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Cinéma algérien : plus de 160 professionnels accusent le pouvoir de « blocage » et interpellent Tebboune

Cinéma algérien

Faute de financement et d'une vraie politique cinématographique, les rares salles de cinéma ne projettent plus de films algériens.

Le 9 décembre 2025, une lettre ouverte signée par 164 professionnels du cinéma algérien a été adressée au chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune. Le texte, largement relayé sous le slogan «Tahia Ya Cinéma ! », marque un tournant : jamais le milieu n’avait parlé d’une seule voix avec autant de clarté contre l’immobilisme qui étouffe le secteur.

Les signataires rappellent d’abord les engagements du chef de l’État en faveur du cinéma. Mais très vite, le ton se durcit : près d’un an après les Assises nationales du cinéma, aucune recommandation n’a été appliquée.

« Qui porte la responsabilité du blocage ? », lancent-ils, pointant un pouvoir administratif qui neutralise toute tentative de réforme. Le cinéma algérien est devenu une fiction depuis au moins 2019. Plus de tournage, plus de films dignes de ce nom…

Un décret qui trahit l’esprit même de la relance

Le décret créant le Centre national du cinéma est au cœur de leurs critiques. Selon les professionnels, ce texte n’est rien d’autre qu’un retour à une gestion bureaucratique opaque, déconnectée des besoins réels du terrain. Ils y voient une structure pensée pour administrer le secteur… sans les cinéastes.

Un paradoxe, écrivent-ils, alors que le président appelait lui-même les professionnels à s’organiser dans un cadre clair.

Le message est limpide : l’État a demandé au secteur de se structurer, puis l’a empêché de le faire.

Une année blanche qui fait scandale

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : aucun film soutenu en 2025, pas même un court-métrage. Le Fonds de soutien, censé être l’outil central de la relance, est toujours inopérant.

Pire encore, l’enveloppe financière consacrée ces dernières années ne couvre même pas le coût d’un film moyen selon les standards internationaux.

Le secteur résume la situation sans détour : on parle d’un cinéma qu’on ne finance pas, qu’on n’encadre pas, et qu’on empêche d’exister. Pas seulement, beaucoup de cinéastes sont réduits à être des auxiliaires de censeurs tapis dans la haute administration pour pouvoir tourner de navets et survivre.

Des demandes claires, un avertissement implicite

Les cinéastes ne se contentent pas de dénoncer. Ils exigent l’application immédiate des recommandations des Assises nationales ; la révision ou l’abrogation des textes qui entravent l’activité ; la mise en route effective du Fonds de soutien, avec des budgets adaptés ; la refonte du Centre algérien du cinéma, doté de prérogatives réelles et d’une direction nommée au plus haut niveau ; la participation obligatoire des professionnels aux décisions majeures du secteur.

Cette lettre est aussi une mise en garde : sans environnement stable, sans moyens, sans vision, aucune renaissance n’est possible.

Une mobilisation inédite

Acteurs, réalisateurs, scénaristes, producteurs, chefs décorateurs, ingénieurs son, directrices artistiques, techniciens…

La liste des 164 signataires est un signal politique à elle seule. Une mobilisation transversale, intergénérationnelle, rarement vue depuis des décennies.

Ce front commun donne à la lettre une portée qui dépasse le strict cadre du cinéma.

C’est un appel à un résurrection de ce cinéma qui a connu ses heures de gloire. Mais surtout une déclaration de survie dans ce contexte d’arbitraire et de censure généralisée. Les acteurs du cinéma algérien refusent le silence, l’arbitraire et la compromission. Ils veulent créer, réinventer l’espoir à travers leurs films… Seront-ils seulement entendus ?

Mourad Benyahia

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