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Criminalisation de la colonisation : « Un texte en contradiction juridique avec les accords d’Évian », selon Benjamin Stora 

APN

La loi criminalisant la colonisation est en contradiction avec les Accords d'Evian, selon Benjamin Stora.

Adoptée mercredi dernier par l’Assemblée populaire nationale, la loi algérienne portant sur la criminalisation de la colonisation française relance le débat mémoriel entre Alger et Paris. Dans un entretien accordé à RFI, l’historien Benjamin Stora décrypte un texte qu’il juge avant tout politique et symbolique, dans un contexte de gel du dialogue mémoriel franco-algérien.

La loi votée par les députés algériens affirme l’imprescriptibilité des crimes de la colonisation et pose les excuses officielles de la France comme préalable à toute réconciliation mémorielle. Pour Benjamin Stora, spécialiste de l’histoire coloniale et coprésident de la commission mixte algéro-française sur la mémoire, cette démarche ne saurait toutefois être interprétée comme une traduction juridique immédiate.

Selon lui, le texte relève principalement d’une stratégie de positionnement politique et symbolique. « La question des excuses devait être l’aboutissement d’un long travail mémoriel engagé ces dernières années », rappelle-t-il, soulignant que ce chantier — amorcé notamment à partir de son rapport remis en 2021 — s’est interrompu depuis près de deux ans.

Les excuses, un horizon désormais lointain

Dans ce contexte, la perspective d’excuses officielles de la France apparaît peu probable à court terme. Benjamin Stora met en cause la dégradation du climat politique en France, marquée par la montée en puissance de l’extrême droite, hostile à toute reconnaissance des exactions commises durant la période coloniale. Cette évolution contribue, selon lui, à figer le dialogue et à éloigner toute avancée mémorielle substantielle.

Un texte en contradiction juridique avec les accords d’Évian

Sur le plan du droit, l’historien pointe une contradiction entre la loi algérienne et les accords d’Évian de 1962. Signés par les deux parties, ces accords prévoyaient explicitement l’absence de poursuites pénales pour les faits commis durant la guerre d’indépendance. L’affirmation actuelle de l’imprescriptibilité des crimes coloniaux traduit ainsi moins une rupture juridique qu’un déplacement du débat vers le terrain politique et symbolique.

La revendication inédite des réparations financières

Autre nouveauté du texte : la demande d’une indemnisation financière complète et équitable pour les dommages causés par la colonisation. Une revendication inédite dans le discours officiel algérien. Benjamin Stora se montre toutefois réservé quant à sa faisabilité, rappelant l’absence, à ce jour, de juridiction internationale susceptible d’imposer de telles réparations à la France, et l’impossibilité d’en établir un chiffrage consensuel.

Essais nucléaires : un terrain possible de coopération

Sur un volet plus opérationnel, la loi algérienne réclame la transmission des cartes précises des essais nucléaires français menés dans le Sahara dans les années 1960. Sur ce point, Benjamin Stora estime qu’un geste français serait envisageable. Il rappelle que des experts français ont à plusieurs reprises sollicité l’accès aux sites concernés afin d’évaluer les effets sanitaires et environnementaux sur les populations civiles. À ce jour, aucune commission internationale indépendante n’a toutefois pu mener de telles investigations sur le terrain.

Une commission en suspens, un savoir à partager

La commission mixte algéro-française sur l’histoire et la mémoire, coprésidée par Benjamin Stora et l’historien algérien Mohamed Larbi Zegidi, s’est réunie pour la dernière fois en mai 2024, trois mois avant la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Un choix diplomatique qui a contribué à fragiliser davantage le dialogue bilatéral.

Si l’avenir institutionnel de la commission demeure incertain, Benjamin Stora insiste sur l’essentiel : la circulation des savoirs et la coopération intellectuelle ne doivent pas s’interrompre. Au-delà des crispations politiques, l’historien rappelle que les jeunes générations, en Algérie comme en France, expriment une forte demande de compréhension de cette histoire partagée — seul terrain, selon lui, où un dialogue mémoriel durable reste encore possible.

La rédaction

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