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Condamnation de Sarkozy et l’exécution immédiate : un déni de l’esprit du droit

Sarkozy

J’avais été en totale opposition avec les idées de Nicolas Sarkozy, l’ancien président de la république française et j’ai du mépris envers l’horrible doctrine de Marine le Pen. Les deux ont été condamnés à l’exécution immédiate de la peine de prison.

Le droit n’est cependant ni le domaine du sentiment ni celui des positions politiques. Il faut garder la tête froide et ne pas s’emballer dans des condamnations ou des soutiens spontanés comme cela se voit dans beaucoup d’interventions médiatiques. 

Excluons ceux qui sont favorables à la condamnation par l’argument de l’égalité des citoyens devant la loi. Il n’y a là rien à débattre car cette affirmation est juste mais elle n’entre pas dans la question de l’illégalité ou de l’injustice.

Pour juger de la pertinence des positions des uns et des autres, il faut au préalable vérifier s’ils ne font pas la confusion entre la loi et le droit lorsqu’ils se lancent dans leurs arguments.

La loi n’est qu’un élément du droit parmi d’autres, on les qualifie de sources du droit. Celui-ci est en conséquence une globalité qui comprend la loi, les règlements, les traités internationaux, la jurisprudence, les usages et coutumes ainsi que les fondements du droit. 

Si nous considérons la loi, la décision d’exécution immédiate qui vient d’être rendue est parfaitement légale. Le code de procédure pénale prévoit la détention provisoire (l’incarcération immédiate) même en cas de décision d’interjeter appel (et non « en appel » comme on l’entend souvent par les étudiants). L’appel n’est donc pas suspensif pour l’ancien président.

En fait, la légitimité des arguments de ceux qui  contestent  la décision d’incarcération provisoire  ne serait acceptable que s’ils parlaient d’un « déni de l’esprit du droit » et pas d’une illégalité. 

Tous partent de l’expression bien connue « tout homme non condamné définitivement est présumé innocent ». Si nous nous en tenons au texte, la constitution n’évoque pas littéralement ce principe. Il faut aller le retrouver dans l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui avait été intégrée ultérieurement dans le bloc constitutionnel en lui conférant la même autorité constitutionnelle.

Article 9 : Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

Cela semble à priori confirmer les arguments de ceux qui parlent d’illégalité de la décision car ils estiment que la présomption d’innocence prévue par l’article 9 doit prévaloir tant que le jugement de la cour d’appel n’est pas prononcé. Cela semble logique mais ils oublient que le Conseil constitutionnel avait rappelé que le droit du double degré de juridiction n’a pas valeur constitutionnelle du fait de son inexistence dans le texte de la norme suprême. 

Il accepte donc que soit intégrée dans les textes de loi la disposition d’exécution immédiate. Mais estime qu’il y a des conditions impératives à respecter comme les exceptions justifiées par le risque que court la population par la liberté provisoire, par la fuite ou par la dissimulation des preuves. Et dans tous les cas la proportionnalité de la peine doit être évaluée en fonction de la gravité du délit et/ou par les exceptions qui viennent d’être citées. Dans toutes ses décisions en cassation la Cour a tenu à vérifier s’il n’y avait pas des abus d’interprétation.

Ceux qui s’offusquent de l’illégalité d’une décision d’incarcération ont une lecture élargie de l’article 9 de la déclaration des droits de l’homme intégrée dans le bloc constitutionnel «Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable … ». Pour eux la déclaration de la culpabilité prend naissance après la décision d’appel.

Dans ce cas ils doivent évoquer plutôt un déni de l’esprit du droit par l’interprétation restrictive du texte constitutionnel. Cela revient à faire appel aux législateurs, donc au politique, pour une modification du texte de la constitution afin que la décision  d’appel soit suspensive dans tous les cas. 

C’est absolument ma position car je trouve anormal que dans un état de droit on puisse incarcérer une personne qui n’est pas encore condamnée définitivement. Ainsi je ne dis pas que c’est illégal mais un déni des fondements du droit.

Et même si j’en venais à accepter certaines des exceptions, il y a une anomalie surprenante. Trois chefs d’accusation importants, comme la corruption ou l’enrichissement personnel ont été rejetés alors qu’il y a condamnation pour «association de malfaiteurs ». Autrement dit, on estime que l’intention, non prouvée dans ce cas, a été exécutée par l’ancien président.  

Si on devait incarcérer tous ceux qui ont envie d’étrangler leurs belles-mères sans en faire, ni une déclaration d’intention ni passer à l’acte, les prisons déborderaient d’une bonne partie des populations mondiales.

Oui, je suis dans l’extrême opposition aux deux condamnés cités au début de ma chronique, par la divergence politique avec le premier, par le dégoût envers la seconde. Mais le droit exclu les positions politiques et encore plus le sentiment et les pulsions de la rancœur. C’est cela la dignité de l’humaniste et du démocrate, il faut beaucoup de courage pour s’obliger à honorer ces deux qualités. 

Pour moi cela a été très dur de rédiger cette chronique car j’ai dû serrer les dents et contrôler ma colère envers les deux personnalités et n’invoquer que l’esprit du droit. 

Moi, Monsieur Sarkozy, je prends soin de réfléchir avant de me servir du Kärcher !

Boumediene Sid Lakhdar

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