Près de trente ans après avoir ratifié la Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), l’Algérie continue de donner l’impression de naviguer entre deux rives : afficher des engagements à l’international tout en maintenant, à l’interne, un cadre juridique et politique qui perpétue les inégalités.
Pour l’avocat et militant des droits humains, Salah Dabouz, l’histoire de la CEDAW en Algérie illustre « un double jeu permanent ». Dès 1996, lors de la signature de la convention, les autorités avaient émis des réserves sur des articles centraux : l’égalité dans la législation (article 2), la transmission de la nationalité (article 9 alinéa 2), la liberté de résidence (article 15 alinéa 4) et l’égalité dans le mariage et la famille (article 16). Ces réserves, souligne-t-il, vidaient en grande partie le traité de sa substance.
Les avancées arrachées par la société civile
Ce n’est pas la volonté politique qui a ouvert la voie à des évolutions, mais la pression constante du mouvement associatif et des militantes féministes. Sous la contrainte, l’État a dû revoir certaines lois en 2005 : la réforme du Code de la nationalité a permis aux Algériennes de transmettre leur nationalité à leurs enfants, tandis que l’abrogation de l’article 37 du Code de la famille a mis fin à l’obligation du « domicile conjugal » imposé par le mari. Deux modifications qui rendaient de facto caduques les réserves sur les articles 9 et 15 de la CEDAW.
Pourtant, ces réserves sont restées officiellement en vigueur pendant deux décennies, preuve selon Salah Dabouz d’une stratégie calculée : conserver des marges de manœuvre à l’international et, à l’interne, se présenter comme gardienne d’une « référence islamique » intouchable.
Entre vitrine diplomatique et verrouillage interne
La décision annoncée en août 2025 de lever la réserve sur l’article 15(4) illustre cette ambiguïté. Juridiquement, ce geste n’apporte rien de nouveau : l’article 37 du Code de la famille ayant été abrogé vingt ans plus tôt, la réserve était déjà vidée de tout contenu. Mais politiquement, cette levée permet aux autorités de présenter un signe de « progrès » devant les instances onusiennes, sans toucher aux points les plus sensibles, comme l’égalité successorale ou la réforme en profondeur du Code de la famille.
Me Dabouz insiste : les véritables conquêtes ne sont pas venues d’en haut mais d’en bas. « C’est la société civile qui a imposé les changements, au prix d’un lourd tribut : dissolutions d’associations, poursuites judiciaires, emprisonnements, exils forcés. » Il cite notamment la dissolution de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, organisation historique, ou encore le harcèlement judiciaire visant des militantes comme Amira Bouraoui.
Les islamistes en embuscade
À ce double jeu du pouvoir s’ajoute une autre dimension : la pression des partis islamistes, souvent prompts à dénoncer toute réforme, même symbolique. Leur opposition récente à la levée de la réserve sur l’article 15, alors que la mesure n’avait plus d’effet pratique depuis 2005, témoigne selon Debbouze d’une logique de « tutelle idéologique » plus que d’un véritable débat de fond.
Le véritable moteur du changement
Au final, les droits des femmes en Algérie n’ont jamais été le fruit d’une générosité de l’État ni d’une initiative des formations islamistes. Ils sont le résultat d’un combat constant du mouvement associatif et des militantes féministes qui, malgré la répression, ont contraint le pouvoir à céder sur certains points.
Pour Me Salah Dabouz, une évidence s’impose : « Tant que l’égalité dépendra des calculs politiques d’un pouvoir soucieux de préserver ses équilibres internes, et des résistances idéologiques qui refusent tout débat serein, les avancées resteront fragiles. Seul le rapport de force imposé par la société civile indépendante peut garantir de véritables changements. »
Samia Naït Iqbal