20 avril 2024
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Confusion : un danger sur la révolution, par Saïd Sadi

DEBAT

Confusion : un danger sur la révolution, par Saïd Sadi

C’est bien connu dans l’histoire politique. Quand la confusion règne, les portes sont ouvertes à toutes les aventures. Et sans verser dans l’alarmisme, nous y sommes, analyse Saïd Sadi dans une contribution rendue publique sur son mur Facebbok.

Le pouvoir vient de décréter le 22 février, journée nationale pour célébrer l’union qui scellerait l’armée à un peuple criant depuis un an «Etat civil et non militaire ». S’invitant au débat dans la foulée, le secrétaire général par intérim du FLN déclare ce 23 février que « le Hirak ne doit pas se structurer »…Pourquoi se gêner tant que la kermesse est ouverte. On peut multiplier les exemples de lubies énoncées par des affidés ou des apparatchiks d’un système au nom d’une révolution déclenchée contre ce même système.
Pour autant, est-ce bien cela qui menace le plus l’insurrection du 22 févier ? La réponse est clairement, non.

Il y a, aujourd’hui, un plus grand péril qui pèse sur cette révolution.

Les hésitations, les collusions, les contradictions et autres positions à géométrie variable émanant de sources invoquant la rupture créent un climat de confusion propice aux dévoiements et dérives car elles ouvrent la voie aux forces rétrogrades qui, elles, assument leurs objectifs.

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Ces dernières semaines, on observe des initiatives et déclarations simultanées et concertées émanant du camp islamiste qui convergent sur des stratégies de diversion. Leur finalité est d’occulter le débat sur les fondamentaux démocratiques afin de dérouter le fleuve citoyen du 22 février et le vider de sa substance.

Les islamistes savent que la conquête du pouvoir par la rue leur est désormais impossible. D’où l’idée de perturber l’unité du mouvement démocratique pour s’allier à un pouvoir aux abois qu’ils espèrent ensuite phagocyter à court ou moyen terme.

Dans un tel climat, les supports médiatiques et organiques du fondamentalisme, radical ou light, ne se font pas prier pour déterrer les slogans des années 90 tout en invitant à « ne pas faire de l’idéologie ». Comme aux pires années de sang, on martèle les caricatures : le peuple algérien est musulman et donc islamiste et donc acquis au projet intégriste. On sérine à longueur d’émissions que les 200 000 morts sont des islamistes, suggérant qu’ils sont les victimes des adversaires de la paix voulue par des insurgés forcés de prendre les armes…

Volant au secours de ces propagandes, des intellectuels, dont il était attendu lucidité et rigueur, entretiennent les amalgames conceptuels et programmatiques. Les islamistes « qui font partie de la classe politique sont un courant comme un autre, il ne faudrait pas les exclure », nous expliquent-ils. Sauf que le passé comme les proclamations actuelles démontrent le contraire et que la logique de cette affirmation est un peu perverse. En dehors du courant islamiste, il n’y a aucun autre pôle politique algérien qui dit que les fondements de son idéologie sont indiscutables ou qui exclut tout acteur refusant de s’y soumettre. Il y a donc comme une inversion d’intention et de responsabilité dans cette approche. Confusion encore et toujours. Plus important, toutes les autres tendances républicaines se disent disposées à respecter les fondamentaux démocratiques universels, résultat des progrès enregistrés par l’Homme après des siècles de luttes. Et selon que l’on respecte ces fondamentaux ou qu’on les ampute, les réfute ou les diabolise, on est d’un côté ou d’un autre d’une ligne qui sépare de façon rédhibitoire la classe politique.

La dernière mise en scène médiatique de ces revenants a eu lieu le jour même de l’anniversaire de la révolution où des hommes politiques ont rendu publique une visite faite à un autre acteur bien identifié dans les affrontements idéologiques qui secouent la scène algérienne depuis toujours. La rencontre en elle même ne pose pas problème. Mais le traitement confusionnel qui l’a suivie prête à équivoque ; et en politique, soulignons-le encore, la confusion est toujours la racine des pires dangers. On ne décide pas innocemment d’une visite groupée un jour anniversaire d’une révolution pour exprimer une solidarité. Plus grave, on n’impute pas à la révolution ses propres affinités politiques au motif qu’on s’est autoproclamé « figure du hirak ». Et à ce propos, la presse indépendante gagnerait à être plus mesurée dans l’attribution des titres et satisfécits.
L’orchestration de la campagne de victimisation faisant suite à cette initiative interpelle. Je rappelle ici ce que je disais en 2005 sur les limites imposées à la liberté de mouvement de cette personne.

