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Boycott Maroc

Abdelmajid Baroudi répond à des « intellectuels »

Boycott Maroc

Le boycott de la centrale laitière, cédée en 1981 de la holding royale ONA à  Danone, dure depuis 5 mois au Maroc. Ce boycott populaire est accompagné de celui de l’eau Sidi Ali appartenant à une richissime marocaine et de Ifriqia, propriété du tout puissant Aziz Akhennouche, un homme d’affaire qui a bâti sa fortune sur le dos de réformes fiscales car il était député, président de parti et actuellement ministre de l’Agriculture. Le PDG de Danone voyant ses pertes s’accumuler s’est rapproché de quelques intellos et a proposé une revue des prix trop élevés du litre du lait à l’origine du boycott. Résultat ? 42 intellos marocains se sont fait duper par cet homme d’affaire. S’en est suivi un débat orageux entre ces 42 et le reste des soutiens du boycott.

Nous publions le point de vue d’Abdelmajid Baroudi, ancien militant de Ila Elamam et Nahj El Dimocrati, sur l’appel à la suspension de la campagne du boycott du lait. 
 

« Je suis de loin et avec intérêt les réactions qui ont suivi l’appel à suspendre le boycott de la centrale laitière. Il ne m’appartient pas de juger ces réactions, mais une chose est sûre, c’est que cet appel mérite de faire l’objet de débat. Cela dit, ma modeste contribution à ce débat vise à s’en distancier en posant des questions sur le texte, le prétexte et le contexte de cette initiative.
L’une des questions qui me taraudent et marquent la divergence de la perception de ce que cet appel avance est la suivante : Le texte a-t-il convaincu ou persuadé ? Il me semble que le texte avait pour objectif de persuader. Du coup, la discrimination entre convaincre et persuader nous aide à élucider le caractère persuasif de l’appel. Que dit le dictionnaire Français facile ? Le verbe convaincre signifie : amener à admettre la vérité d’un fait, alors que persuader veut dire : convaincre quelqu’un, réussir à lui faire croire quelque chose, à lui faire faire quelque chose.

Il est clair de par les justifications avancées dans l’appel qu’il veut nous faire croire en la vérité de quelque chose. Or l’expérience ou la réalité ne prouve pas que cette chose existe. Ce qui m’intéresse le plus c’est cette définition que propose le Centre National de Ressources textuelles et lexicales du verbe, persuader et dans laquelle la probabilité du sentimental peut l’emporte sur le discursif censé renforcer la logique sur laquelle doit se baser un discours afin qu’il soit convaincant. « Persuader, c’est amener (quelqu’un) à être convaincu (de quelque chose) par une argumentation logique ou faisant appel aux sentiments.» (1) Cette définition nous renvoie à la distanciation, laquelle nous permet d’affronter la réalité à la logique tout en sachant que cette dernière n’est pas forcement compatible à la réalité. Autrement dit, c’est notre conscience indépendamment de toute projection affective qui nous dicte la vérité qui, dans ce cas précis , n’est pas l’émanation d’une construction formelle, mais elle est la traduction d’un fait à condition que le discours , en l’occurrence l’appel en question soit convaincant et réponde aux objectifs du boycott. Qui plus est, la distanciation par rapport à cet appel assigne à la preuve son sens formelle et non pas matériel qui n’existe pas et sur lequel arc-boutent les signataires en avançant des arguments d’ordre persuasif. Toutefois, la direction de la centrale laitière jusqu’à preuve du contraire n’a pas fait preuve de réponses concrètes aux revendications des boycotteurs. Au contraire, en s’attaquant aux droits sociaux et économiques des ouvriers, le responsable de cette firme a prouvé qu’il n’a qu’un souci, c’est celui de préserver les intérêts de sa multinationale.

