Jeudi 23 novembre 2017
Comment sortir de l’impasse, en 10 questions-réponses
Novembre 1975 : 350 000 Marocains se sont mobilisés pour la « Marche Verte ».
Voilà maintenant 42 ans que le dossier du Sahara occidental empoisonne les relations diplomatiques non seulement de l’Algérie et du Maroc, mais également de tout le continent africain. Horst Köhler, énième émissaire de l’ONU, fraîchement nommé, vient de consulter tous les acteurs du conflit. Il devrait bientôt faire connaître sa lecture de la crise et ses propositions pour rapprocher les points de vues. L’équation est d’autant plus difficile à résoudre qu’elle intègre des paramètres de politique intérieure, tant au Maroc qu’en Algérie.
1. Quel est le coût global de ce conflit ?
La facture de ce conflit est abyssale ! Selon plusieurs économistes, l’absence d’échanges commerciaux, de transferts de savoirs et d’intégration économique entre les pays du Maghreb, ainsi que la fuite des capitaux liée à la faiblesse de l’offre en investissement, coûte en moyenne annuelle 2,5 points de PIB, au Maroc comme à l’Algérie.
Si on effectue une projection, à partir de cette évaluation et de l’historique des PIB de la Banque mondiale, on constate que, sans ce conflit, si les pays du Maghreb s’étaient développés en bonne intelligence, le PIB du Maroc, en 2016, serait de 260 milliards $ au lieu 101 milliards et celui de l’Algérie serait de 410 milliards au lieu de 156 milliards. Le Maroc afficherait un revenu par habitant proche de celui de la Bulgarie et l’Algérie jouirait déjà du niveau de vie de la Turquie.
Le coût de ce conflit, c’est aussi 220 000 emplois et 350 millions $ perdus chaque année, selon la Commision économique pour l’Afrique (ONU).
2. A quel titre le Maroc revendique-t-il sa souveraineté sur cette partie du Sahara ?
Depuis le XVIe siècle et jusqu’à la colonisation espagnole en 1924, la plupart des tribus du Sahara occidental devaient allégeance au souverain marocain. Au moment de la décolonisation espagnole, en 1975, la Cour internationale de justice a confirmé l’existence de ces liens historiques. La même année, les Accords de Madrid ont, de fait, redistribué le territoire du Sahara occidental pour les deux tiers au Maroc et pour un tiers à la Mauritanie.
3. Alors pourquoi ce conflit a-t-il éclaté ?
Parce que, dans le même temps, la Cour internationale de justice a estimé que ces liens historiques d’allégeance n’impliquaient pas nécessairement la souveraineté du Maroc sur le territoire du Sahara occidental.
Fort de cet avis de droit ambigu, le Front Polisario a proclamé l’indépendance de la République arabe sahraouie démocratique (RASD). Le roi marocain Hassan II a alors entraîné 350 000 Marocains dans une « Marche Verte » destinée à imposer sa souveraineté sur le territoire contesté.
Dès 1976, le Front Polisario a répondu par la lutte armée, avec le soutien, au moins politique, de l’Algérie. Ce qui a amené la Mauritanie à abandonner sa part de territoire contesté que le Maroc a récupérée en grande partie.
Durant ce long conflit, de nombreux Sahraouis ont été déplacés vers des camps de réfugiés de Tindouf, en Algérie.
Pour finir, en 1991, l’ONU a obtenu un cessez-le feu et s’est engagée à organiser un référendum d’auto-détermination qui, 26 ans plus tard, n’a toujours pas vu le jour.
Depuis, la situation est restée figée. Le Maroc contrôle 80% du territoire et le Front Polisario 20%. Ces deux parties du territoire sont séparées par un « mur de sable » miné, sur plus de 2500 km de long, construit par le Maroc.
4. Qu’est-ce qui empêche de réaliser ce référendum d’auto-détermination ?
Plus le temps passe et moins il devient envisageable de définir un corps électoral légitime et reconnu par toutes les parties. Les populations, à l’époque, étaient nomades, sans état-civil pour la plupart. Elles se déplaçaient sur plusieurs territoires nationaux (Algérie, Maroc, Mali, Mauritanie..).
