L’Algérie, pays au cœur des tourments géopolitiques et économiques, se retrouve une fois de plus au centre d’un jeu complexe où de grandes puissances et acteurs émergents s’affrontent pour redessiner l’ordre mondial. Mais à cette table où les cartes sont souvent pipées, l’Algérie doit-elle se contenter de jouer avec les règles imposées, ou a-t-elle les moyens – et l’audace – de les réécrire à sa manière ?
Avec ses vastes ressources naturelles, sa position stratégique en Méditerranée et son rôle central en Afrique du Nord, l’Algérie dispose d’atouts indéniables. Pourtant, ces avantages restent sous-exploités, souvent éclipsés par une dépendance excessive aux hydrocarbures et une gouvernance en quête de transformation. Le pays reste englué dans une impasse politique et économique où le statu quo semble peser plus lourd que les promesses d’un avenir meilleur.
Dans ce contexte, la rivalité des grandes puissances, qu’elles soient traditionnelles comme la France ou émergentes comme la Turquie et la Chine, représente à la fois un défi et une opportunité. Ces acteurs voient en l’Algérie un terrain de jeu géopolitique, mais l’essentiel réside dans la capacité du pays à passer de pion à joueur stratégique.
Les partenariats historiques, notamment avec la France et la Russie, peinent à s’adapter à une conjoncture mondiale en mutation. Parallèlement, l’attraction exercée par de nouveaux acteurs, tels que la Chine ou la Turquie, ouvre la porte à des alliances prometteuses mais asymétriques. Si la diversification des alliances est essentielle, l’Algérie doit éviter de tomber dans le piège d’une dépendance renouvelée.
La voie vers une véritable souveraineté passe par une posture de neutralité active , capable de tirer profit des rivalités tout en préservant l’indépendance des décisions stratégiques. L’Algérie peut ainsi se positionner comme un médiateur régional crédible et un acteur pivot en Méditerranée et en Afrique.
Changer les règles : un pari audacieux
Changer le jeu ne se limite pas à redessiner les alliances. Il s’agit aussi de transformer le modèle économique et politique du pays. La diversification économique, tant vantée mais rarement concrétisée, doit devenir une réalité urgente. L’investissement dans les énergies renouvelables, l’agriculture durable et les industries technologiques pourraient libérer le pays de l’étau des hydrocarbures.
Sur le plan politique, le renforcement des institutions et la mise en place de réformes inclusives sont indispensables pour rétablir la confiance des citoyens et attirer les investisseurs étrangers. C’est en consolidant sa base interne que l’Algérie parle d’une voix forte et pourra crédible sur la scène internationale.
Face à un monde en recomposition, l’Algérie se trouve à un moment critique de son histoire. Rester spectateur dans ce jeu pourrait condamner le pays à une marginalisation progressive. En revanche, prendre les rêves de son destin, en changeant les règles du jeu à son avantage, pourrait lui permettre de s’imposer comme un acteur incontournable du XXIᵉ siècle.
Il ne s’agit plus seulement de choisir des alliés ou de négocier des accords : il s’agit de définir une vision claire pour l’avenir et de s’y tenir avec détermination. Car, dans ce jeu où les puissants imposent leurs règles, l’Algérie a une chance unique de prouver qu’elle peut être bien plus qu’un simple spectateur – une joueuse audacieuse, prête à réinventer les règles.
Toute stratégie visant à changer les règles passe inévitablement par une dynamique interne forte. Le peuple algérien, riche de son histoire de luttes et d’aspirations à la souveraineté, doit redevenir un acteur clé du processus de transformation. La mobilisation citoyenne, qu’elle soit politique, sociale ou économique, est le ciment nécessaire pour bâtir un projet national solide.
La jeunesse, en particulier, représente un atout vital. Face à une économie mondialisée et aux mutations technologiques, les compétences et l’énergie de cette génération pourraient servir de catalyseur pour l’innovation et le développement. Cependant, cela nécessite des politiques éducatives adaptées, des opportunités d’emploi concrètes et un environnement propice à l’entrepreneuriat.
