Mardi 23 avril 2019
Crimes et châtiments : Du «qui tue qui ?» au «qui juge qui ?»
« Celui qui creuse une fosse pour autrui y tombe lui-même » F. Dostoïevski
De la violence armée aveugle à la violence sournoise de l’argent facile, un seul objectif poursuivi la pérennité du système. Un système qui assure la primauté du militaire sur le civil et accorde la priorité du marché extérieur sur le marché intérieur. Une seule vérité, celle que témoignent l’assassinat d’Abane Ramdane par ses compagnons de route et le meurtre en direct de Boudiaf par sa garde rapprochée. Que de zones d’ombres, l’histoire est à revisiter.
La légitimité historique s’essouffle, la légitimité populaire surgit du néant, personne ne l’attendait ; la rente pétrolière et gazière s’estompe, le travail réclame ses droits. Personne ne peut dire le contraire. D’où ce cri de colère des jeunes : « gardez votre butin de guerre, emportez le dans votre tombe, mais de grâce épargnez l’Algérie, la nôtre, celle que nous aimons ; la vôtre vous l’avez enterré vivante ». Le phénomène contestataire contemporain est le produit de toutes les tensions, les traumatismes et les frustrations accumulées durant ces dernières décennies. Le mouvement de protestation traduit le désarroi d’une population privée d’idéal et de perspectives d’avenir dans un contexte de crise sociale et de contradictions économiques.
Les difficultés économiques, le malaise social, l’impasse politique, le règne de l’immoralité ne sont pas étrangers à cette révolte populaire d’un peuple désabusé mais déterminé à mettre fin à l’arbitraire, l’humiliation, l’oppression, l’indignité par des moyens pacifiques dans l’unité et la solidarité, de façon méthodique, cohérente et civilisé loin des politiciens de tout bord qui ont fait de la politique une profession lucrative.
Par des manifestations pacifiques grandioses, dans un espace public qu’il lui est interdit, il affiche clairement sa volonté de se libérer du système répressif et corrompu du système hérité de la colonisation française reconduit par l’élite du mouvement de libération nationale au lendemain de l’indépendance. Ce qui frappe d’emblée l’observateur, c’est la jeunesse des mouvements contestataires, c’est « l’impuissance du fusil face au sourire d’un bébé », c’est la neutralisation pacifique des forces de répression du régime en place, c’est la crainte qu’il suscite auprès des capitales occidentales, c’est le danger de le voir se propage dans la région, Inédit, il menace l’ordre mondial dominant.
Partout dans le monde les jeunes aspirent à participer plus activement à la gestion des affaires politiques et économiques. Cependant dans la plupart des pays arabes les systèmes sont sclérosés empêchant le renouvellement des élites et la renaissance des idées.
La jeunesse algérienne ne veut plus d’un Etat comme un legs du colonialisme ou comme un instrument domination occidental. Ce qu’elle désire par-dessus tout c’est d’un Etat de droit ouvert sur le monde fondé sur une morale et animé par des dirigeants honnêtes et compétents élus en toute liberté sur la base d’un programme clair et d’un échéancier précis et sur la base duquel ils seront appelés à être jugés. « Tout pouvoir sans contrôle rend fou ».
Quand tu as le pouvoir, tu as l’argent, et quand tu as l’argent, tu gardes le pouvoir. Il n’y a pas de corrompu sans corrupteur, le prix du brut grimpe, les coffres se remplissent, tout coffre a une serrure, toute serrure a besoin d’une clé, la clé c’est le pouvoir, l’argent devient roi, les années fric blanchissent les années noires, les réseaux mafieux se forment, l’islamisme se compromet, son discours est inaudible. L’accès au pouvoir interdit. D’autres courants religieux pointent leur nez, le désarroi de la jeunesse une aubaine, le curé refait surface. Il n’est plus en soutane, il porte un costume, les élites se terrent, l’unité religieuse se fissure, la crise morale s’affirme, les scandales se multiplient, l’argent corrompt, tout homme a un prix, un homme sans prix est un homme sans pouvoir et un homme sans pouvoir est un homme sans valeur. Pour se faire valoir, il faut disposer d’un pouvoir. Il n’y a pas de pouvoir sans argent comme il n’y a pas d’argent sans le pouvoir. Les deux se tiennent la main et font le marché ensemble le plus souvent à l’étranger. A partir de là rien ne change.
Pour les détenteurs de l’argent « Les chiens aboient, la caravane passe » ». Pour ceux qui en bénéficient « tout ce qui rentre fait ventre ». Pour les autres « l’argent n’a pas d’odeur ». L’argent facile fascine. La violence aveugle et l’argent facile sont les deux facettes d’une même Algérie, celle de l’impunité. Le crime et la corruption se conjuguent au passé, au présent et au futur. Ils cohabitent dans le même palais. Le pouvoir n’est pas prêt de changer. Il ne scie pas la branche sur laquelle il est assis. Il est comme un poisson dans l’eau. Il se nourrit des eaux troubles.
Hier c’était la violence armée, aujourd’hui c’est la violence de l’argent. La transparence l’effraie. Quand la vérité éclate, l’argent se terre, la politique se dénude, les hommes révèlent leur impuissance, les femmes s’indignent, le couple se déchire, la famille s’effrite, la société se meurt, la viande se drogue à la cocaïne, le pain moisit à domicile, le lait bronze au soleil, la plume s’assèche, le fusil se rouille, le pouvoir s’avère inutile.
