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Bouteflika et les forces de l’argent

Lu sur L’Humanité

Bouteflika et les forces de l’argent

Il y a huit ans, Mohamed Benchicou coordonnait « Notre ami Bouteflika. De l’État rêvé à l’État scélérat », un ouvrage collectif dépeignant Alger en Chicago des années 1930, gangrenée par la corruption, les pratiques mafieuses et les règlements de comptes. Au même moment éclatait le scandale Sonatrach, qui mettait en lumière un système industriel de détournement de la rente pétrolière au profit des clans se partageant le pouvoir.

Cruel miroir du système Bouteflika. Depuis, soulèvements populaires et conflits ont rebattu les cartes sur la rive sud de la Méditerranée. Pas en Algérie, où l’emprise du clan présidentiel semble avoir vitrifié le pays, en dépit de la maladie du chef d’État. Passé par les geôles de Bouteflika, l’ancien directeur du Matin dresse, en opposant personnel, un portrait féroce du président algérien, qu’il connaît bien. Un homme à l’ego démesuré, méprisant, froid, calculateur, dévoré par l’ambition, assure Benchicou en retraçant son parcours, depuis son séjour parmi les officiers de la résistance algérienne établis au Maroc jusqu’à l’accident vasculaire cérébral de 2013, qui lui a laissé de graves séquelles, affectant sa mobilité et son élocution. L’auteur revient longuement sur la guerre de l’ombre qui s’est soldée par le maintien au pouvoir d’un président invalide. Bouteflika briguait en 2014 son quatrième mandat en fauteuil roulant et sans s’adresser au peuple algérien.

La tentation monarchique

Son clan laisse aujourd’hui courir la rumeur d’une nouvelle candidature à l’élection présidentielle de 2019, allant jusqu’à mettre en scène, ces jours-ci, une pénible apparition publique du vieil homme épuisé, au regard vide, dans les rues d’Alger… La mascarade en dit long sur la prise en otage de tout un pays.

Dans ce réquisitoire, entrecoupé par le récit troublant de la visite d’Emmanuel Macron, fraîchement élu, à son homologue algérien, l’auteur s’en prend à la « tentation monarchique », qui, assure-t-il, a toujours animé Bouteflika. Peut-être cette tentation est-elle née, suggère Benchicou, dans sa jeunesse à Oujda, lorsqu’il vouait une « admiration secrète » au prince héritier marocain Moulay Hassan. D

auphin écarté du pouvoir par les généraux à la mort du président Boumediene, Bouteflika n’aura dès lors qu’une obsession : récupérer « son » trône. C’est chose faite en 1999, lorsqu’il succède à Liamine Zeroual à la fin de la décennie noire. Commence alors une autre guerre, celle que Bouteflika livre sans merci à l’armée et aux services secrets. « Je suis l’Algérie tout entière. Je suis l’incarnation du peuple algérien. Alors dites aux généraux de me bouffer s’ils peuvent le faire », plastronne-t-il, le 9 juillet 1999, au micro de RTL. Il s’émancipe des gradés, se taille un costume d’homme de paix en amnistiant les islamistes armés, assoit son pouvoir au gré d’obscurs marchandages avec Paris et Washington.

Bouteflika règne aujourd’hui sans gouverner. Mais, dans l’implacable mécanique de confiscation des ressources et du pouvoir qui étouffe l’Algérie, son règne fut et reste celui de la place démesurée conquise avec lui par les forces de l’argent sale.

Cet article est publié par le quotidien L’Humanité.

Le Mystère Bouteflika. Radioscopie d’un chef d’État Mohamed Benchicou Riveneuve, 239 pages, 20 euros

Auteur
Rosa Moussaoui, journaliste à l’Humanité

 




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