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Barbelés économiques : les importations sous cadenas politique

Importations

Depuis 2024, l’Algérie a mis en place une politique rigide de restriction des importations. Officiellement, il s’agit d’une mesure de rationalisation visant à protéger les industries locales et à préserver les réserves en devises. Officieusement, cette politique répond à des objectifs bien plus profonds, révélateurs de la véritable nature politique du régime algérien.

Pour comprendre ces décisions, il faut dépasser la lecture purement économique et entrer dans les logiques de pouvoir, de contrôle et de survie qui gouvernent l’État algérien. Le régime algérien est, avant tout, un régime rentier. Il ne repose pas sur la production ou la compétitivité, mais sur la captation et la redistribution d’une rente issue principalement des hydrocarbures.

Dans ce modèle, l’économie n’est pas un espace d’innovation ou de liberté entrepreneuriale, mais un outil de régulation sociale et de légitimation politique. Toute activité économique est perçue comme un territoire à contrôler plutôt qu’à libérer.

Dès lors, le commerce extérieur (et en particulier les importations) devient un levier stratégique. Limiter les importations, ce n’est pas tant encourager la production locale que reconfigurer le système de privilèges.

Il s’agit de neutraliser les anciens lobbies d’importateurs liés aux réseaux de l’ère Bouteflika et de redistribuer les circuits de richesses à des acteurs économiques proches du cercle présidentiel actuel. 

Sous prétexte de souveraineté économique, le pouvoir militaire se livre à une purge silencieuse, à un changement de gardes dans la sphère économique. Ce n’est pas une politique industrielle, mais une reconfiguration du pacte rentier.

Le discours sur la souveraineté nationale, omniprésent dans la rhétorique officielle, camoufle en réalité un réflexe autoritaire : contrôler pour mieux régner. Le filtrage des importations n’est pas motivé par des considérations productivistes, mais par une volonté de garder l’économie en laisse.

On ne développe pas une économie sous cloche, on préserve le pouvoir en gardant tous les leviers.

Cette fermeture crée une économie sous perfusion, où le secteur privé est dépendant, soumis, souvent informel, et donc facilement manipulable. Ce n’est pas un hasard si ces mesures s’inscrivent dans un contexte post-2019, où le régime, affaibli par le Hirak, a dû se reconfigurer.

En plaçant Tebboune au sommet de l’État, l’armée a recentré le pouvoir autour d’une figure civile sous tutelle. Le vrai pouvoir reste militaire. Et ce pouvoir militaire a repris en main les principaux leviers économiques : banques publiques, ports, marchés publics, foncier industriel, commerce extérieur. L’encadrement des importations devient alors un outil de recentralisation autoritaire. Dans cette nouvelle architecture, le complexe militaro-industriel devient un acteur central.

Des entreprises liées au ministère de la Défense, par le biais de filiales économiques, récupèrent les marchés abandonnés par les importateurs traditionnels. On crée ainsi un marché captif : l’État achète, l’armée produit, et le citoyen paie. L’économie devient un bras armé de la politique de contrôle.

On parle de relance, de souveraineté, mais ce ne sont là que des vitrines. Ce qui se joue réellement, c’est une assignation économique : créer une société dépendante, disciplinée, enfermée dans la débrouille. Ce blocage sélectif des importations sert aussi à organiser une rareté maîtrisée. En contrôlant l’offre, le pouvoir contrôle la demande.

Il provoque des pénuries, puis les corrige partiellement, devenant ainsi le sauveur des problèmes qu’il a lui-même créés. Cette stratégie de l’étouffement calculé permet de gouverner par la tension sans basculer dans la rupture. Elle installe une société sous pression, mais pas encore révoltée. Le mécontentement est absorbé par des explications floues, des promesses de production nationale, des slogans de fierté économique.

Le propos du ministre Rezig à propos des aumônes que le président Tebboune accorde à certains pays africains est, à cet égard, édifiant.

Selon lui, ces aumônes seront remboursées au peuple par Dieu Lui-même dans l’Au-delà ! Sur le plan géopolitique, cette fermeture s’inscrit aussi dans une posture de forteresse assiégée.

La montée des tensions avec la France, les crispations autour du Sahara occidental, les pressions migratoires et les conflits au Sahel servent à justifier un repli stratégique.

L’Algérie se présente comme un bastion de souveraineté face à l’OTAN, à l’influence marocaine, à l’islamisme politique. Cette angoisse sécuritaire nourrit la fermeture économique. Elle permet de disqualifier toute critique comme étant téléguidée de l’étranger, et toute demande d’ouverture comme une menace pour l’unité nationale.

Mais cette logique souverainiste n’est pas une vision du monde, c’est une doctrine de survie. L’Algérie ne construit pas une alternative économique durable ; elle maintient un ordre vertical. Elle ne cherche pas l’efficacité, mais la fidélité. Le régime n’a pas de projet économique : il a un projet de conservation du pouvoir. Ce n’est pas une erreur de gouvernance, c’est une stratégie. Et cette stratégie condamne l’économie à tourner à vide, les citoyens à l’attente, les entrepreneurs à la soumission.

Le discours sur l’autosuffisance masque donc une réalité bien plus obscure : une société prise au piège d’une économie carcérale, où produire, commercer, ou même consommer devient un acte politique. Une société où la liberté d’entreprendre est perçue comme une menace, et où l’importation elle-même devient un privilège octroyé par le sommet. Le régime gère la pénurie comme il gère le peuple, avec méfiance, calcul, et brutalité douce. C’est une forme moderne d’assignation à résidence économique.

L’Algérie ne manque ni de ressources, ni de compétences, ni d’intelligence collective. Ce qui lui manque, c’est un État qui ait confiance en sa propre population. Le blocage des importations révèle, en creux, cette peur du peuple, cette crainte qu’un jour il puisse se passer de la tutelle de l’État. Car le jour où l’Algérien n’aura plus besoin de faire la queue, de supplier un douanier, de contourner la loi pour se procurer un produit, ce jour-là, il n’aura peut-être plus besoin du régime tout entier.

Hassina Rabiane

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