Jeudi 18 mars 2021
Bahia Farah : l’artiste aux duos inoubliables
Bahia Farah c’est le très célèbre «Yeqssiyi wezrem », ce titre que nous n’écoutions jamais en famille. Je me souviens que dès qu’il passait à la radio dans les années 1960, nous les mâles, petits ou grands, avions tous quelque chose à faire…ailleurs. Même nos mamans s’éloignaient furtivement du transistor qui osait le diffuser en plein « nuba l’xalat » !
Le pape l’aurait certainement interdit d’antenne, comme il avait suggéré l’interdiction de « je t’aime moi non plus » de Serge Gainsbourg et Jane Birkin, à la fin des années 1960. Et certaines chaînes radio avaient suivi le conseil d’El Papa. Après tout, n’est-ce pas le rôle du Vatican de démêler le hallal du haram ?
Mais Bahia Farah, c’est surtout et avant tout l’interprète qui a le plus prêtée sa voix aux artistes mâles pour des duos magistraux. Parmi les interprétations en duo, le titre « Attas aysevraɣ », avec Slimane Azem, a marqué, au fer rouge, la communauté émigrée des années 1960. À l’écouter j’ai vu des hommes pleurer (*). Titre que nous vous proposons en version remastérisé, ainsi qu’une traduction qui s’essaie à reproduire la mélancolie de l’originale.
Biographie
De son vrai nom Bounouar Fatima-Zohra, Bahia Farah est née à Bouira en 1917. Elle a d’abord été danseuse dans le genre oriental, avant de devenir la grande chanteuse que l’on connaît.
Orpheline, elle a été prise en charge par son oncle qui l’emmena en Tunisie.
Après avoir pris des cours de danse dans un centre de formation artistique, elle part à Paris en 1931 alors qu’elle n’avait que 14 ans. Elle perfectionna sa danse et très tôt elle fait le bonheur de la communauté émigrée.
A Paris, la chanteuse se frotte au Tunisien Mohamed El Jamoussi, au Marocain Slaoui Kamal, et aux grosses pointures de la musique algérienne et kabyle, à l’image de Kamel Hamadi, Slimane Azem, Mohamed El Kamel (chanteur de Music-Hall dans les années 1930-40), Allaoua Salah Sadaoui, Akli Yahiatène, Chérif Kheddam, Fatma-Zohra…
Elle fut l’épouse du célèbre miniaturiste algérien Mohamed Temmam, dit Sid-Ali.
En 1949, elle enregistre sur la demande de la maison d’édition Pathé Marconi, six disques 78 tours en arabe, dont « Ya omri lik » (mon âme est à toi), « Rayeh maâdoum » (Le partant est absent), et « Yalli qlaqtou » (Celui que j’ai irrité).
En 1957, elle rencontre Slimane Azem, avec qui elle réalise en duo deux titres en kabyle « Kem akw d’nek » (Toi et moi) et « Atass issevragh » (J’ai trop attendu), une chanson -sous forme d’échanges entre un émigré et sa bien-aimée restée au bled- qui lui assurera un succès foudroyant, tant la vérité qu’elle distille est bouleversante (*).
Elle a également partagé un titre avec Akli Yahiaten : « Inas imlayoun Taoues ». Sans oublier le très singulier « yugi ad yuɣal » qu’elle interprète avec Allaoua Zerrouki (**).
Elle signe son retour définitif au pays, au lendemain de l’indépendance, en février 1965, et interprète « T’fuk el ɣorba t’fuk » (L’exil est terminé, bien terminé) (1967) avant de faire ses adieux à la Chaine 2 de la Radio nationale où elle animait une émission et participé à « Nuva L’xalat ».
La Radio algérienne n’a, semble-t-il, conservé que 22 chansons (dont certaines interprétées avec Aït-Farida) sur les 50 qu’elle a enregistré en solo : « Yeqsiyi wezrem », (voir la vidéo ci-bas) « Lmektub », « Imessasene », « l’Aïd », « Atir el ɛali », « Mmi ɛzizen », « Si Labḥar Ɣar-din », « Yeǧǧayi »,…
Fatiguée et affaiblie par la maladie, l’artiste tire sa révérence le 24 avril 1985, à Alger, dans l’indifférence la plus totale.
Voilà comment un pouvoir de nains traitait, et traite toujours, les géants du terroir !
