Il ne semble pas y avoir actuellement de réponse mondiale cohérente à l’apartheid de genre grandissant que subissent les Afghanes et Iraniennes, malgré une condamnation de l’Organisation des Nations (ONU).
Narges Mohammadi, prix Nobel de la paix 2023 a rédigé en décembre dernier un appel à ONU. Incarcérée dans la prison d’Evin, à Téhéran, elle demandait au secrétaire général des Nations unies, António Guterres, et aux représentants de ses États membres de criminaliser l’apartheid de genre. Le texte intitulé « L’apartheid de genre est un crime contre l’humanité » rendu public le 25 janvier a été publié en français dans des médias internationaux en mars.
Elle y donnait une vingtaine d’exemples des sévices que vivaient les femmes dans ce pays. En Iran, une femme ne peut obtenir un passeport ni voyager sans l’autorisation de son père ou son époux. Elles doivent être deux pour égaler le témoignage d’un homme en cours, et la vie d’un homme vaut le double de celle d’une femme.
La journaliste à France 2, Dorothée Olliéric, a affirmé en mars que les Afghanes subissaient aussi un apartheid de genre après s’être rendu une vingtaine de fois dans ce pays. Quelques mois plus tard, en juin, une jeune Afghane affirmait anonymement devant le Conseil des droits de l’homme à l’ONU que les femmes y étaient considérées comme des esclaves. Fin 2022, le ministère de la Propagation de la vertu et de la Prévention du vice a interdit aux Afghanes l’accès aux parcs et aux salles de sport. L’Afghanistan est le seul pays au monde où l’éducation des filles a été interdite après l’école primaire.
C’est cependant la promulgation en fin août d’une loi, de 87 pages en 35 articles pour « promouvoir la vertu et prévenir le vice », interdisant les relations amicales avec les non-musulmans, qui a mis le feu aux poudres. L’essentiel des restrictions de cette loi visait les femmes qui doivent maintenant être accompagnées d’un mâle de leur famille pour se déplacer. La ségrégation entre les sexes est exigée dans la plupart des lieux publics. La voix des femmes ne doit plus être entendue hors de leur domicile.
Le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, a trouvé répugnant cet apartheid de genre. Selon lui, on ne parle plus de rigorisme, mais d’une persécution systématique des femmes. Le rapporteur spécial pour l’Afghanistan du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, Richard Bennett, affirme que la situation des femmes et des jeunes filles dans ce pays « était l’une des pires au monde ».
Réponses des talibans
Le chef suprême de l’Afghanistan, Hibatullah Akhundzada, ne voit naturellement pas les choses de cet œil. Il affirmait en juin 2023 à l’occasion de l’Aïd al-Adha, que les femmes ont été « sauvées de l’oppression » par les talibans, que leur statut d’êtres humains libres et dignes avait été rétabli et que des mesures avaient été prises pour assurer une vie confortable et prospère aux femmes conformément à la charia. « Toutes les institutions ont été obligées d’aider les femmes à faire valoir leurs droits en matière de mariage, d’héritage et d’autres droits », commente le gouvernement afghan.
Les autorités d’Afghanistan ont aussi dénoncé fin août l’arrogance des Occidentaux qui ont condamné cette nouvelle loi. Elle est « fermement ancrée dans les enseignements islamiques », affirme dans un communiqué le porte-parole du gouvernement, afghan Zabihullah Moujahid. « Rejeter ces lois sans chercher à les comprendre est, selon nous, une expression d’arrogance », dit-il, soulignant que le fait pour un musulman de critiquer cette loi « pouvait même conduire au déclin de sa foi » et que l’oppression et la force ne seront pas utilisées lors de l’application de ces règles, ce qui devrait être fait avec ménagement, en faisant appel à la compréhension des gens, et en les guidant.
Réactions internationales
La réaction mondiale a été importante. Pas de « réintégration » de l’Afghanistan sans évolution sur les droits des femmes, insiste l’ONU. Pour l’UE, la reconnaissance du régime des taliban par les Européens ne pourra se faire que si Kaboul respecte pleinement ses obligations internationales et envers le peuple d’Afghanistan ». Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a affirmé à la mi-août que toute amélioration des relations avec les talibans est tributaire des droits des femmes. Actuellement, aucun pays n’a reconnu le gouvernement taliban.
La réaction négative à l’apartheid de genre vient de partout. Le CIO a contourné le gouvernement taliban lors des Jeux olympiques. En juin, il a annoncé qu’il avait pris des dispositions pour qu’une équipe spéciale de six athlètes représentant l’Afghanistan, à parité entre les hommes et les femmes, se rende aux Jeux olympiques de Paris. Ses membres ont été sélectionnés par le Comité international olympique (CIO) en consultation avec le Comité olympique afghan.
Richard Bennett a demandé en juin aux États membres de l’ONU d’examiner si l’apartheid de genre mis en place par les talibans à l’encontre des femmes pouvait constituer un crime international, tel que le crime contre l’humanité. Cette importante violation des droits humains ne serait pas reconnue par le statut de Rome de la Cour pénale internationale comme un crime international. Il demande donc aux États d’étudier cette question.
Un collectif d’associations et d’ONG demandait aussi le 10 septembre, deux ans après la mort le 16 septembre 2022 de Mahsa Amini, assassinée par la police des mœurs pour un voile mal porté, et à l’occasion du deuxième anniversaire du mouvement « Femme, vie, liberté », que la France se donner les moyens de condamner l’Iran. La République islamique s’attaque ces dernières semaines aux femmes et à la société civile, prononçant à la chaîne des condamnations à mort. Il y en aurait eu 29 pour le 7 août. Sont entre autres visées la militante féministe Varisheh Moradi, la syndicaliste Sharifeh Mohammadi et la militante des droits humains kurde, Pakhshan Azizi.
Le collectif demande au gouvernement français de mettre en œuvre tous les instruments diplomatiques à sa disposition pour que l’Iran ratifie les conventions internationales abolissant la peine de mort. Il voudrait que la France subordonne au respect des droits humains la poursuite des relations diplomatiques avec l’Iran, qu’elle travaille aussi au plan international pour la reconnaissance et la criminalisation de l’apartheid de genre et que soit facilitée l’obtention des visas humanitaires pour les Iraniens qui trouvent refuge en France. Accorder une protection spéciale aux Afghans qui le demandent est mise de l’avant au niveau mondial. En désespoir de cause, couper l’aide internationale fait aussi partie des possibilités. Cela viendrait cependant avec des risques pour la population afghane, vivant à 80 % sous le seuil de pauvreté.
Michel Gourd