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Congrès de la Soummam : lever les réserves pour avancer

TRIBUNE

Congrès de la Soummam : lever les réserves pour avancer

Le congrès qui s’est terminé le 20 août 1956 dans la vallée de la Soummam après près de deux semaines de travaux, en pleine guerre de libération nationale, constitue une triple prouesse pour ses organisateurs et les populations locales de l’Aârch Awzellagen (1).

Le congrès a élaboré le document doctrinal structurant la lutte de libération nationale dans l’objectif d’édification d’une république démocratique et sociale, défini une organisation territoriale, administrative et militaire basée sur les régions naturelles, et affirmé le non-alignement de ce que sera l’Algérie indépendante par rapport aux blocs politiques de l’Est et de l’Ouest.

Les principes fondamentaux les plus connus, établis dans le contexte de la guerre, et appropriés aujourd’hui par les militants du mouvement populaire de refondation nationale sont : 

  • La primauté de l’intérieur sur l’extérieur (la lutte devait être dirigée par ceux qui sont à l’intérieur du pays),

  • La primauté du politique sur le militaire (le combat libérateur est d’abord politique pour le recouvrement de la souveraineté nationale ; il est dirigé par les instances politiques. Le militaire n’étant qu’un moyen de lutte à côté de la mobilisation populaire, la diplomatie, l’information,…). Ce principe est résumé aujourd’hui par le slogan « Etat civil et non pas militaire ».

Cinq régions d’Algérie avaient été représentées par leurs responsables : Nord-Constantinois (wilaya 2 : Zighout Youcef), Kabylie (wilaya 3 : Krim Belkacem), Algérois (wilaya 4 : Amar Ouamrane), Oranie (wilaya 5 : Larbi Ben Mhidi), Sahara (wilaya 6 : Ali Mellah alias Si Chérif). 

Les travaux avaient été animés par le duo Abane Ramdane – Larbi Ben Mhidi, sans tutelle étrangère, et en terre algérienne.

Seule la région Aurès-Nementcha (wilaya 1) n’avait pas envoyé son représentant suite à la mort au maquis de son responsable, Mostefa Ben Boulaid, en mars 1956,  et la non-désignation à temps de son remplaçant.

Il manquait aussi un représentant de la délégation extérieure du FLN qui était basée au Caire. Ben Bella devait y participer mais il ne l’a pas fait. Il est resté au Caire.  Contrairement à Ben Bella, Larbi Ben Mhidi était rentré du Caire 2 mois auparavant pour ce congrès. 

Ces rappels sont nécessaires pour cette contribution afin de clarifier les événements et lever les principales réserves ou critiques qui sont encore faites à ce congrès historique.

1. La non représentativité (nationale) supposée du congrès de la Soummam.

La crise politique qui a secoué la région Aures-Nementcha a continué bien après le congrès. Les critiques ou surenchères faites après coup n’étaient que prétexte dans la course au leadership dans cette wilaya.

La critique la plus forte est venue du Caire : Ben Bella ne reconnaît pas le congrès. Naturellement, en agissant ainsi, il ne fait que confirmer la position du président Nasser, qui n’acceptait pas que le FLN/ALN puisse s’organiser ailleurs qu’au Caire et sous sa tutelle. Pour Nasser, le patron du FLN/ALN était Ben Bella et personne d’autre. Fathi El Dib, l’homme de Nasser et responsable des services secrets égyptiens, avait totalement marginalisé Boudiaf, Aït Ahmed, Khider, et s’était accroché sérieusement avec Larbi Ben Mhidi lorsqu’ils s’étaient rencontrés au caire.

La tentative de Ben Bella de contrôler le FLN et la révolution depuis le Caire s’était aussitôt confirmée par la campagne qui a été menée après par ses hommes en Tunisie : Ahmed Mahsas (alias Ali Mahsas) était le responsable de cette campagne de dénigrement du congrès et la diffusion de portraits de Ben Bella. Il a été arrêté par le FLN à Tunis.

