Site icon Le Matin d'Algérie

Big Brother, une référence du totalitarisme

Conseil de lecture aux jeunes

Big Brother, une référence du totalitarisme

Nous voici encore une fois face à un monument mondial de la littérature. Qui pourrait disserter sur les régimes autoritaires sans faire allusion à la célébrissime expression « Big Brother » ? George Orwell a écrit un roman qui n’est pas seulement incrusté dans la littérature mais est devenu une référence absolue dans l’analyse philosophique et politique.

Et lorsqu’on parvient à ce niveau d’osmose entre un très grand plaisir de lecture, qui reste notre objectif premier dans cette chronique d’été, et une référence culturelle incontournable, c’est que l’œuvre a atteint des sommets. C’est assurément le cas de ce fabuleux roman que je propose aujourd’hui aux jeunes lecteurs, «1984 » de l’écrivain anglais George Orwell.

La lecture de «1984» prouvera, encore une fois, que les thèmes les plus sérieux et les plus formateurs peuvent être instillés par une histoire qui vous submerge d’attention captivante. Les cours d’histoire ou de sciences politiques sont certainement indispensables pour ceux qui veulent aller plus loin dans leur formation mais les jeunes lecteurs peuvent déjà construire avec ce livre une base de culture tout en prenant un plaisir immense. C’est le miracle de la littérature.

George Orwell a publié le roman en 1949, ce n’est donc pas un roman prémonitoire comme le fut la célèbre parodie de Chaplin dans son film « Le dictateur » mais l’analyse des totalitarismes qui ont sévi et sévissent encore à son époque. Ils on mené au désastre de la grande guerre et continuent de menacer le monde en 1949 avec la victoire du parti communiste et son installation encore plus solidement assurée qu’elle ne le fut depuis Lénine et Staline.

L’histoire du roman se déroule en 1984, période lointaine dans le futur lorsque fut publié le livre,  alors que le monde est divisé en trois grandes régions géopolitiques (bien que portant des noms irréels, chacune correspond à une région du monde bien identifiée par le lecteur). Ces trois régions sont dirigées par des régimes communistes qui, au départ, voulaient libérer les peuples et qui ont finalement fait abattre une chape de plomb sur la société.

George Orwell ne décrit donc pas tout à fait un monde imaginaire comme certains résumés l’ont souvent répété. Il s’agit bien d’une fiction mais partant de faits tout à fait réalistes comme le fut le monde communiste d’après-guerre. Orwell s’appuie également, nous l’avons déjà précisé, sur l’expérience que l’humanité avait de l’installation des régimes autoritaires avant la seconde guerre mondiale, soit pour les principaux, le IIIe Reich, l’Italie et le Japon. Il n’y fait pas mention mais on les reconnaît à la première description.

L’extraordinaire roman de George Orwell n’a jamais connu une baisse d’intérêt à travers le monde depuis sa publication. Comme toujours, mon conseil est d’entrer dans le roman avec le seul objectif de passer un moment palpitant. Il est évident qu’avec ce livre se construit une partie de l’esprit critique des jeunes par une référence littéraire solide pour comprendre les mécanismes du totalitarisme.

Le personnage principal du roman, Winston Smith, travaille au « Ministère de la vérité », c’est déjà tout dire de la suite et du propos de George Orwell. Dans ce pays sévissent la délation à outrance, la négation de toute sensualité entre les citoyens, une police de la pensée et de la langue, des diffusions permanentes de propagandes par micros et quelques autres dispositions assez reconnaissables des totalitarismes (tiens, cela ne vous rappelle pas un pays?).

Fonctionnaire au service de ce ministère, Smith va rencontrer Julia et commettre l’irréparable, avoir une relation sentimentale. Comme il nourrissait déjà quelques doutes sur le système totalitaire en place, la liaison intime entraînera davantage le couple à combattre clandestinement les idées et le système du parti et espérer un véritable soulèvement de la population.