Arrêtons-nous sur le texte de l’appel dans le but d’en extraire le côté persuasif et se demander si cette persuasion a eu un impact sur la majorité des boycotteurs. Le pourquoi de cet appel à la suspension du boycott du lait pour dix semaines ne peut être perçu, qu’en tant que proposition au sens je dirais formel, c’est-à-dire une thèse qui se veut convaincante dès lors qu’elle contextualise son appel , mais en mettant en avant l’efficacité du boycott et ses limites . Et ce pour justifier la proposition de l’appel de crainte que la campagne du boycott s’essouffle, tout en y introduisant la volonté du responsable de la centrale laitière et son engagement à revoir le prix du lait, voire à faire participer le consommateur dans la détermination des prix. Je cite : 
Une campagne de boycott ne peut s’éterniser, si elle n’apporte pas des résultats concrets, sans perdre son souffle et sa puissance ou sans avoir des répercussions regrettables. 
• Cette semaine le PDG de la marque de lait cible du boycott, en déplacement au Maroc pour le sujet, a pris publiquement trois engagements : 
o La marque s’engage à vendre le lait frais pasteurisé sans aucun bénéfice. 
o Pratiquer la transparence totale sur la structure des prix de tous les produits de la société et sur la qualité 
o Initier une démarche pour inventer un nouveau modèle de gestion de la marque, de façon à faire participer les consommateurs dans le processus de détermination des prix. 

L’argumentaire, pour ne pas dire l’argument d’autorité selon lequel la probabilité de l’essoufflement du boycott, lié mécaniquement à la volonté du PDG de la firme en question, objet de ce boycott est-il convaincant ? Persuasif, il peut l’être au sens qu’on lui a attribué expliquant que le sentimental ou le manque de distanciation facilite la persuasion. Convainquant, je ne pense pas. Car ce raisonnement est, à mon avis, démuni de preuves qui consistent à réfuter ce que l’expérience nous a appris concernant le pragmatisme qui régit ce genre de multinationales dont le bénéfice prime plus que d’autres objectifs. Qu’on le veuille ou pas, à moins si l’on est victime de naïveté, ce qui n’est pas le cas pour les signataires, la logique capitaliste de ces grandes entreprises cible le cumul du capital. Le fait de s’engager à impliquer le citoyen dans la détermination du prix du lait sans bénéfice aucun relève de la bêtise tautologique que les éléments de langage peuvent formuler en vue de soigner la communication, surtout que les premières sorties des responsables de cette centrale étaient provocatrices et contre productives. Depuis quand la centrale laitière est-elle devenue citoyenne ?

La légitimité de cette question trouve sa légalité dans l’expérience comme je l’ai déjà évoqué, c’est-à-dire que le jugement ne se limite pas à la volonté mais il doit se baser sur des faits, chose que le directeur général de la centrale laitière a prouvée. Il a en effet opté pour la menace au lieu de préserver les droits de ses ouvriers et répondre aux exigences du boycott. Oublions la menace et concentrons-nous sur l’engagement.

A mon humble avis, l’engagement d’un responsable, notamment celui d’un directeur général d’une grande entreprise une fois institutionnalisé, et donc signé, on peut alors croire en sa crédibilité et sa légalité. Autrement, la volonté de s’engager ne suffit pas car elle n’a tout simplement rien de contraignant et ne se soumet pas à la loi. Si non, qui y a-t-il de contraignant dans une conférence de presse ? D’où la différence entre promesse et engagement ? On est en droit de poser la question sur les modalités de la mise en œuvre de la bonne volonté du directeur de la centrale laitière. A-t-il signé un papier traduisant sa volonté citoyenne en engagement et sa nouvelle « philosophie à but non lucratif» ?

Dans quel cadre ? Quels sont les acteurs habilités à assurer la faisabilité de ses engagements ? Au final, la communication ne remplace pas l’action.

