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« Construire ensemble », c’est ce que veulent les Kabyles du Canada

Entretien

« Construire ensemble », c’est ce que veulent les Kabyles du Canada

Hocine Toulaït, le porte-parole du CKC au milieu, entouré de Dr Yesli et Nacer Irid.

C’est la première fois dans l’histoire de l’immigration kabyle, qui remonte pourtant au début du XXe siècle (en France) qu’elle se constitue en lobby. Mais elle le fera non pas en France mais au Canada. Pour se structurer le Congrès des Kabyles du Canada prévoient l’organisation de ses assises en mai. Les émigrés kabyles de ce pays d’Amérique du Nord ouvrent donc la voie pour la mise en place d’un nouveau modèle d’organisation.

Nous vous livrons les réponses de Hocine Toulaït, le porte-parole du Congrès des Kabyles du Canada.

Le Matin d’Algérie : Qu’est-ce qui a motivé la création d’un lobby kabyle au Canada surtout quand on sait que l’émigration kabyle au Canada est relativement récente.

En effet, la communauté kabyle est récente au Canada, comparativement aux autres communautés qui sont là depuis beaucoup plus longtemps. Ceci étant dit, bien que la communauté kabyle du Canada soit récente, les Kabyles ont très bien réussi individuellement à se faire une place. Cependant, comme dans d’autres pays dont les pratiques politiques sont influencées par le système de gouvernement britannique, la communauté joue un rôle plus important que celui de l’individu. Au Canada, les communautés organisées jouent un rôle extrêmement important et profitent pleinement du système politique, et ce sur tous les plans.

Les Kabyles du Canada ont développé un tissu associatif très dense et très actif. Les associations kabyles activent dans des domaines tels que l’enseignement de Tamazight-Taqvaylit, festivités, théâtre, littérature, cinéma et bien d’autres domaines qui relèvent de leur culture d’origine.

Dans le domaine social par contre, il y a très peu d’associations, bien que les Kabyles demeurent très solidaires entre eux comme on a eu l’occasion de le voir à quelques circonstances de maladie ou de décès qui ont touché des familles kabyles. Les Kabyles du Canada demeurent également très sensibles à tout ce qui se passe sur leur terre natale. Comme j’ai eu l’occasion de le dire, quand l’été dernier les feux de forêt enflammaient la Kabylie, le cœur de chaque Kabyle du Canada a fondu et le sentiment d’impuissance nous a rongés.

Pour revenir au Canada, dans l’échiquier politique canadien, chaque communauté est perçue comme une entité interlocutrice et représentative. Le Canada privilégie résolument le dialogue avec les communautés.

La communauté kabyle du Canada, riche de l’expertise et de l’engagement citoyen de ses membres, peut participer d’une façon efficace au développement du pays d’accueil et au rayonnement de sa culture, si elle est bien organisée et solidaire.

De tous ces constats et du désir des Kabyles d’agir ensemble est donc née la volonté de mettre en place une organisation pancanadienne qui les représente.

Aujourd’hui, les Kabyles du Canada sentent le besoin d’aller plus loin. Ils rêvent d’une organisation forte et influente à l’instar des Italiens, des Grecs, des Sikhs, des Haïtiens, des Chinois et de toutes communautés bien organisées.

Et pourquoi maintenant ?

Comme je l’ai dit au début, l’immigration kabyle au Canada est plutôt récente. Elle s’agrandit d’année en année. Aujourd’hui, elle compte plusieurs dizaines de milliers. Ses membres sont bien intégrés individuellement et participent positivement au développement du pays. Non organisés, ils ne sont pas audibles, ils ne sont pas visibles. Ils ne participent pas collectivement aux débats qui animent la société et ne pèsent pas lourd, politiquement parlant. Ils ne peuvent donc pas se positionner comme interlocuteurs pour avancer leurs idées, leurs visions et pour défendre leurs intérêts. Et quand ils ne le font pas, d’autres le font à leur place et en leur nom pour défendre des visions qui ne sont pas les leurs. Rappelez-vous le débat sur la charte des valeurs qui a eu lieu au Québec il y a de cela quelques années. Les Kabyles ont été complètement absents et le débat s’est focalisé sur les accommodements religieux alors que l’enjeu qui nous touche essentiellement est celui de l’intégration par l’emploi et la reconnaissance des diplômes. Les Kabyles du Canada ne sont généralement pas intéressés à discuter de mixité dans les espaces publics ou d’accommodement vestimentaire. Comme je vous le disais il y a un instant, les valeurs de la société kabyle ne constituent pas un handicap à l’intégration, bien au contraire.

Alors, les hommes et les femmes kabyles ne veulent plus qu’on les prenne pour ce qu’ils ne sont pas. Ils veulent être ce qu’ils sont et fiers de l’être; c’est-à-dire ouverts au progrès, à la modernité et à l’universalité, tout en restant solidaires entre eux et avec les autres par l’entremise des mécanismes ancestraux de solidarité et d’entraide.

