Jeudi 3 août 2017
Bouteflika-Macron : beaucoup de bavardage pour peu de choses
Le président Bouteflika peut partir tranquillement en vacances. Après avoir attendu 15 jours, il vient de recevoir la réponse d’Emmanuel Macron à sa lettre envoyée pour la célébration du 14 Juillet. Quelle vaine !
Disons-le tout de suite, l’Algérie de Bouteflika n’a pas reçu de lettre de félicitations pour le 5 Juillet de la part du nouveau locataire de l’Elysée comme s’est empressé de le faire le locataire d’El Mouradia pour le 14 Juillet. La précision expédiée, revenons à ce courrier dont se gargarise les voix officielles du pays depuis 24 heures.
« Je vous remercie pour votre courrier à l’occasion de la fête nationale du 14 juillet et je saisis cette occasion pour vous transmettre, au nom de la France et en mon nom personnel, un message chaleureux d’amitié et de respect », s’enthousiasme le président français dans un courrier très touchant que la presse officielle s’est empressée de rendre public.
Cependant, cette missive d’Emmanuel Macron tombe au moment où le Sénat français rend un rapport des plus critiques sur la gouvernance Bouteflika qu’il soupçonne, au passage, de vouloir rempiler pour un 5e mandat après 20 ans au pouvoir. Rien que ça !
« Il n’existe pas de réelle pression populaire en faveur d’une évolution du régime, en dépit de l’impression de sclérose que peut dégager le pouvoir en place », persiflent les auteurs du rapport qui ont auditionné, (selon Tsa qui a rendu publique l’information), plusieurs personnalités algériennes et françaises dont Abdelkader Bensalah et Saïd Bouhadja, respectivement président du Conseil de la Nation et président de l’APN.
En réalité, le rapport des sénateurs français sonne comme un démenti à son courrier empreint de beaucoup de complaisance : « La nature des échanges commerciaux laisse de fait apparaître une dissymétrie entre l’Algérie, État rentier n’exportant que ses hydrocarbures, et l’Union européenne, puissance commerciale au panel de produits plus développé », laisse douter les sénateurs français. Et d’enfoncer le clou des certitudes de leur président : « L’ouverture attendue, matérialisée par l’accord d’association […] n’a pas encore produit tous ses effets ». Puis de lâcher cette vérité économique que tout Algérien, au demeurant connaît : il est « possible de s’interroger sur la réelle appétence des autorités algériennes pour le libre-échange, en l’absence de diversification de l’économie locale. Le pays n’exporte in fine que de l’énergie ». Malgré les promesses serinées depuis 20 ans par les autorités : « 99,7 % des exportations de l’Algérie vers l’Union européenne en 2015 consistaient en énergie et dérivés du pétrole et 0,3 % en produits agricoles », précise le rapport.
Nous sommes fondés à croire que le président français n’ignore rien de l’état lamentable de l’économie algérienne. Mais pour lui, comme pour les précédents présidents français, l’Algérie est avant tout un souk pour écouler la marchandise produite dans l’hexagone, au mieux un puits de pétrole qui assurera éventuellement l’énergie en cas de crise avec le géant russe. Le reste n’est que cynisme diplomatique car quand Emmanuel Macron salue « votre engagement (s’adressant à Bouteflika) décisif dans le développement du partenariat d’exception qui unit la France et l’Algérie. Votre impulsion dans la refondation engagée en 2012 avec mon prédécesseur a permis des avancées spectaculaires dans tous les domaines », il pense marchés et débouchées au profit des entreprises françaises et non la création de richesses en Algérie. Que d’envolées ! Seulement on sait que concrètement (pour reprendre les termes de l’auteur), il n’y a aucun partenariat d’exception en perspective comme d’ailleurs le promettaient en leur temps Nicolas Sarkozy et François Hollande avant. La preuve ? La dernière mesure discriminatoire prise par l’ambassade de France en Algérie en direction des étudiants algériens souhaitant poursuivre leurs études en France.
La colonisation : cette mémoire de la discorde !
Dans son message, à l’occasion du 5 Juillet, le président Bouteflika s’est laissé tenter encore une fois par l’invocation du passé colonial. « Notre peuple exige toujours une reconnaissance de ses souffrances de la part du colonisateur d’hier, la France ».
Mais Emmanuel Macron, lui, préfère insister pour « assumer notre mémoire commune dans sa vérité et son intégrité. Vous connaissez mes convictions et ma détermination à assumer cet héritage partagé dans un esprit de lucidité et d’apaisement ». Ce « grand ami de l’Algérie » comme l’a qualifié Bouteflika laisse encore ouvert son robinet d’eau tiède. « Il nous faut faire de ce regard sur notre passé le point d’appui d’un nouvel élan vers l’avenir pour notre partenariat bilatéral. Plus que jamais, celui-ci doit se construire sur des projets concrets, structurants et mutuellement bénéfiques », a-t-il professé. D’une chiquenaude, le président français veut ramener son destinataire à une réalité plus prosaïque. Avant lui, François Hollande et Nicolas Sarkozy ont passé leurs mandats aussi avec le même président Bouteflika à parler de « partenariat d’exception ». En pure perte.
En perte de popularité dans son pays (-9%), il annonce ce qu’il appelle « le projet de grande visite officielle que je serais très heureux et honoré d’effectuer en Algérie, au moment qui vous conviendra ».
Le décalage entre les deux présidents est décidément cosmique. L’un est élu démocratiquement, l’autre a tripatouillé deux fois la Constitution pour rester deux décennies au pouvoir. L’un dirige une démocratie, l’autre une kléptocratie. Aussi, bien malin celui qui saura ce que dira ce jeune président de 40 ans à cet autre de 80 ans qui aura connu tous les présidents de la 5e république française.
Par ce courrier enflammé, Emmanuel Macron rallonge le manche qui cogne sur les libertés en Algérie. Pire : il flatte celui là même qui a conduit l’Algérie aux portes de la faillite et fait d’elle la risée du monde.
Pour ce jeune président, comme ses prédécesseurs finalement, la démocratie s’arrête en Corse. Plus au sud, c’est la Françafrique et ses « valeurs ». Les républiques bananières des autocrates qui meurent au pouvoir. Qu’importe la liberté ! Alors soutenir Bouteflika, ou encore Idriss Deby, Paul Kagamé, Joseph Kabila relève des habitudes bien françaises.
Par ses silences – de la realpolitik, diront les spécialistes – l’histoire des deux pays se souviendra du président Macron comme celui qui aura porté les derniers coups de marteau au cercueil d’une démocratie bien mal emmanchée ces dernières années. Pour sa gouverne, tout porte à croire qu’il débute sa première année avec un déplacement à Alger qui restera dans les annales. Le reste est un simple bavardage de circonstance.