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« Bouquet de 21 chansons kabyles » d’Idir Tass

Idir Tass

Ce livre de l’écrivain et romancier Idir Tas sous le titre « Bouquet de 21 chansons kabyles » vient de sortir aux Éditions du Net, novembre 2021, est un recueil rassemblant une vingtaine de chansons très connues.

On y retrouve des chansons de Bahia Farah, Hnifa, Slimane Azem, Chérif Kheddam, Youcef Abdjaoui, Djamel Allam sur des thèmes aussi variés que l’exil, les amours contrariées, les problèmes sociaux, l’amitié… qui ont bercé Idir durant sa tendre jeunesse dans son village At Saada au cours des décennies 1960 et 1970 dans la commune d’Akfadou. Ce livre est aussi l’occasion pour l’auteur de rendre hommage à sa jeune sœur Saadia, professeur des mathématiques appliquées à l’université de Bejaia, décédée à l’âge de 49 ans, paix à son âme. Un livre à lire absolument

Préface

Lorsque j’étais enfant, je vivais avec ma mère et mes deux sœurs à Akfadou. Lors des mariages, il m’est souvent arrivé d’entendre ma mère chanter de très belles chansons kabyles qui participaient au charme des cérémonies traditionnelles.

Parfois, j’écoutais ces mêmes chansons et d’autres encore à la radio chez des voisins. Nous n’avions pas de transistor à la maison, plutôt par choix de mon père, émigré à Paris, que par manque d’argent. Nous n’avions pas non plus de disque, ni de vinyle, ni de cassette. Il fallait compter seulement sur sa mémoire pour garder des bribes de ces fabuleuses chansons…

Plus tard, ce fut au tour de ma sœur Saâdia de chanter lors des mariages d’anciennes ou de nouvelles chansons, avec sa voix claire et chaleureuse. Je l’entends toujours. À présent qu’elle est partie prématurément à l’âge de 49 ans, ce souvenir m’est encore plus cher…

Aujourd’hui, je suis très content de voir quelques-unes de ces chansons fixées à tout jamais sur du papier ou sous une forme numérique. Ainsi peut-on les lire ou les relire à sa guise et même les chanter, à condition de se rappeler encore de l’air.

Toutes les chansons de mon enfance, j’aurais aimé les rassembler dans un même recueil. Mais elles sont innombrables et leurs sources difficiles à trouver, quand elles existent. Aussi ai-je arrêté mon choix sur dix-huit chansons écrites par six auteurs tous nés en Algérie et ayant passé de nombreuses années en France.

La doyenne Bahia Farah, [1917, El-Main (Bouira) – 1985, Alger], s’est retrouvée orpheline très jeune. Elle s’est alors installée avec son oncle à Tunis où elle a suivi des cours de danse orientale. À l’âge de quatorze ans, elle est partie vivre à Paris. Ce n’est qu’en 1965 qu’elle est retournée définitivement dans son pays natal.

Dans la chanson “Ya qqsi yi w’azrem (Un serpent m’a mordue)”, elle dénonce la trahison amoureuse. Elle espère en des jours meilleurs dans “L’mektub iḳ (Ton destin)”. Dans “Si levḥar γarḍḍin (De l’autre côté de la mer)”, elle aborde son retour au pays.

Slimane Azem, [1918, Agouni-Gueghrane (Tizi-Ouzou) – 1983, Moissac (Tarn-et-Garonne)], a été mobilisé en 1939 durant “la drôle de guerre” et a connu les camps de travail forcé de la Rhénanie. Ses critiques du pouvoir algérien, après l’Indépendance, lui ont interdit tout retour en Algérie.

Deux de ses chansons ont pour thème l’exil. Dans la troisième “Ih ya baba γayu (Oh ! perroquet)”, à l’instar de La Fontaine, il utilise un animal pour parler de ceux qui font beaucoup de mal en répétant de fausses rumeurs.

Hnifa [1924, Ighil-M’henni (Tizi-Ouzou) – 1981, Paris], a été mariée de force à l’âge de quinze ans avec un homme plus âgé qu’elle. Son deuxième mariage s’est également soldé par un échec. Exilée à Paris en 1957, elle est revenue vivre à Alger après l’Indépendance, avant de retourner à Paris en 1975. Elle qui croyait qu’on avait vendu son étoile au marché du jeudi ou peut-être du vendredi, a fini par la retrouver dans la chanson.

