A l’arrière-plan de l’image de la « première» voiture électrique algérienne sortie tout droit de la casse de Tidjelabine, le discours de la « nouvelle Algérie » ne pouvait que ce cloîtrer dans le burnous du cheikh Ben Badis exposé depuis le 14 avril 2022 dans le musée ethnologique du nationalisme chauvin.
Rompu au culte des objets et de la muséologie, le nationalisme chauvin au pouvoir depuis septembre 1962, n’a rien trouvé de mieux que d’ouvrir un rayon au Musée national du Moudjahid (MNM) afin d’exposer les effets personnels et les documents du « saint patron » du réformisme religieux, Abdelhamid Ben Badis.
C’est ainsi que l’histoire nationale se dessine à travers la totémisation des choses en récupérant une sélective matérialité au risque de s’élever, un jour, au sens d’une confrérie politique.
Quatre-vingt-trois ans après sa disparition, le fondateur de l’association des Oulémas musulmans d’Algérie intègre le premier espace mémoriel de l’appareil idéologique d’Etat dans un pays qui se cherche à travers un « musée total » non édifié encore dans l’ordre hiérarchique des choses et des personnes. Le MNM en question, apparaît comme projet pour la première fois, dans le n° 2-3 (1977) de la revue Museum de l’UNESCO. L’auteur, un certain Tahar Moulefera présente ce lieu comme celui du droit « du récupérer son histoire » d’une lutte de libération nationale « qui fait nettement apparaître une progression logique dans la transformation du processus de révolution armée en révolution démocratique, économique et sociale, puis un processus irréversible de construction du socialisme » (p. 168).
A l’époque du colonel Boumediene, le musée en question allait être édifié au sein de la sinistre prison de Serkadji-Barberousse où « le visiteur prendrait la forme d’une masse humaine soumise et disciplinée par des normes de comportement », selon Fréderic Gros dans Le Principe de sécurité, Gallimard, 2012. Aujourd’hui, le musée est conçu pour être celui de la colonisation « française ». Subdivisé en 03 périodes de 1832 à 1962, les effets personnels du cheikh Ben Badis sont placés en vitrines dans la seconde période (1919-1954) d’après la chronologie nationaliste officielle.
La question du choix incombe totalement aux gestionnaires du MNM qui ne semblent pas saisir qu’avec cet édifice surplombant la baie d’Alger, ils est transformés cet espace en fabrique d’identités, de mémoriser communes et d’appartenance à une « communauté imaginée », selon le politologue et historien britannique Benedict Anderson.
Conçu en sémaphore du pouvoir de discipline et de contrôle, le musée en question se révèle par le prisme des théories de matrice foucaldienne, en une pensée évolutionniste de la classification de collection telle qu’elle a été élaborée à l’époque coloniale.
Temple des Muses ou musée d’Alexandrie ? Choisi pour être l’archétype du couple Savoir-Pouvoir, le MNM est un réel modèle traditionnel ethnographique de l’histoire coloniale. Une institution historique basée sur l’exclusion de l’Autre afin de renforcer et inclure le Nous.
L’inscription dans le respect même de la volonté familiale du cheikh Abdelhamid Ben Badis, sa présence dans la muséologie nationale s’ajoute à cette interprétation constructiviste et ethnographique de l’identité, une représentation de la tradition culturelle algérienne qui s’ajoute à une mythologie, une narration et une célébration à dimension imaginaire propre à un territoire.
Si l’intention est celle d’inscrire les racines conceptuelles d’un nationalisme militant, le sujet proposé par l’action en date du 14 avril 2022 est lié à un imaginaire tribal et à une construction d’une catégorie ethnique. N’a-t-on pas tenté de territorialiser la figure de l’émir Abdelkader entre 1998 et 2019, pour en faire une manifestation ethno-folklorique d’un parcours politique institutionnel ?
Le souhaite-t-on encore aujourd’hui avec le 16 avril 2023 et le message officiel commémoratif qui inclus les « savants » des confréries féodales ? Les objets du cheikh sont définitivement incorporés dans le processus du fétichisme nationaliste d’Etat afin d’éduquer mais aussi de surveiller les citoyens. Il est d’autant extraordinaire de noter que cette logique de classification historique et de séparation qui s’exposent au sein de ce MNM n’a pas été observée comme une dichotomie spatial entre le centre et sa périphérie, à savoir le colonial et le postcolonial.
Le Musée du moudjahid réduit à un imaginaire d’une communauté politique, il finit par réduire chez le public, un imaginaire de l’Etat colonial. Extraire, purifier et classer des typologies au sein de ce musée a finie par faire paraître l’effet d’un relativisme aveugle devenant un objet ethnologique colonial par excellence.
Entre 1832 et 1962, le MNM n’explore pas uniquement le chemin du dépassement de la raison coloniale, il instruit – par connaissance ou non – l’exploration de la racine ethnique à travers les bustes et les personnages en cire qui accompagnent les objets de la matérialité coloniale. Le parcours critique de cette institution d’Etat laisse recourir dans l’image mentale du public hétéroclite, que l’objet de l’identité nationale est un sujet ethnique figé dans un univers clos et définitif.
Si le musée du complexe Ryad El-Feth, cette autre dénomination du paradis musulman, formule un ordre hiérarchique des choses, des objets et des personnes et vise à exclure et à imposer une norme en direction d’une population à éduquer, la narration du discours d’Etat ne fait que valoriser ce qu’elle conçoit comme identité majoritaire. Le MNM du haut de sa colline « écrasé » par l’architecture de M. Bachir Yelles l’architecte-artiste du monobloc, a comme entrée une somptueuse porte s’ouvrant sur un bunker carcéral où les corps et les objets sont transformés en domaines clos et privés.
Dans cet îlot de la pénitence historique l’inscription et la diffusion des messages du pouvoir est destiné à l’ensemble de la société. Le sémaphore de Ryad El-Fath se transforme en dehors de la volonté conscience de l’Etat-éducateur en « sémiophores » porteurs de significations.
La présence de quelques effets personnels d’un cheikh Ben Badis où d’un émir Abdelkader exerce la fonction de témoins authentiques d’une culture en voie de disparition qu’il faut préserver et étudier. Le MNM par cette mise en scène est aussi un musée de civilisation et cette taxinomie répondant à une logique de pouvoir, n’étant pas neutre. Le visiteur ne fera que suivre la chronologie et la classification des objets transformés en généalogie, devenant évolution et progrès sont une fabrication du présent par l’outil de la narration d’un passé imaginé.
Dans ce musée carcéral, la mise en conformité de chacun suppose aussi une violence de la discipline historique et un aveuglement de la part de l’idéologie nationaliste. Une réalité dispersée et diversifier doit se conformer à la norme, selon Gros, 2012.
L’émir Abdelkader, élevé au plus haut rang du symbolisme étatiste, est désigné au sein du musée comme généalogie d’une lignée politique de la résistance anticoloniale : le djihad politiquement réformé.
En ce donnant cette unilatéralité de lecture de l’histoire, le MNM exclu de faite les véritables acteurs du mouvement national anticolonialiste, ceux des luttes démocratiques et ouvrières.
A travers sa dénomination, la dichotomique sacralité du « croyant armé » contre le «kéfir», clos la muséologie algérienne dans la momification des personnages de l’histoire et l’ouvre sur les espaces cultuels.
Mohamed-Karim Assouane, universitaire.