 euros) », se lamente cet homme qui « descend depuis 3 ou 4 ans », et qui « boit beaucoup de lait » pour contrer, selon une croyance populaire, les effets de la poussière qu’il inhale.
Avant la fermeture à la fin des années 1990 de la mine, jugée trop coûteuse par les autorités, l’activité minière à Jerada employait quelque 9.000 ouvriers et constituait alors la principale ressource de la population.
Depuis la fermeture, le nombre d’habitants est passé de 60.000 à moins de 45.000.
Malgré la fermeture officielle de l’activité, les jeunes de la ville continuent de s’aventurer dans ces puits pour extraire à la main du charbon, qui sera vendu à des négociants locaux.
« Les accidents mortels sont fréquents » dans ces mines, déplore encore Abderrazak qui y a « vu périr son oncle et deux jeunes de sa famille ». La mort des deux frères a été manifestement la goutte qui a fait déborder le vase.
Mardi, pour la troisième journée consécutive, les habitants ont manifesté leur colère contre leur « marginalisation » et réclamé du travail.
Le chef du gouvernement marocain, Saadeddine El Othmani, s’est dit disposé à « recevoir les parlementaires de la région cette semaine ou la semaine prochaine pour débattre des problèmes que connaît la zone ».
Jerada est l’une des communes les plus pauvres du Maroc, selon des données du Haut-Commissariat au Plan (HCP), l’organisme des statistiques marocain.
Pas d’emplois
Des projets économiques avaient, certes, été mis en œuvre par l’Etat après la fermeture de l’activité minière mais, selon Said Zeroual, un responsable local de l’Association marocaine des droits de l’Homme (AMDH), ils n’étaient « pas suffisants ».
« La ville n’a pas d’autres ressources, il n’y a pas d’emplois, pas d’usines. Les gens vivent dans la précarité », insiste-t-il.
Dans cette ville pauvre, 80 ans d’extraction du charbon ont également laissé des séquelles chez les mineurs.
La silicose, maladie pulmonaire provoquée par l’inhalation de fines poussières de charbon, est visiblement courante chez les travailleurs des mines, selon des témoignages recueillis sur place.
A l’entrée de la ville, une vingtaine de patients, des mineurs retraités pour la plupart, viennent consulter à « l’unité de pneumologie et de la silicose » de l’hôpital de Jerada.
Mohamed El Berkani, la soixantaine, a travaillé au fond du puits pendant 23 ans. « Ce centre a été créé spécialement pour les travailleurs de la mine atteint de la silicose », affirme-t-il.
« Les mineurs crachent leurs poumons jusqu’à crever », poursuit-il. « Alors ils nous donnent des médicaments pour calmer les douleurs ».