Trahis par « un ami », terme qui ne correspond pas exactement aux codes sociaux du pays en question, la tentative échoue. Emprisonnement et torture auront raison de la résistance de Smith qui finira par renier Julia.

Mais cette émouvante histoire atteindra le niveau du chef-d’œuvre intemporel par l’existence d’un autre acteur, celui qui va donner au dispositif totalitaire toute sa puissance, soit le fameux « Big Brother ». Le célébrissime « Big Brother » est un système de caméras qui pénètre jusque dans  l’intimité profonde des citoyens pour les réduire à un état de néant. L’être humain est condamné à une existence végétative et mécanique, surveillé à tout instant de son existence. Il n’est plus un être conscient doué d’une intelligence et d’une sensibilité, encore moins un être libre.

Le roman de George Orwell est fondamental, non pas pour connaître l’existence des mécanismes des totalitarismes mais pour mieux les cerner dans une synthèse qui glace le sang. En effet, chaque lecteur les reconnaîtra dans son environnement immédiat même s’ils ne sont pas aussi extrêmes ou visibles que ceux décrits dans 1984. Et les identifier représente la première étape pour mieux les combattre car dans la vie courante des pays totalitaires, ils sont souvent insidieux, noyés dans des objectifs supposés de bonheur et de bien-être de la population et donc peu perceptibles par ceux qui n’ont pas une formation pour les débusquer.

On pourrait penser que l’obsession de George Orwell à propos du système bolchevique en fait un « anticommuniste primaire ». Si les écrits, tout autant que le milieu social de l’écrivain anglais, peuvent le faire supposer, il ne s’agit certainement pas d’une position épidermique dénuée de tout raisonnement. George Orwell est certes le produit de ses racines familiales mais son passage dans le  prestigieux Collège d’Eton, entre autres aptitudes personnelles, en font un intellectuel qui va analyser, décortiquer et traduire le système totalitaire dans ce qu’il a d’objectif et pas seulement à travers les fantasmes et les craintes qu’il suscite.

Si ce livre vous captive, comme il y a des chances qu’il le fasse, précipitez-vous ensuite sur le second chef-d’œuvre du même auteur, « La Ferme des animaux », publié quatre années auparavant. Un livre tout aussi connu qui est également une parodie de la révolution russe et du système communiste au travers d’une communauté d’animaux vivant dans une ferme. D’apparence légère, je ne recommande pourtant pas dans l’immédiat ce livre aux jeunes lecteurs algériens s’ils n’ont pas encore une formation assez poussée. Ils ne retiendraient que l’aspect burlesque de l’histoire, ce qui serait dommage.  

Revenons à 1984 et le conseil tellement réitéré dans notre chronique d’été, ne lire dans un premier temps que pour le plaisir du moment, rien que pour cela. Le reste s’incruste sans effort et sans apporter un ennui quelconque ou gêner les positions et convictions des uns et des autres. La littérature ne fait pas de politique, elle donne du plaisir, à chacun d’en tirer ce qu’il en a perçu, bien plus en amont que dans l’instant de la lecture. Elle ne fait pas de politique mais prépare le lit de la formation des esprits à la libre pensée et critique, passage indispensable à la prise de position politique.

Et si dans ce second temps, votre esprit critique n’a pas été éveillé sur ce qui vous environne, alors laissez tomber la littérature et la culture ainsi que tout ce qui s’y rapporte, plus rien ne peut vous atteindre.

Bien entendu, je suis persuadé du contraire, alors courez lire ce sommet de la littérature mondiale. Personne ne vous demande d’être un Winston Smith, ce n’est pas l’objectif du plaisir de lire, mais au moins vous ne serez jamais dupes des totalitarismes, ce qui est déjà une étape fondamentale de protection.

Auteur
Sid Lakhdar Boumediene, enseignant

 




Quitter la version mobile