Les populations, à l’époque, étaient nomades, sans état-civil pour la plupart.
Ainsi, par exemple, pour le HCR, les camps de Tindouf comptent 90 000 réfugiés Sahraouis, pour l’Union européenne, ils seraient plus de 150 000, et selon le Maroc ils ne sont que 25 000. Sur ce constat, le Maroc s’oppose à l’organisation du référendum d’auto-détermination dont il avait accepté le principe et que réclame toujours la partie adverse.
5. Le Sahara occidental recèle-t-il des richesses importantes ?
Le sous-sol contiendrait des gisements de phosphate, une ressource dont le Maroc détient déjà les premières réserves mondiales. Ce territoire dispose également d’un bon millier de kilomètres de côtes poissonneuses dont l’exploitation au bénéfice du Maroc a récemment provoqué une crise avec l’Union européenne.
La question des hydrocarbures reste très controversée
En 2015, l’US Energy Information Administration a estimé les réserves récupérables de gaz de schiste du Sahara occidental à 17 trillions de pieds cube (celles de l’Algérie sont estimées à plus de 750 trillions de pieds cube).
En 2011 et 2012, plusieurs compagnies pétrolières ont déclaré que le Sahara occidental recelait d’importants gisements. Damon Neaves, DG de la compagnie australienne Pura Vida Energy a évoqué des « réserves de pétrole et de gaz naturel considérables ». Bryan Benitz, le président de la compagnie australienne Longreach Oil and Gas (devenue PetroMaroc), a annoncé, au terme d’études sismiques 2D, que « le site de Zag contient d’énormes potentialités gazières ». Tangiers Petroleum, une autre compagnie australienne, a annoncé le succès d’un programme sismique 3D sur le site offshore de Tarfaya. Mais du côté officiel, au Maroc, on considère que rien n’est réellement prouvé et qu’il ne s’agit que d’indices.
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Total a reconnu, en 2012, disposer d’une « autorisation de reconnaissance » couvrant la zone offshore Anzarane. Puis la compagnie française a décidé en 2015, de se retirer totalement de cette zone. Toujours en 2015, des explorations offshore effectuées par Kosmos Energy au Cap Boujdour ont été déclarées infructeuses.
A noter tout de même que trois compagnies pétrolières ont fait le pari de l’indépendance et revendiquent des accords d’exploration pétrogazière signés avec la RASD : Ophir Energy, Maghreb Exploration (filiale de Wessex Exploration plc) et Tower Resourses.
6. A part des richesses naturelles exceptionnelles, qu’est-ce qui pourrait justifier une si coûteuse obstination ?
Le sentiment nationaliste né de ce conflit a cimenté la vie politique intérieure de ces deux pays frères que sont l’Algérie et le Maroc.
D’un côté, il y a l’Algérie qui, fort de sa rente pétrolière, a mené une politique plus sociale, et a atteint un niveau de développement humain proche de celui des pays émergents. Alors que le Maroc, en dépit de ses succès économiques incontestables, reste un pays profondément inégalitaire avec une classe dirigeante nantie et une partie de la population misérable. Mais sous un autre aspect, l’Algérie souffre d’un système financier archaïque et d’un secteur privé sous-developpé, ce qui la rend dangereusement dépendante des cours du baril. Alors que le Maroc a jeté les bases d’une économie moderne qui a donné naissance à des entreprises de classe internationale dans plusieurs secteurs.
Ces deux pays frères partagent la même langue, la même culture et 1900 km de frontières, mais leurs systèmes politico-économiques sont si antinomiques qu’ils peuvent difficilement s’ouvrir l’un à l’autre sans risquer une profonde remise en question. Ainsi chacun se conforte par le rejet de l’autre. Les médias marocains ne cessent de présenter l’Algérie sous un angle excessivement négatif et le discours politique algérien dominant critique le Maroc jusqu’à l’outrance. La dernière en date étant la déclaration du chef de la diplomatie algérienne, Abdelkader Messahel, qui a publiquement attribué la réussite économique du Maroc au trafic de drogue et au blanchiment d’argent sale.
