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Comment nous en sortir ?

DEBAT

Comment nous en sortir ?

Quelque chose a changé depuis le 16 février. Le peuple algérien veut désormais faire entendre sa voix.

Toute l’histoire de l’Algérie post-indépendante montre avec clarté que les institutions en place et leurs pratiques sont un copié-collé des institutions coloniales. Celles-ci étaient caractérisées par un régime autoritaire, discriminatoire, une gouvernance fondée sur la force brutale. Police et armée étaient utilisées pour imposer obéissance et soumission à la société.

C’est dans ce but que les pouvoirs spéciaux ont été accordés à Guy Mollet en 1956 donnant plein pouvoir à l’armée au moment même où Abane Ramdane ficelait la plateforme de la Soummam qui consacrait la primauté du civil sur le militaire. Paradoxalement, et sans doute du fait que beaucoup de chefs militaires de l’ALN étaient issus de l’armée française, la méthode Guy Mollet a déteint plus sur eux que celle d’Abane.

L’État, expression de la volonté des états-majors

Du coup, l’armée, la gendarmerie, les services de renseignements (SM devenue DRS puis DSS) et accessoirement la police monopolisent tous les pouvoirs. Les exactions de 1963-65, 1992-2000 et 2001 auxquelles s’ajoutent toutes les tortures, les emprisonnements et assassinats politiques sont là pour nous le rappeler si besoin était.

Les menaces proférées régulièrement par les hommes politiques en armes sur les acteurs jugés gênants nous renvoient quotidiennement à cette tragique réalité. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la reproduction des scenarii de confiscation violente de la souveraineté du peuple et de ses biens collectifs n’étonne plus grand monde. C’est un phénomène sociopolitique banalisé, inscrit dans l’ADN des acteurs du régime.

En d’autres termes, c’est devenu leur vision du monde, l’horizon vers lequel tous ces mégalomanes en herbe se tournent naturellement, faisant fi des graves conséquences qui en découlent.

C’est pourquoi, depuis 1962, l’État algérien est clairement l’expression de la volonté des états-majors successifs saupoudrés d’un aréopage d’hommes de paille pour orner le tout d’une façade civile. Le FLN a invariablement servi à cette sinistre mascarade de cache-sexe. L’État est réduit à une mécanique à dominer un peuple méprisé, marginalisé, exclu des décisions le concernant. Toutes les institutions obéissent à cette logique, à la loi du plus fort. Lounis Aït Menguellet l’illustre avec talent dans un de ses poèmes chantés « ahkim ur nes3i ahkim, anwa ara yaggad ma yeqim»1.

Pendant des décennies, le peuple est sommé de courber l’échine, contraint de subir la propagande nauséabonde d’un gang immoral se donnant des allures de révolutionnaire. De discours emphatiques en discours mensongers, les apparatchiks du système ont usé et abusé de toutes les idéologies en vogue. Ils ont invité, entraîné ou financé tour à tour les Black Panthers, les révolutionnaires sud-américains, les Fidayîns palestiniens, les hommes du Front Polisario, les frères musulmans, les plus radicaux des islamistes comme l’égyptien Al-Qaradawi et tutti quanti. Des milliards de dollars ont été subtilisés aux Algériens pour les déverser dans les dépenses d’apparat et de communication à usage local ou à une gesticulation internationale clairement improductive. Le but recherché est que ces apparatchiks civils et militaires se sentent visibles en se donnant des allures de libérateurs pour asservir leur peuple sans réaction extérieure.

La seule fonction de l’État militaro-FLN est, en réalité, la défense des relations de propriété que les apparatchiks entretiennent avec le pays, avec les biens collectifs. Les multiples affaires de corruption à grande échelle montrent l’ampleur de la privatisation de l’État et de ses institutions clés : armée, services de sécurité, justice, police, douanes, fisc, wilayas, entreprises publiques, etc. Elles obéissent toutes à la logique de la prévarication devenue la feuille de route stratégique du système mis en place. Un système devenu mafieux depuis l’ancrage du boumediénisme dans les rouages de tout l’édifice de l’État.

Élections fétiches

Ce rôle interventionniste de l’armée dans la vie politique, sociale et économique du pays reste constant et ne se dément pas aujourd’hui comme le montrent les gesticulations du chef de l’état-major, Ahmed Gaïd Salah qui s’octroie le rôle de Président de la République, de Premier Ministre, de Grand Juge et de Procureur en Chef.

