Site icon Le Matin d'Algérie

Bande de jeunes écervelés, ne touchez pas à mon Abdelaziz !

DIGRESSION

Bande de jeunes écervelés, ne touchez pas à mon Abdelaziz !

Combien de fois dois-je le répéter encore depuis que je le proclame sur Internet durant des années ? Abdelaziz est l’histoire de ma vie, la mesure du temps et la représentation iconique de mon pays natal. Et voilà qu’une bande de jeunes chahuteurs veulent mettre fin à cette histoire profondément ancrée en nous.

À l’âge de sept ans, je ne comprenais pas pourquoi les gens hurlaient dans les rues avec une allégresse et des mots inconnus pour moi, surtout dans la version en arabe de l’un d’entre eux « indépendance ».

Mais je voyais bien que le soir, car il n’y avait pas de programme TV le jour, qu’ils se réunissaient autour du gros meuble parlant afin de voir les mêmes personnages. Et parmi eux, un petit homme, gesticulant et au pas rapide pour rattraper les autres, une moustache en guise de reconnaissance grégaire.

Il était toujours à côté d’un grand escogriffe, à la tête d’abruti, avec moustache et un regard aussi dangereux que les psychopathes que l’on voyait dans les émissions criminelles ou de médecine psychiatrique.

Cet Abdelaziz de mon enfance ne m’a jamais quitté, durant plus d’un demi-siècle. Il est pour moi la mesure du temps, la marque de mon pays natal. Je n’ai jamais connu autre chose que lui même lorsqu’il est parti bouder quelques années en Suisse, l’autre patrie de nos nationalistes au culte de la nation, des chouhadas et des comptes offshore.

Il était là pour mon examen de sixième, un passage angoissant dans la vie d’un gamin de cette génération. Au petit matin, on nous donnait un sucre car la croyance était à l’effet immédiat du glucose dans nos performance cognitives. Et bien entendu, la veille, comme tous les soirs, Abdelaziz était là pour nous réconforter. Il n’a pas hésité à revenir lors de mon bepc et de mon baccalauréat.

Bien entendu, il était présent lors de mes premiers émois amoureux. Jamais il ne m’aurait lâché, cet ange gardien de ma vie, ma mezouzah à moi. Il était d’ailleurs l’idole des jeunes filles avec sa coiffure au vent et ses pattes d’éléphants, montant dans le jet Falcon à une époque où le moindre ouvrier devait travailler dix ans pour avoir une mobylette Peugeot bleue.

Mieux que Michael Jackson ou le rappeur Bouba, il était mitraillé de flashs photographiques dont les clichés inondaient les journaux officiels de l’État. C’était la star, les femmes en étaient amoureuses et fantasmaient à qui accrocherait un jour son cœur de célibataire.

Des légendes fleurissaient sur son compte. Il était l’intellectuel du groupe d’abrutis en moustaches, ne buvait jamais d’alcool et il attirait les princesses et les starlettes du monde entier qui se seraient coupés un bras pour l’honneur d’un instant dans son jet.

Oui, Abdelaziz fut toujours là pour moi. Toujours en poste lorsqu’en septembre 1975 une Peugeot 404 blanche m’amena à l’aéroport pour quitter l’Algérie. Et pas la peine de vous dire que lors de mon écrit et oral de concours d’entrée à l’Institut d’études de Paris, il n’a pas hésité à  m’inspirer les bonnes réponses, lui, le ministre des affaires étrangères éternel.

Lorsque je me suis marié, jamais il n’aurait déserté, il était encore présent. Lorsque mes enfants sont nés, toujours au poste avec sa fidélité sans faille. Et bien entendu, comme pour ma sixième, mon Bepc, mon baccalauréat et mon entrée dans les études supérieures, Abdelaziz assista à mon concours de professeur. Il faisait partie de ma vie, il était la lumière qui veille, l’ange gardien de mes tourments, l’image du pays qui m’a vu naître.

J’ai aujourd’hui 64 ans et je n’ai rien connu d’autre de ce pays que la figure d’Abdelaziz, ce petit homme qui est ma madeleine de Proust. Mais contrairement à elle, Abdelaziz fut mon passé et mon présent.

Voilà que j’apprends qu’une horde d’irresponsables veut lui interdire d’être mon futur, pour ce qui me reste à vivre. Je ne vous laisserai pas faire, surtout lorsque je vois que certains jeunes se tournent déjà vers un général pour remplacer mon Abdelaziz, le sens de ma vie.

Touchez pas à mon Abdelaziz, vous intenteriez à l’histoire de ma vie et vous provoquerez la rupture définitive à la seule représentation de mon pays natal qui a survécu dans mon souvenir.

Bande d’inconscients !

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




Quitter la version mobile