7. Comment se situent les autres pays africains dans ce conflit ?
37 pays africains ont accordé leur reconnaissance à la RASD, mais une vingtaine d’entre eux ont fait marche arrière ces dernières années.
L’Union Africaine reconnaît la RASD qui en est même membre, au grand dam du Maroc qui avait manifesté son désaccord en claquant la porte de l’institution en 1984, pour y revenir en 2017, sans avoir obtenu l’exclusion de l’organisation indépendantiste.
Parmi les pays les plus engagés en faveur du Polisario, on compte bien-sûr l’Algérie, mais aussi l’Afrique du Sud, l’Angola, le Zimbabwe, le Lesotho, le Mozambique, la Namibie, le Botswana ou encore l’Ouganda.
Dans le camp marocain, 28 pays africains se sont récemment prononcés pour la suspension des activités de la RASD au sein de l’Union Africaine : Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cap Vert, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Djibouti, Érythrée, Gabon, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée-Equatoriale, Liberia, Libye, République centrafricaine, RD Congo, Sao Tomé-et-Principe, Sénégal, Seychelles, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Swaziland, Togo et Zambie.
8. Et au niveau international ?
Pour l’ONU, le Sahara occidental est un territoire non autonome. La résolution no 1754 du Conseil de Sécurité engage les parties à négocier « en vue de parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui permette l’autodétermination du peuple du Sahara occidental ». La MINURSO (Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental), qui a été créée en 1991, gère la situation et ses conséquences sociales, sanitaires ou sécuritaires.
D’un autre côté, aucune grande puissance non plus, ne reconnaît la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. La plupart des nations adoptent officiellement la position de l’ONU. Mais les discours politiques sont souvent plus nuancés. De nombreux pays développés, dont la France, les USA ou encore l’Espagne, ont qualifié de « base de négociation sérieuse » la proposition marocaine d’accorder une large autonomie au Sahara. Il faut dire que le contexte sécuritaire dans cette partie du monde, ne favorise pas l’avénement d’un nouvel état, sans expérience ni structures avérées. D’autant moins que la dernière expérience du genre, la sécession du Soudan en 2011, s’est transformée en un bain de sang dont on ne voit toujours pas l’issue.
9. Quelles solutions sont proposées par les différents acteurs ?
Mis à part l’organisation d’un improbable référendum d’autodétermination, que réclament à la fois la RASD, ses soutiens et le Conseil de Sécurité de l’ONU, la seule alternative proposée à ce jour est celle du Maroc qui consisterait en un « statut de large autonomie » au sein du royaume.
Une autre hypothèse, qui circule dans les couloirs de l’ONU à Genève, pourrait faire son chemin. Il s’agirait de négocier une constitution sahraouie qui serait placée sous l’autorité du roi du Maroc, mais pas du gouvernement marocain. Mohammed VI serait alors le garant de cette constitution et le protecteur du Sahara occidental, à la tête, en quelque sorte, d’une fédération chérifienne de 2 Etats. Cette configuration aurait l’avantage, selon ses partisans, d’être conforme à l’héritage historique de l’allégeance des tribus sahraouies et assez rassurante pour la communauté internationale.
10. Qu’est-ce qui pourrait contraindre les parties à accepter un compromis ?
Visiblement pas la communauté internationale qui affiche depuis 26 ans son impuissance à résoudre la crise. D’une manière générale, toute contrainte extérieure paraît vouée à l’échec, voire contreproductive. Dans son récent discours commémorant le 42e anniversaire de la Marche Verte, le roi Mohammed VI a déclaré que « le Sahara restera marocain jusqu’à la fin des temps, et les sacrifices qu’il sera nécessaire de consentir pour qu’il en soit toujours ainsi importent peu ».
Seul un vrai rapprochement diplomatique, et même politique, entre le Maroc et l’Algérie semblerait en mesure de dénouer ce conflit. Au préalable, il faudrait probablement que le Maroc engage un puissant programme de réduction des inégalités et de lutte contre la pauvreté, et que, dans le même temps, l’Algérie libère son secteur privé et entreprenne une vaste modernisation de son économie. Inch Allah…
Dominique Flaux