2. Les véritables fossoyeurs des résolutions fondamentales du congrès de la Soummam étaient les militaires (les 3 colonels ou ‘’les 3 B’’ : Boussouf Abdelhafid, Belkacem Krim, Ben Tobbal Lakhdar) qui avaient pris le pouvoir bien avant l’assassinat d’Abane Ramdane en décembre 1957 et qui dirigeaient sans partage la lutte de libération nationale depuis l’étranger !

Boumediène avait fait le reste en effaçant le congrès de la Soummam de la mémoire populaire. On célébrait alors la journée du moudjahid le 20 août en référence à la manifestation du 20 août 1955 organisée par le FLN à Skikda, sous la forme d’une jacquerie paysanne contre les colons, et qui s’était soldée par des massacres de la population par la police et l’armée françaises. Pas un mot sur le congrès de la Soummam jusqu’à la mort de Boumediène.

3. Le congrès de la Soummam et la prétendue ‘’liquidation des berbéristes’’ (2)

Cette contre-vérité est souvent colportée comme pour disqualifier tout ce qui aurait un lien quelconque avec le FLN historique, de l’avant 1962.

Aucun ‘’berbériste’’ n’a été liquidé comme suite aux résolutions du congrès de la Soummam. Il existe bien une lettre signée par Abane Ramdane et les 5 colonels de wilayas, adressée à la direction du FLN en France, leur enjoignant de « liquider tous les berbéristes et les messalistes… ».

a) Cependant, aucun ‘’berbériste’’ alors présent en France n’a été tué par le FLN. La majorité avait déjà rejoint le FLN/ALN dès le début et certains étaient devenus ses principaux responsables : Omar Boudaoud est devenu le responsable de la fédération de France et Mabrouk Belhocine, l’un des rédacteurs de la brochure ‘’l’Algérie libre vivra’’, étaient devenu le directeur de cabinet de Abane Ramdane à Tunis.

b) Amar Ould Hamouda (cousin du colonel Amirouche), Mbarek Ait Menguellet et Dr. Salah Mohand Saïd ont été arrêtés, jugés et exécutés par  le FLN/ALN en mars 1956, six mois avant le congrès de la Soummam.

Les deux premiers nommés étaient des responsables du PPA-MTLD et de l’OS (organisation spéciale) et engagés dans le camp des ‘’berbéristes’’ en 1948-1949. Ils avaient été dénoncés et arrêtés par la police coloniale. A leur sortie de prison, découragés, ils avaient quitté l’organisation et se sont lancés dans le commerce. Le déclenchement du 1er novembre 1954 les avait surpris. Ils étaient alors convaincus que c’était encore les messalistes (= ‘’arabo-islamistes’’) qui étaient à la manœuvre. Ils prirent l’initiative de doubler le FLN en déclenchant des collectes d’argents principalement auprès des commerçants Kabyles de l’Ouest algérien afin de monter une organisation parallèle fondée sur l’objectif d’une Algérie algérienne. C’était des militants de valeur et l’accusation de malversation n’avait jamais été avancée.

Messaoud Oulamara, alors responsable du FLN/ALN dans la région de Michelet, avait établi la liste exhaustive de tous les commerçants qui avaient remis de l’argent à ces militants ; il avait remis cette liste en main propre à Krim Belkacem en présence de Amer At Chikh (Chikh Amar), alors responsable militaire à Michelet. C’était cette liste qui avait servi de pièce à conviction pour leur accusation et leur jugement pour dissidence et activité fractionnaire. Messaoud Oulamara ne participa pas au procès car il se trouvait à la prison de Berrouaghia ; il avait été arrêté le 2 novembre 1955 juste après l’attaque de la ville de Michelet la veille du 1er novembre. 

Personne ne peut justifier a posteriori les méthodes expéditives imposées par les conditions de la guerre en 1956.  Cependant, ces victimes étaient certes en avance sur la ligne FLN, mais n’avaient pas été exécutées pour motif de berbérisme, et le congrès de la Soummam n’avait pas encore eu lieu.

c) L’assassinat de Bennai Ouali en février 1957 à Djemâa Saharidj est une conséquence des exécutions de A. Ould Hamouda et de M. Ait Menguellet un an plus tôt. Bennai Ouali était responsable PPA-MTLD de la Kabylie de 1945 à son arrestation à Oran en 1950. Il était le chef de fil de la ligne ‘’berbériste’’. Son emprisonnement l’avait exclu du terrain et il avait été remplacé à ce poste par Krim Belkacem. Au déclenchement du 1er novembre 1954, il était inactif politiquement. Il avait aussitôt demandé à Krim  d’intégrer le FLN, mais celui-ci était très méfiant vis à vis de Bennai et n’en voulait pas. Bennai lui avait fait parvenir ce message par Messaoud Oulamara : ‘’le jour où nous aurons besoin de lui, nous l’appellerons » (3).

