Dans un entretien accordé au quotidien La Croix (édition du 24 mars 2025), le cardinal Jean-Paul Vesco, archevêque d’Alger depuis 2021 et élevé au rang cardinal en décembre 2024, livre son analyse sur la crise diplomatique actuelle entre la France et l’Algérie.
Cest un connaisseur des réalités algériennes qui parle. Inquiet et en colère face à la montée des tensions, Jean-Paul Vesco alerte sur les conséquences d’une rupture entre les deux pays et plaide pour une réconciliation fondée sur la reconnaissance des blessures du passé.
Selon ce religieux, le ton autoritaire et direct employé envers les autorités algériennes ne peut être qu’inefficace, l’Algérie n’étant pas réceptive à ce type de rhétorique, surtout lorsqu’elle émane de la France.
Cet entretien sonne comme un appel à la responsabilité des gouvernements français et algérien, à l’heure où la relation entre les deux pays semble à un tournant décisif.
Une crise aux racines profondes
Interrogé sur les récentes tensions entre Paris et Alger, le cardinal Vesco souligne que la crise dépasse largement les questions sécuritaires immédiates, notamment liées au refus de l’Algérie de reprendre certains de ses ressortissants expulsés de France. Selon lui, cette situation est le symptôme d’un passé colonial non réconcilié, dont les séquelles continuent d’empoisonner la relation franco-algérienne. Il compare cette situation à un traumatisme collectif, appelant à une prise de conscience similaire à celle opérée par l’Église sur la question des abus sexuels.
Une relation sous tension
Le cardinal déplore le ton comminatoire de certains responsables politiques français, estimant que la fermeté affichée par Paris ne peut qu’accentuer les crispations algériennes. Il rappelle que l’Algérie, profondément marquée par son histoire, réagit avec une sensibilité exacerbée aux injonctions françaises. Selon lui, la récente crispation autour de la position française sur le Sahara occidental a contribué à dégrader encore davantage la relation entre les deux pays.
L’urgence d’un sursaut
Alors que certains appellent à une rupture définitive entre la France et l’Algérie, le cardinal Vesco met en garde contre un tel scénario, qu’il qualifie de « suicidaire » pour la France. Il insiste sur le risque d’un divorce silencieux entre la République et des millions de Français musulmans, qui pourrait fragiliser davantage la cohésion nationale.
Un engagement pour le dialogue et la coexistence interreligieuse
Sans prétendre jouer un rôle politique, le cardinal rappelle que l’Église en Algérie est avant tout un acteur de fraternité et de dialogue. Il cite l’exemple du bienheureux Pierre Claverie, ancien évêque d’Oran assassiné en 1996, pour illustrer l’importance des liens d’amitié et de respect entre les communautés. Selon lui, seule une approche fondée sur l’écoute et la compréhension mutuelle permettra d’éviter une nouvelle fracture entre les deux rives de la Méditerranée.
Le Cardinal Jean-Paul Vesco est archevêque d’Alger depuis 2021, après avoir dirigé le diocèse d’Oran de 2012 à 2021. En février 2023, il a obtenu la nationalité algérienne, devenant officiellement Franco-Algérien. Connu pour son engagement en faveur du dialogue interreligieux et de la coexistence pacifique, il plaide pour des relations fondées sur le respect mutuel et la compréhension entre les deux rives de la Méditerranée.
Samia Naït Iqbal