Dire qu’«une campagne de boycott ne peut s’éterniser, si elle n’apporte pas des résultats concrets, sans perdre son souffle et sa puissance ou sans avoir des répercussions regrettables. » est une proposition au sens formelle dont le sujet qu’est la campagne de boycott est conditionnée par des résultats concrets, si non, elle est vouée à l’essoufflement. Si l’appel s’était arrêté à ce niveau d’analyse en piochant sa pérennité et son devenir, ce serait logique. Mais le raisonnement a perdu son élan dès lors que le prétexte de la demande de la suspension de la campagne du boycott du lait est apparu comme alternative de la probabilité de l’essoufflement et dans le même temps il nous force de le concevoir en tant que concrétisation des résultats escomptés de ce boycott. Toutefois, se poser des questions sur le devenir de cette campagne nous rapproche de la réalité et nous éclaire sur l’impact de ce mouvement si j’ose dire. D’autant plus que l’imprévisible, puisqu’il s’agit dans ce cas de figure d’un phénomène social et donc humain, échappe aux formules tautologiques car, il est difficile d’en discriminer le subjectif de l’objectif.

Par ailleurs, il est à mes yeux indispensables de diligenter des études sur cette compagne pour répondre aux questions relatives au boycott. Quel est le taux de participation au boycott ? Son impact sur l’économie ? Quelle est la marge de perte des firmes objet de ce boycott ? La campagne, s’accélère-t-elle ou ralentit ? Quelles répercussions du boycott sur les petits commerçants, les ouvriers, les employés et les agriculteurs ? Quelles sont les représentations de la société relatives au boycott ? Quel positionnement du politique par rapport au boycott ? j’aurais bien aimé que cette proposition formulée par les signataires de l’appel à la pause concernant le constat les résultats de la campagne soit présentée sous forme d’étude économique et sociologique susceptible de répondre aux questions posées sur la campagne du boycott tout en sachant que parmi ces signataires figurent des économistes , des sociologues et des chefs de bureaux d’études munis d’un savoir leur permettant d’apporter des réponses à ces questions.

Mon humble entendement me dit que le boycott écrit son histoire dans l’inidentifiable, sans s’intéresser à nos appréciations et nos calculs. Comme s’il nous disait : gardez vos questions et vos analyses politiques et stratégiques pour mesurer la volonté des détenteurs de la vérité économique et leur pouvoir sur la société. On dirait que cet agir social s’est inspiré du On Heideggérien dont la différence entre le Je et Autrui se dissipe. « Le « on » qui n’est personne de déterminé et qui est tout le monde, bien qu’il ne soit pas la somme de tous, prescrit à la réalité quotidienne son mode d’être. »(2) Sauf que le On ou l’inidentifiable du boycott n’impose au Je aucune règle grégaire car il émane d’une conscience collective que l’existence sociale a forgée pour reprendre la formule marxiste. Si le On Heideggérien « retire à l’être-là toute responsabilité concrète »(3) puisqu’il s’agit d’une situation d’indistinction qui favorise sa dictature, le On du boycott prend sa légitimité de l’imprévisible que les calculs ont raté. Je ne boycotte pas parce que tout le monde boycotte à l’image de ce que le On Heideggérien exerce sur moi, mais je boycotte parce que cette outil me permet de dénoncer pas physiquement, mais virtuellement la cherté de la vie. Du coup, le On du boycott de par le fait qu’il est né loin de la formule qu’exige la structure, laisse la liberté sans l’exprimer à tout un chacun et chacune d’y adhérer ou s’en distancier. Et c’est cette liberté spontanée si je puis dire qui lui a permis de durer sans se préoccuper ni de son essoufflement ni de sa pérennité. Toutefois, l’appel à la suspension de la campagne du boycott du lait raisonne selon des concepts en se servant d’un lexique dont la traduction se veut rationnelle et stratégique s’alimentant d’un argumentaire, charmeur d’une élite, diffère du On majoritaire du boycott qui refuse de s’engouffrer dans le préétabli. D’où la naïveté de la question : l’appel à la suspension du boycott du lait, que vise-t-il ?

Abdelmajid Baroudi

Notes
(1) Centre de ressources textuelles et lexicales
(2) Heidegger
L’être et le temps pages : 195-160
(3) Ibid
Pages : 159-161

Auteur
Abdelmajid Baroudi

 




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