Dans “Ḍḍa ṛay-iw (Ce sont mes pensées)”, elle donne une forme presque théâtrale à sa culpabilité après l’échec sentimental. Dans “Svaṛ a ul iw (Patience mon cœur)”, elle trouve un moyen de dépasser sa souffrance en parlant à son coeur comme s’il était un petit enfant qui s’était égaré. Dans “A mis net murṭ (Ô fils du pays)”, malgré la douleur de la séparation amoureuse, elle pardonne à l’homme aimé.

Chérif Kheddam, [1927, Imsouhel (Tizi-Ouzou) – 2012, Paris], a quitté l’Algérie pour la France en 1947. En plus de son travail dans une usine de fonderie, puis de peinture, il a suivi des cours du soir de solfège et de chant. En 1963, il est rentré à Alger pour animer pendant des années une émission de radio en kabyle intitulée “Les chanteurs de demain”. En 1995, il est revenu à Paris pour se faire soigner. Ses belles chansons ont longtemps bercé l’auditeur kabyle.

Dans “Vgayeṭ ṭelha (Béjaïa est belle)” et “A Leẓẓayer nc’allah aṭṭ ḥluḍ (Ô Algérie si Dieu le veut tu vas guérir)”, il chante la beauté de son pays natal et lui souhaite tout le bien qu’il mérite. Dans “A lemri (Ô miroir)”, chanson traduite en français par Tahar Djaout, iI jalouse le miroir devant lequel se tient souvent sa bien-aimée.

Youcef Abdjaoui, [1932, Akfadou (Béjaïa) – 1996, Paris], a rejoint en 1958 à Tunis la troupe musicale du Front de Libération Nationale. Après l’Indépendance, il a pris la direction de l’orchestre de « variétés kabyles » à la chaîne II de la radio nationale algérienne. En 1969, il s’est installé à Paris. Là, tout en animant des soirées dans des cafés, il a enregistré une quarantaine de chansons toujours d’actualité sur les amours contrariées, l’exil, les problèmes sociaux, la terre natale…

L’amour est le thème des deux chansons “Ṭitt ḍḍ ul (L’œil et le cœur)” et “Iguma ul akem ittu (Le cœur refuse de t’oublier)”. Dans “Aḥlil (Oh-la-la)” il parle de ceux qui le jour s’épuisent au travail et la nuit dans la boisson.

Djamel Allam, [1947, Ilmaten (Béjaïa) – 2018, Paris], a d’abord repris dans les cabarets de Paris ou d’Alger le répertoire de la chanson française, avant de chanter ses premiers succès en kabyle. Dans ses airs de fête et ses balades s’entremêlent le passé, le présent, les us et coutumes de ses ancêtres.

“Mara d’yuγal (Quand il reviendra)” parle du retour de l’exilé dans son pays natal. “Ur’Attru (Ne pleure pas)”, d’une vieille dame qui attend son fils parti rejoindre le maquis. “Ṭela ṭ’amkan’t ag ul iw (Il y a une place dans mon cœur)” s’adresse à tous les laissés-pour-compte.

Figurent également dans ce livre trois de mes chansons avec leurs partitions (solfège et tablature). Écrites à l’âge adulte, elles me semblent rejoindre les thématiques abordées, comme si l’expérience de l’exil trouvait éternellement à s’incarner malgré les différences générationnelles.

Je ne cache pas que j’ai parfois éprouvé des difficultés à transcrire ces chansons de l’oral à l’écrit, puis à trouver le mot juste en français sans perdre toute la richesse de ma langue maternelle.

Pendant longtemps le kabyle est resté plus une langue parlée qu’écrite et les grammairiens ne se sont pas toujours accordés sur la graphie. D’ailleurs certains sons propres à cette langue sont très difficiles à transcrire, voire impossibles.

J’espère néanmoins que ce recueil, reflet de notre âme et de notre culture, apportera au lecteur autant de plaisir que j’en ai éprouvé à rassembler les joyaux de notre patrimoine chanté.

T. Khalfoune

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