Jeudi 10 juin 2021
Chabḥa : A baba Amɣar
Bien que Chabḥa ne soit pas très connue du grand public, certains spécialistes estiment son talent exemplaire, avec des interprétations qui frisent la perfection, une musique sensible et une voix douce. Il suffit d’écouter « A baba Amɣar » pour se convaincre qu’ils n’ont pas tort.
Le texte, écrit par Meziane Rachid, est magnifique. Il touche à plusieurs problèmes de la société. Il raconte l’histoire d’un vieil homme qui pleure le sort de son pays transformé en désert ! « Raconte-moi grand-père pourquoi tes yeux ruissellent-ils ? Pleures-tu le sort de ton pays transformé en désert, ou bien as-tu senti le manque de tes enfants ? », telles sont les paroles chantées sur un ton éprenant et une rime épatante.
Elle évoque implicitement la triste situation dans laquelle traîne notre langue ainsi que notre culture kabyle en régression jour après jour.
Les internautes sont nombreux à commenter la chanson sur Youtube. Certains méconnaissent Chabḥa; d’autres se posent la question légitime : « pourquoi Chabḥa n’est pas aussi bien connue que d’autres chanteuses de sa génération, parfois moins talentueuses ?».
Et Chabḥa, ce n’est pas uniquement « A baba Amɣar » mais nombre de titres qui s’écoutent avec délice : « tagujilt », « zouadj », « tiwizi », « A yixfiw »…des titres tout aussi émouvants dans l’intonation et l’interprétation
A noter l’album de Touat Mourad dans lequel elle prête sa voix pour quelques duos, notamment le titre phare « iniyid meliyid » que l’on écoute avec délice.
À noter aussi que Chabḥa et Eldjida Tamctuḥt ont été les vedettes d’une rencontre artistique au mois de mars 2010 organisée à la cité universitaire de Bastos, Tizi Ouzou, dans le cadre de la journée de la femme (*).
Dans la salle de spectacle, pleine comme un œuf, les deux chanteuses, n’avaient rien perdu de leur éloquence bien qu’elles furent en fin de carrière. Elles avaient égayé, l’espace d’une soirée, les spectatrices par des chansons mélodiques désormais inscrites dans notre patrimoine musical. L’assistance, composée de jeunes filles d’une moyenne d’âge de 20 ans, a repris en chœur toutes les chansons, ce qui renseigne sur l’intérêt que porte la nouvelle génération à sa culture ancestrale, contrairement aux idées établies.
Depuis la nuit des temps, la femme kabyle était toujours à l’avant-garde de la sauvegarde de la culture berbère. C’était aussi une occasion pour des étudiantes, artistes en herbe de s’exprimer au côté de leurs idoles, telle que Djamila, chanteuse à la voie mielleuse, Nassima la flûtiste et aussi Soraya, poétesse qui a épaté plus d’un par ses poèmes.
« Ça me fait vraiment plaisir ce que font ces jeunes artistes, mais je leur conseille de se donner à fond dans leurs études. Moi, je regrette d’avoir interrompu mes études en deuxième année universitaire », déclare Eldjida d’un air empreint de nostalgie.
Pour sa part, Chabḥa avait mis en exergue dans son intervention, les dures conditions des chanteuses kabyles qui ont cassé tant de tabous qui gangrenaient notre société. « J’étais la première femme à faire une tournée en Kabylie en compagnie de Lounis Aït Menguellet au début des années 1970 », affirmai-t-elle, en rappelant aussi les moments inoubliables qu’elle a passé à la chaîne II avec l’artiste Ben Ḥannafi.
Nna Chabha At Gacem nous a quitté en juillet 2019, à l’âge de 104 ans.
À sa mémoire, la piste audio de son titre le plus connu « A baba Amɣar » vous est proposé ci-après.