L’assassinat de Bennai Ouali n’avait formellement aucun rapport avec ses activités et responsabilités passées au sein du PPA-MTLD et de l’OS. Il était certainement révolté par l’exécution de ses amis ainsi que l’autoritarisme et les méthodes expéditives et violentes employées par l’ALN dans sa région. Par son aura et ses capacités d’organisation éprouvées, il présentait alors un danger pour l’unité d’action de l’ALN en wilaya 3 au moment où Krim devait quitter la Kabylie pour la Tunisie.

Le congrès de la Soummam n’était pour rien dans ce drame.

Le congrès de la Soummam : une base pour avancer.

Ce congrès, tenu dans des conditions difficiles, constitue une étape fédératrice exemplaire des forces nationalistes algérienne et une performance réelle dans la démarche de préparation, de déroulement sécurisé et de synthèse finale. 

Il constitue aujourd’hui une base solide pour penser le futur de l’Algérie au sein du sous-continent nord-africain et méditerranéen, dans sa réappropriation historique et sa pluralité culturelle assumée, avec des exigences plus fortes de démocratie et de participation des populations dans la gestion des affaires publiques.

La projection d’un « nouveau Soumman » qui émerge actuellement de la rue algérienne et de quelques personnalités politiques n’est pas un retour vers le passé, mais une espérance atteignable.

A.U.L.

Notes et liens internet :

(1) La tribu Awzellagen (commune Ouzellagen, APC à Ighzer Ameqqran) avait été mobilisée dans le plus grand secret. Les 15 villages alentours et les quelques hameaux avaient tous participé à l’accueil et la protection des nombreux soldats de l’ALN (2000 hommes environs). Les hommes des villages, les femmes, les enfants, les bergers avaient chacun participé à sa façon. Les villages d’Iɣban, Ibuziden, Timelyiwin, Izemmuren, Taẓrutt, etc. avaient accueilli les congressistes et pris en charge les dépenses pendant les 16 jours que dura le congrès. Quelques jours après la fin de ce congrès, l’information était parvenue à l’armée coloniale. Toute la région fut ratissée et tous les villages évacués et détruits au mortier. Seule une partie du village d’Ifri avait était épargnée. En 2019, ces villages sont toujours en état de ruines !

Pour le 30eme anniversaire du congrès de la Soummam, en présence du président Chadli, la chanteuse Ouarda ‘’Djazayriya’’, plus Égyptienne qu’Algérienne, avait été conviée à la cérémonie au monument d’Ifri pour chanter son amour pour la nation… arabe !

Le peuple d’Awzellagen n’était pas convié à la fête ; « Nous entendions de loin la voix de Ouarda l’Egyptienne  ».

(2) Par ‘’berbériste’’, comprendre les militants nationalistes qui s’étaient opposés à la ligne arabo-islamiste au sein du PPA-MTLD en 1948 et qui avaient rédigé et diffusé la plate-forme ‘’L’Algérie libre vivra’’, déclencheur de la crise dite ‘’berbériste’’ (ou plus exactement anti-berbère) en 1949. Certains avaient été dénoncés à la police coloniale et arrêtés, d’autres avaient quitté le PPA-MTLD.

Ce sont ces militants que réhabilite et célèbre aujourd’hui la jeunesse algérienne.

(3) Témoignage de Messaoud Oulamara dans l’ouvrage ‘’Les sentiers de l’honneur’’, éditions Koukou, Alger 2014, pp. 191-194. Voir aussi les ouvrages de Amar Ouerdane, Abdennour Ali Yahia, Ali Guenoun, Saïd Sadi, etc.

Auteur
Aumer U Lamara, physicien, écrivain

 




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