Alors que faire ? Il s’agit d’engager une réflexion collective sur un projet de société consensuel alliant modernité et islam. Une modernité basée sur l’intelligence n’étant l’apanage d’aucune langue, d’aucune religion, d’aucune génération. Elle appartient depuis la nuit des temps à l’humanité toute entière et un islam authentique ouvert et tolérant. Il n’a besoin ni d’idéologie pour le véhiculer, ni de clergé pour le représenter, et encore moins de partis politiques pour le défendre. Il est à la portée de tout un chacun, il suffit de croire en l’unicité de Dieu et d’attester que Mohamed est son prophète. Le monde d’aujourd’hui tend à marcher, avec ses deux pieds le spirituel et le temporel, le bien-être matériel et la tranquillité morale sachant que la religion apaise et que la modernité agite, le pied droit ne marche sans le pied gauche. Les deux vont ensemble dans une même direction.
L’homme est à la fois corps et âme. La vie est faite d’eau et de feu. La paix et la guerre cohabitent dans le même palais. La misère et l’opulence se côtoient au quotidien. L’amour et la haine couchent dans le même lit. Le bien et le mal vivent côte à côte. Le corps est mortel, l’âme est éternelle. « Semer dans la vie d’ici-bas (le bien ou le mal) et récolter dans l’au-delà (le paradis ou l’enfer) », tel est l’enseignement de notre religion. Et nous en sommes encore loin. Nos actes contredisent souvent nos paroles. Dieu est absent de nos cœurs. Le ventre a englouti notre cerveau. Nous prenons nos rêves pour des réalités. Nous délirons. Une population traumatisée, rebelle et imprévisible l’empêche de dormir. La vérité est comme la femme. Nue, elle fait peur à l’homme, elle révèle son impuissance, habillée, elle le rassure, elle cache ses défauts. Seul le pouvoir arrête le pouvoir.
Le pouvoir de l’argent contre le pouvoir de dieu. Qui dira non à l’argent facile ? Hier, le dirigeant vendait ses propres biens pour libérer le pays ; aujourd’hui, il vend son propre pays pour acheter de la cocaïne. Déçu par tant de forfaitures et de lâcheté, un poète inconnu aurait lâché ce cri de désespoir au peuple algérien : « pleure comme une femme, un pays que tu n’as pas su bâtir comme un homme ». Un pays ouvert aux quatre vents.
L’Algérie n’est pas en marge du reste du reste du monde, Elle subit les influences extérieures. Malgré la fragilité interne de ses institutions, elle résiste farouchement et énergiquement au terrorisme islamique et à la mondialisation sauvage, les deux faces d’une même réalité, celle de la puissance de l’argent. Un argent sale qui colonise le monde. Un argent qui se nourrit de pétrole, de gaz, de sueur, de sang, de drogue, d’armes, de cigarettes, de déchets humains. Cette oligarchie financière mafieuse qui avance masquée. Une guerre clandestine est menée contre les peuples par le terrorisme sous toutes ses formes.
Le crime organisé est l’autre facette de la mondialisation. Les Etats-nations sont impuissants face à la corruption mondialisée qui pourrit les sociétés dans le silence et l’opacité. Et cela ne date pas d’hier. « Nous savons maintenant qu’il est tout aussi dangereux d’être gouvernés par l’argent organisé que par le crime organisé » (F. Roosevelt). On dit que l’argent n’a pas d’odeur ; le pétrole démontre le contraire, il pollue tout sur son passage. Il est l’urine du pouvoir et l’eau bénite de la modernité. L’argent sale navigue dans les eaux glacées de la corruption comme un poisson dans l’eau.
Destruction des richesses par la dilapidation ou déplacement de richesse par la corruption ne sont-ils pas des crimes contre l’humanité ? Que vaut l’opulence d’une minorité au prix de la misère d’une majorité bâti, quel est le mérite d’une fortune bâtie sur le crime économique couvert par le politique dominé par l’armée. L’économie étatique constitue le terreau de la corruption. Il n’y a pas de crimes sans argent comme il n’y a pas d’argent sans crimes. Crime et argent se conjuguent à tous les temps et à toutes les personnes. Un homme séduit par l’argent facile est presque toujours un homme corrompu et par extension corrupteur. C’est un criminel en herbe. Il n’y a pas d’argent propre ou d’argent sale, il y a de l’argent tout court. L’argent n’a pas d’odeur. Entre le pétrodollar et le narcodollar, le dénominateur commun est le dollar. Il corrompt tout le monde. Nous sommes tous drogués. Elle est dans la farine, dans la poudre de lait dans la viande, dans les médicaments. Elle est dans tout ce que le gouvernement importe et que nous consommons sans sourciller. « On ne crache pas dans la soupe ». « Qui rentre fait ventre ». Une cure de désintoxication nécessite une hospitalisation or nous n’avons plus d’hôpitaux. Nous tabassons nos médecins. Nous poussons vers l’exil nos cadres. Nous faisons fuir nos enfants dans des embarcations de fortunes que nous payons à prix d’or. Nous n’avons pas su offrir des emplois à nos jeunes pour leur éviter de tomber dans le besoin, l’ennui et le vice.
Nous sommes des incorrigibles. Nous n’avons construit que des prisons et des casernes. Nous n’avons formé que des policiers, des soldats, des chômeurs en surnombre, des vendeurs à la sauvette des camelotes que nous importions pour faire illusion. Où sont les paysans, les ouvriers, les artistes, les penseurs, les poètes. Nous avons poussé vers l’exil les forces vives de la nation. Le développement a consisté à importer des bâtiments en cartons, des usines tournevis, une autoroute meurtrière. Un Etat constitué de coquilles vides que l’on désigne sous le vocable d’institutions qui obéissent aux ordres et non aux lois. Une économie dans laquelle le dollar est « le seul décideur » de l’Algérie indépendante.