Bahia Farah
Aṭṭas ay sevraɣ Aṭas ay sebṛaɣ
Aṭṭas ay sevraɣ Aṭas ay sebṛaɣ
Ad ṛuḥeɣ neɣ ad jewǧaɣ
Ay uzyin texdaɛḍ iyi
Tkellxeḍ felli
Xu ḍi mačči akk’ay nehḍer
Tenniḍ’d am d’awi ɣ kullci
Qim kan thenni
Seg’wul im ekes a ḥebbeṛ
Tura t ɛacqed di ṭwasi
Tregwleḍ felli
Waqila tbeddleḍ laɛmer
Aṭṭas ay sevraɣ Aṭas ay sebṛaɣ
Aṭṭas ay sevraɣ Aṭas ay sebṛaɣ
Ad ṛuḥeɣ neɣ ad jewǧaɣ
Slimane Azzem
A tuzyint ulli’m xedmeɣ
D ẓeher ay xuṣṣeɣ
Ma č akka ay bni ɣ ad’as
Mačči ţiselbi ay selbeɣ
Neɣ D’ṛay i xuṣṣaɣ
Mi ţi bni t’hud ar l’sas
Ulla d nekk aqli N’ ṭaṛṛaɣ
Mačči d iksaneɣ
Akka I grad uɛessas
A tin ḥemmleɣ
Ul’im xedmeɣ
Sbe ṛ kana rd’a naw ḍeɣ
Bahia Farah
Ḥeqrent i tezyiwin iw
Briɣ i wallen iw
Qqarrent i argaz im d’imɣeṛṛeq
Ţ’ruɣ ar mi yejreḥ wul yeẓṛ iw
Iɛugwen yiles iw
Yegguma ad yali l’menṭeq
Ẓṛiɣ yemmut ẓehṛiw
Ţ’arraɣ kan s ul iw
Yeččuṛ yebɣa ad ifellaq
Aṭṭas ay sevraɣ Aṭas ay sebṛaɣ
Aṭṭas ay sevraɣ Aṭas ay sebṛaɣ
Ad ṛuḥeɣ neɣ ad jewǧaɣ
Slimane Azzem
A tuzyint a wi’m yeḥkan
A ţ’ẓeṛḍ ig gellan
Ballak ad yesbar wul im
Di l’ ɣerba ur ǧǧiɣ amkan
Aqli ṛwiɣ lemḥan
Di ẓehṛ iw deg iteqqim
Ḍleb di ssadaţ yeqwan
Ad ṣeggmen wussan
Am ass’a as yezhu wul im
A tin ḥemmleɣ
Ul’im xedmeɣ
Sbe ṛ kana rd’a naw ḍeɣ
Bahia Farah
Aṭṭas ay sevraɣ Aṭas ay sebṛaɣ
Aṭṭas ay sevraɣ Aṭas ay sebṛaɣ
Ad ṛuḥeɣ neɣ ad jewǧaɣ
J’ai trop attendu
J’ai trop attendu, j’ai trop attendu
Je m’en vais ou je me remarie
Ô mon bel homme, tu m’as trahie
De moi, tu t’es joué
Ce n’est pas ce que nous avions conclu
Tu disais tout m’apporter
Surtout soit tranquille
De ton cœur enlève tout souci
À présent de vices tu es épris
De moi tu t’es éloigné
Peut-être as-tu changé de vie
J’ai trop attendu j’ai trop attendu
Je m’en vais ou je me remarie.
Ô ma belle je ne peux rien
C’est ma chance qui m’a quitté
Je ne m’attendais pas à telle destinée
Je ne suis pas atteint de folie
Ni que je manque de projets
Tout ce que je fais se défait
Moi aussi je dépéris
Je ne contrôle rien
C’est ce qu’ont voulu les Saints
Oh ma bien aimée
Pour toi je ne peux rien
Sois patiente je reviendrai.
Par mes amies dépréciée
J’ai toujours les yeux baissés
Quand elles disent que tu m’as quitté
Je pleure des larmes de sang
En muette me transformant
Je ne puis prononcer un mot
Je sais bien que mon sort est mort
Chargé mon cœur est épuisé
Il est plein à craquer
J’ai trop attendu j’ai trop attendu
Je m’en vais ou je me remarie.
Ô ma belle j’aurais aimé tout te conter
Mes peines tu les saurais
Combien tu compatirais
Je n’ai laissé aucune contrée
J’ai beaucoup peiné
Poursuivi par la calamité
Implore donc de puissants saints
Que nos jours soient meilleurs
Et que gai soit enfin ton cœur
Oh ma bien aimée
Pour toi je ne peux rien
Sois patiente je reviendrai.
J’ai trop attendu, j’ai trop attendu
Je m’en vais ou je me remarie.
K.M
(*)https://lematindalgerie.comslimane-azem-bahia-farah-les-ecouter-jai-vu-les-hommes-pleurer
(**)https://lematindalgerie.comzerrouki-allaoua-le-rossignol-de-la-soummam