L’appareil de répression, cette « bande d’hommes armés », comme les nomme Friedrich Engels, garde un poids exorbitant dans l’échiquier politique. Un appareil qui verrouille la vie politique et orchestre les attaques contre le processus démocratique mis en marche de façon pacifique par la rue algérienne. Malgré les coups tordus du régime sans cesse recommencés, c’est à une véritable résurrection que nous assistons depuis le soulèvement populaire du 22 février 2019 qui a fait suite aux insurrections de Kherrata et de Khenchela la semaine précédente.

Mais le général de corps d’armée, Gaïd Salah, n’a pas encore pris conscience de l’ampleur et de la nature de la révolte ou feint de l’ignorer. C’est pourquoi il est convaincu que quelques replâtrages par-ci par-là peuvent suffire à faire rentrer au bercail les millions d’Algériens devenus désormais citoyens. Interpellations des uns, emprisonnements des autres et le tour serait joué, selon lui, pour aboutir à ses élections fétiches du 4 juillet 2019. La belle affaire !

Or ce qui semble être une sortie de crise à Ahmed Gaïd Salah est clairement une voie sans issue pour le peuple en lutte. Les Algériens s’intéressent plus que jamais à la vie politique de leur pays. Les militants, jadis fatigués, ont repris des couleurs. La révolte n’est ni régionale, ni sectorielle, ni partisane.

La mayonnaise révolutionnaire à l’algérienne a bien pris partout et ne s’arrêtera pas. L’enthousiasme devant un changement radical à portée de main a gagné les 48 wilayas dans leurs moindres recoins et la diaspora dans les 4 coins du monde. Les universitaires, les syndicalistes autonomes, les juristes, les salariés du privé et du public, les journalistes dignes de ce nom, tous ont pris ou repris leur place dans le débat et dans les sorties anti-pouvoir. Ces actions devenues un sport collectif donnent du tonus à tout un chacun et à tout un peuple. L’option du retour à la case départ est vouée à l’échec.

Panser nos blessures et nous mettre au travail

L’état-major de l’ANP, malgré ses machinations en tout genre, n’a pas d’autre choix que de changer de paradigme. Il doit enfin comprendre que c’est à lui d’être à l’écoute et au service de la société et non l’inverse. Il doit envisager une passation de pouvoir dans les meilleurs délais et avec une formule transparente et honnête qui aille dans le sens de la rue algérienne qui réclame un changement de système incluant la non-ingérence de l’armée dans le politique. L’état-major a été, jusque-là, capable du pire, il peut être, maintenant, capable du meilleur. Le meilleur lui consacrera une sortie honorable et historiquement gratifiante. Pour ce faire, il doit voir la réalité du pays autrement qu’à travers le prisme déformant qui est le sien depuis l’été 1962, période à laquelle le sombre colonel Boumediene a confisqué, par la force des armes, la souveraineté populaire. Ce vieux scénario reproduit plusieurs fois est désormais inopérant.

Une gouvernance active, souveraine et efficace ne peut être menée, dans le monde mondialisé qui est le nôtre, qu’avec la participation effective des citoyens qui réclament désormais de prendre leur part à l’effort collectif de changement. L’État privatisé, arrogant et omnipotent est obsolète, les Algériens n’en veulent plus. Ils veulent un État modeste, décentralisé, accessible à tous à travers des institutions de proximité, des parlements et gouvernements régionaux pour réaliser eux-mêmes leurs propres objectifs. Ils veulent inventer eux-mêmes les mécanismes de solidarité pour garder la cohésion sociale affichée résolument lors de cette révolution. Ils veulent, pour préserver l’unité nationale, que les spécificités des provinces algériennes soient respectées et gérées à leur échelle et non plus de façon arbitraire à partir d’El-Mouradia.

C’est ainsi et seulement ainsi que l’Algérie parviendra à se débarrasser de la 3issaba2, qu’elle pourra sortir du marasme dans lequel la plonge l’état-major au pouvoir compulsif. L’appel pressant du peuple qui répète vendredi après vendredi « Blad, Blad-na ; Rray, Rray-na3 » sera inéluctablement entendu. La page sera tournée ou changera-t-on carrément de livre pour panser nos blessures et nous mettre au travail. Des chantiers gigantesques nous attendent, l’heure n’est plus aux manœuvres dilatoires, elle est à celle d’une nouvelle République, une vraie, celle qui nous permettra de nous en sortir !

H. H.

Notes

  1.  : Rien, ni personne ne peut contrecarrer un pouvoir sans contre-pouvoir

  2.  : Le pays est le nôtre, la prise de décision doit être nôtre

  3.  : 3issaba : Gang, bande

 

Auteur
Hacène Hirèche, consultant à Paris

 




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