Ni plus ni moins. D’où, l’urgence pour eux de se doter d’une instance qui les représentera dignement auprès des autres communautés et au niveau des différents paliers gouvernementaux.

Contrairement aux pays européens, le communautarisme semble une donnée sociologique assumée par les Canadiens.

La démocratie canadienne est une démocratie de dialogue. Le dialogue s’exerce au quotidien, pas seulement aux échéances électorales. Le dialogue au quotidien se fait par le biais d’organisations communautaires fortes et organisées. L’organisation communautaire sert de relais entre le pouvoir et le citoyen.

À l’opposé de ce qui se passe au Canada, la France privilégie l’intégration individuelle et rejette l’organisation communautaire qu’elle considère comme un fléau à combattre. À l’exception de l’Angleterre, dans des pays européens à forte concentration d’Africains du Nord tels que la France, la Belgique ou l’Espagne, le procédé d’intégration passe par la désintégration. Dans ces pays, pour s’intégrer, il faut d’abord se désintégrer.

Le Canada est le pays de la diversité. Les cultures et les communautés qui les portent se côtoient dans le respect mutuel et celui des valeurs enchâssées dans la Charte canadienne des droits et libertés.

La liberté de croyance et de conscience, ainsi que l’égalité entre les hommes et les femmes sont des valeurs sacrées. Les Kabyles, dans leur majorité, croient en ces valeurs. Toutes ces valeurs reflètent parfaitement l’esprit du Kabyle qui a toujours cru en toutes les croyances et l’a toujours exprimé par « Jmââ Liman ».  Le Congrès des Kabyles du Canada (CKC) met de l’avant cette valeur ancestrale qui symbolise l’ouverture sur autrui, quelle que soit sa croyance.

Vous comptez donc vous imposer comme un interlocuteur ou un lobby de la communauté dans ce pays.

Il le faut! Il faut AGIR et pas seulement réagir. Il y va de l’avenir de nos enfants. Si nous voulons être reconnus, écoutés et influents, nous devons nous organiser. Seule une instance représentative forte et légitime nous permettra de jouer dans la cour de la démocratie canadienne pour faire une bonne place aux futures générations et contribuer pleinement à la société canadienne.

Quels sont les conditions d’adhésion et vos objectifs ?

Pour adhérer au Congrès des Kabyles du Canada, il faut se reconnaître dans la vision, la mission et les valeurs mises de l’avant par l’organisation. La vision du CKC est de faire des Kabyles une communauté reconnue et influente au Canada. La mission du CKC est claire. Sa mission est de rassembler et mobiliser toutes les ressources pour la défense des valeurs et des intérêts de la communauté kabyle afin de lui assurer un développement harmonieux.

Cette mission repose sur des valeurs préexistantes dans la société kabyle d’origine et en harmonie avec les valeurs canadiennes. Ces valeurs sont basées sur l’union et la solidarité, le respect et la dignité, l’égalité entre les hommes et les femmes, la tolérance et le pacifisme, l’inclusion et l’universalité, et enfin l’ouverture et la modernité.

C’est aussi ça que ça prend pour être un bon citoyen canadien et c’est ce que ça prend pour être une bonne communauté au Canada. Pour devenir membre du CKC, la seule condition est de prêter serment de défendre toutes les valeurs ci-dessus en jurant « Jmââ Liman ». Le reste n’est que formalités.

Les organisations culturelles et sociales actuelles sont sollicitées par le CKC pour mettre l’épaule à la roue, comme on dit ici, et faire avancer le train des Kabyles du Canada vers une destination qui fera la fierté des générations futures. Nous n’avons pas le choix que de nous placer dans une perspective constructive. Notre mot d’ordre est « construire ensemble ».  

Quelle est la prochaine étape ?

La prochaine étape sera la tenue des assises qui sont prévues pour le 13 mai 2018 à Montréal. Notre rôle en tant que Comité de préparation de ces premières assises est d’assurer des conditions gagnantes pour la création d’une organisation unificatrice dans laquelle les hommes et les femmes kabyles, toutes générations confondues et quelles que soient les aspirations personnelles de chacun, puissent conjuguer leurs efforts pour une présence au Canada significative et reconnue.

Nous sommes conscients que le chemin est long et le travail à faire est ardu. Le Comité de préparation des assises y croit fermement, car les consultations que nous avons menées auprès des Kabyles nous confirment que c’est le moment ou jamais.

En tant que porte-parole de ce projet, je peux vous affirmer que l’équipe qui prépare cette nouvelle organisation est déterminée, organisée et efficace. En plus, elle travaille dans la fraternité et la joie. Le mot d’ordre «Construire ensemble » s’applique très bien à l’équipe et nous espérons partager cet enthousiasme avec tous les Kabyles du Canada.  

 

Auteur
Hamid Arab

 




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