« Si un homme a commis un délit ou un crime, il y a lieu de lui opposer les lois en vigueur. Quand la justice n’a pas été saisie, aucune forme de contrainte ne peut être infligée à un citoyen algérien qui doit bénéficier de tous les droits dont jouissent ses compatriotes ». C’est une chose de défendre les droits civiques d’un homme ; et il ne faut jamais hésiter à le faire. C’en est une autre de faire endosser à l’insurrection citoyenne son parcours, ses positions ou ses convictions, bref son bilan ou son projet. Et c’est bien ce qui est entrain de se faire. Sans que le courant démocratique ou ceux qui s’en réclament, apparemment accros à l’addiction consensuelle, n’aient réagi.

Plus grave; il y a comme une dissolution de la pensée progressiste qui accepte de voir le courant fondamentaliste faire valoir, voire même imposer, ses prétentions idéologiques et qui s’interdit d’assumer ses propres convictions. Se taire aujourd’hui face à cette déferlante médiatique et politique est plus qu’une faiblesse; c’est une complicité validant la thèse qui réduit la scène politique nationale au binôme système-islamisme. Et ce n’est pas en feignant de ne pas avoir vu ou compris ces frontières éthiques et politiques que l’on va faire l’économie d’une discussion sur le devenir national.

On ne règle pas les problèmes en niant leurs causes. Il faut le dire et le redire : une mise à plat générale est incontournable. Nous devons la vérité à notre jeunesse. Pour ma part, il y a longtemps que je me suis prononcé pour l’installation d’une commission vérité et justice.

Certains diront que tout cela est de l’analyse et qu’il faut des propositions. D’abord, une analyse lucide et cohérente est le premier palier de la solution. Ensuite, la proposition majeure est d’assumer en tout temps et tout lieu ses engagements. Enfin, maintenant que le débat est lancé sur ce que veut le peuple, il ne sert à rien de faire l’autruche en bottant en touche les problèmes qui, de toutes façons, sont, de fait, mis sur la table par les segments islamistes.

Ces segments, pourtant hétérogènes, ont tu leurs divergences pour cibler d’une même voix les « démocrates, laïcs, alliés de la France, francs-maçons…». On pourrait rire d’entendre un rejeton d’un courant politique qui a qualifié d’aventure criminelle l’insurrection du premier novembre 1954 accuser de collusion avec la France les fils de la Soummam qui furent les premiers, les plus nombreux et les plus déterminés à prendre les armes contre la puissance coloniale. Sauf que la stratégie de confusion autorise toutes les perfidies, tous les mensonges, tous les coups bas. El ḥarbu xidaɛ.

La démarche de dévoiement et de fractionnement de la révolution par l’islamisme a été entreprise dès le début de la révolution. On se souvient de la contradictoire opération novembria-badissiya, désamorcée par des acteurs démocratiques heureusement demeurés vigilants. Aujourd’hui, on est face à un encerclement plus large et plus coordonné. Devant la rue qui revendique un Etat démocratique civil et non militaire, les islamistes ne disent plus dimuqratiya kufr. Il faut s’en réjouir. Il leur reste à entendre la suite de l’équation : dimuqratiya mačči tiuqratiya.

Le problème algérien sera en voie de résolution quand ce qui demeure aujourd’hui une tentation intégriste deviendra un courant conservateur comme il en existe de par le monde. C’est là un défi qui se pose d’abord et surtout aux personnes éclairées de cette mouvance. Auront-elles la volonté, le courage et la générosité nécessaires pour lancer un débat en leur sein et participer à l’effort d’adaptation général auquel invite la rue algérienne ? Il faut l’espérer.

En matière de destin collectif, l’Histoire reste la meilleure des écoles. Ce n’est pas la première fois que le tenants d’un ordre théocratique servent de béquille à un système autocratique à base militaro-policière. Ce sont eux qui ont assuré en 1963 de leur soutien indéfectible Ben Bella s’il retirait de la constitution le préambule sanctuarisant la démocratie écrit par Ferhat Abbas, alors président de l’assemblée nationale. Collusion qui provoqua la démission retentissante de ce dernier.

En 1991, l’annonce faite officiellement par les vainqueurs du premier tour d’instaurer un pouvoir totalitaire a sauvé le système mis à mal par les marches pacifiques de citoyens démocrates. Provoquera-t-on une troisième irruption théocratique pour justifier un sursis autoritaire ? On en prend le chemin. Reste une donnée sur laquelle les artificiers complotistes, semblent être passés un peu trop rapidement. La rue algérienne qui adopte une méthode originale pour accomplir un destin longtemps contrarié, acceptera-t-elle de rester passive face à un autre projet liberticide contre lequel elle s’est mise en mouvement le 22 février 2019 ?

Il est temps de revenir à ce qui fonde toute démocratie : ses valeurs et principes universels auxquels doit souscrire sans réserve tout compétiteur politique. Cela passe par l’arrêt de l’entretien de postures, d’esquives, de propos ou d’initiatives équivoques qui nourrissent la confusion, poison historique de la vie publique.

Le 29 février 2020.

 

Auteur
Saïd Sadi

 




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