En parallèle, la diaspora algérienne, éparpillée dans le monde, pourrait jouer un rôle stratégique. Forte de ses compétences, de ses ressources financières et de ses réseaux, cette communauté représente une richesse souvent négligée. En mettant en place des mécanismes de coopération et d’investissement simplifiés, l’Algérie pourrait mobiliser sa diaspora comme un levier économique et diplomatique puissant, à l’instar de ce que font d’autres nations émergentes.
Une vision régionale et africaine
Sur le plan régional, l’Algérie peut difficilement s’affirmer sans jouer un rôle moteur au Maghreb et en Afrique. La fragmentation du Maghreb, exacerbée par des rivalités historiques, freine le développement et la coopération économique. L’Algérie, en tant que pilier de cette région, doit œuvrer pour dépasser ces divisions et instaurer un climat de dialogue et de coopération avec ses voisins, notamment la Tunisie et la Mauritanie, tout en cherchant des voies pragmatiques pour apaiser les tensions avec le Maroc.
En Afrique, la montée en puissance de la Zone de Libre-Échange continentale africaine (ZLECAf) offre à l’Algérie une opportunité unique de renforcer ses liens avec ses partenaires du Sud. L’intégration dans cette dynamique continentale permet d’accéder à de nouveaux marchés, d’attirer des investissements et de diversifier son économie. Pour ce faire, le pays doit améliorer ses infrastructures logistiques, développer ses capacités industrielles et participer activement aux initiatives africaines de développement durable et de sécurité collective.
L’urgence climatique : une opportunité à saisir
Le défi climatique, souvent perçu comme une menace, pourrait également se transformer en opportunité pour l’Algérie. En investissant dans les énergies renouvelables, comme l’énergie solaire et éolienne, le pays pourrait non seulement répondre à ses propres besoins énergétiques, mais aussi devenir un fournisseur clé pour l’Europe et l’Afrique.
De plus, la transition énergétique pourrait servir de levier pour attirer des investisseurs internationaux et développer des industries locales, créant ainsi des emplois et notamment la dépendance aux hydrocarbures.
Un leadership à construire
Pour s’imposer sur la scène internationale, l’Algérie doit également développer un leadership diplomatique clair et audacieux. Cela signifie renforcer son rôle de médiateur dans les conflits régionaux, comme au Sahel, et porter des initiatives concrètes au sein des organisations internationales, que ce soit l’Union africaine, la Ligue arabe ou les Nations unies.
Le pays peut également capitaliser sur son héritage historique en tant que leader du Mouvement des Non-Alignés pour s’affirmer comme un acteur indépendant, capable de rassembler et de fédérer des positions dans un monde polarisé. Ce leadership nécessite une vision claire et cohérente, soutenue par une diplomatie agile et proactive.
Un avenir à bâtir ensemble
Changer le jeu ou changer les règles n’est pas un choix anodin, mais une nécessité pour l’Algérie. Dans un monde en recomposition, marqué par des crises et des opportunités, le pays doit rompre avec l’attention et adopter une stratégie proactive.
Cela implique de mobiliser toutes ses ressources – humaines, économiques et diplomatiques – pour construire un modèle qui reflète ses ambitions et préserver sa souveraineté.
Car au-delà des rivalités des grandes puissances, c’est bien l’Algérie elle-même qui doit définir son destin. En investissant dans son peuple, en diversifiant son économie et en redéfinissant ses alliances, elle a les moyens de devenir une force incontournable dans le concert des nations. Mais pour y parvenir, elle devra faire preuve de courage, d’unité et d’une vision à long terme.
Comme le disait un proverbe algérien : « Celui qui ne sème rien ne récolte rien. » L’heure est lieu pour l’Algérie de semer les graines d’un avenir qu’elle choisit et maîtrise pleinement.
Dr A. Boumezrag