Dans les États rentiers, où la richesse repose sur l’exploitation de ressources naturelles abondantes, un système opaque et pernicieux prospère. À la place d’institutions robustes, ces régimes s’appuient sur un triptyque mortifère : la cooptation, qui soude le pouvoir par la loyauté, la corruption, qui fait circuler l’argent et lubrifie les rouages du système, et le charlatanisme, qui masque l’absence de vision par des discours vides et des promesses impossibles.
Ce trio n’est pas une conséquence malheureuse des ressources naturelles : il en est le mode de gouvernance. Voici comment ces dynamiques se renforcent et précipitent la déliquescence des régimes qui en dépendent.
La cooptation : le ciment d’un pouvoir clientéliste
Dans une économie rentière, le pouvoir repose sur une logique de redistribution hiérarchisée. Les élites dirigent en cooptant leurs alliés : des postes, des avantages et des parts de la rente sont accordés non sur la base du mérite, mais en échange d’une loyauté sans faille. Cette mécanique crée un système de clientélisme où les plus dociles montent en grade, laissant les compétents, souvent critiques, à l’écart.
Mais ce modèle est une impasse. Il élimine l’innovation, épouse la diversité des idées et laisse l’État entre les mains d’une élite étroite, davantage préoccupée par la protection de ses privilèges que par la construction d’un avenir. En bout de chaîne, les citoyens, déconnectés de ces mécanismes de décision, sont réduits à des spectateurs passifs ou à des instruments manipulés pour valider les apparences démocratiques.
La corruption n’est pas un dysfonctionnement dans ces régimes : c’est une composante essentielle. Elle permet de maintenir l’illusion d’une stabilité, en graissant les rouages administratifs, en acquérant des soutiens ou en finançant la répression. Chaque transaction illégale nourrit une chaîne de dépendance où l’argent circule des caisses publiques vers les comptes privés, diminuant progressivement la capacité de l’État à fonctionner.
Mais ce système est un château de cartes. Plus les fonds disparaissent dans des circuits opaques, plus les infrastructures publiques s’effondrent. Les écoles, les hôpitaux et les routes tombent en ruine, alimentant la colère populaire. Dans ce contexte, la corruption devient à la fois une bouée de sauvetage pour le régime et une pierre attachée à ses pieds.
Le charlatanisme est l’oxygène des États rentiers. Incapables de résoudre les problèmes systémiques, leurs dirigeants excellents dans l’art de détourner, de détourner et de promettre. Des projets démesurés, souvent irréalisables, sont lancés pour captiver l’opinion. Des discours triomphalistes célèbres des « succès » inexistants.
Ce spectacle cache mal les fissures profondes du système. Les citoyens, inondés de propagande, finissent par douter de tout, même des vérités les plus évidentes. Cette désinformation délibérée empêche tout débat sérieux sur les réformes nécessaires, gelant la société dans un statu quo mortifère.
Un cercle vicieux renforcé par la rente
Le problème de fond reste l’effet pernicieux de la rente. Les revenus tirés des ressources naturelles offrent un confort apparent qui dissuade toute transformation structurelle. Pourquoi diversifier l’économie quand les barils remplissent les caisses ? Pourquoi investir dans des institutions solides quand le système de cooptation garantit le contrôle ? Pourquoi changer, quand chaque crise peut être temporairement étouffée par une redistribution clientéliste ou une répression ciblée ?
Mais ce modèle est insoutenable. À mesure que les ressources s’épuisent ou que les cours mondiaux fluctuent, les revenus diminuent. Le système de redistribution vacille, les contestations populaires augmentent, et les élites, incapables d’imaginer un autre mode de gouvernance, s’accrochent à des mécanismes de répression toujours plus brutaux.
De l’impasse à la transformation
Pour sortir de ce cercle vicieux, il faut briser les piliers mêmes de ce modèle. Cela passe par une réinvention complète des institutions :
Remplacer la cooptation par la compétence : créer des mécanismes d’accès au pouvoir basé sur le mérite et la transparence.
Éradiquer la corruption en renforçant la redevabilité : instituer un contrôle indépendant des finances publiques et punir réellement les abus.
Dissiper le charlatanisme par la vérité : promouvoir une communication honnête sur les défis et les opportunités, même au prix d’une impopularité à court terme.
Cela implique également de diversifier l’économie, de renforcer les infrastructures sociales et d’investir dans l’éducation. Ces réformes, bien qu’exigeantes, sont la seule alternative à un effondrement inévitable.
Le système en bout de souffle
Les États rentiers, enfermés dans leur modèle basé sur la cooptation, la corruption et le charlatanisme, jouent leur survie à chaque fluctuation des marchés. Tant qu’ils persisteront dans cette logique, leur avenir restera sombre : des crises récurrentes, des populations en souffrance, et des régimes en sursis.
La véritable question est de savoir si ces systèmes sauront se réinventer avant que le barillet de leur propre roulette russe ne fasse feu. Pour l’instant, ils continuent de vivre dangereusement, sans réaliser que l’arme qu’ils prennent est pointée directement sur eux-mêmes.
Dans les États rentiers, le pétrole alimente les caisses, la corruption les élites, et le charlatanisme les illusions d’un avenir qu’on ne construit jamais. »
Dr A. Boumezrag