« Il ne faut pas que (les relations) fassent l’objet de jeux politiques », a déclaré Emmanuel Macron au sujet des relations algéro-françaises. Il a souhaité aussi que les « millions de Français nés de parents algériens » ne soient pas « pris dans ces débats ». Un clin d’œil à Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur qui a multiplié les déclarations comminatoires contre l’Algérie.
Lors d’une conférence de presse tenue à Porto, au Portugal, Emmanuel Macron a exprimé la nécessité pour la France et l’Algérie de « réengager un travail de fond » sur les accords d’immigration entre les deux pays. Selon lui, ces discussions ne doivent pas se réduire à des « jeux politiques », comme cela semble être le cas à chaque crise bilatérale.
En réponse aux tensions récurrentes, il a insisté sur l’importance de ne pas politiser ces sujets sensibles, notamment en excluant les millions de Français d’origine algérienne de ces débats enflammés. Ce rappel de la nécessité de dialogues directs et constructifs est survenu après une série de tensions liées au refus de l’Algérie de reprendre des ressortissants algériens en situation irrégulière, y compris un suspect d’un attentat à Mulhouse le 22 février 2025, qui a causé la mort d’une personne.
Le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, partisan d’une ligne ferme, a enchaîné les attaques publiques contre l’Algérie, exacerbant ainsi les tensions, particulièrement après l’aggravation de la situation consécutive à la reconnaissance, en juillet 2024, par la France de la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental. Cette question, encore brûlante, reste un point de friction majeur dans les relations franco-algériennes, l’Algérie soutenant le Front Polisario, qui revendique l’indépendance de ce territoire, alors que la France a pris une position plus favorable au Maroc.
La situation en France, après l’attentat de Mulhouse, a mis la sécurité nationale au cœur des préoccupations. Emmanuel Macron a réaffirmé que « rien ne peut prévaloir sur la sécurité de nos compatriotes » et a insisté sur la nécessité de respecter pleinement les accords bilatéraux de 1994, qui stipulent la reprise automatique des ressortissants en situation irrégulière.
Ces accords, bien qu’ils aient été conçus pour faciliter l’immigration et le retour des citoyens algériens en France, font régulièrement l’objet de contestations, surtout dans un contexte où les relations entre les deux pays sont tendues. Le président a, cependant, salué la coopération existante, tout en soulignant qu’il était hors de question de remettre en cause les accords de 1968, qui confèrent un statut particulier aux Algériens en France. Il a fermement déclaré qu’il n’y aurait aucune « dénonciation unilatérale », contredisant les déclarations plus radicales du Premier ministre François Bayrou, qui avait évoqué la possibilité de réexaminer ces accords dans un délai de quelques semaines, si des changements n’étaient pas apportés.
L’affaire de la détention en Algérie depuis mi-novembre de l’écrivain Boualem Sansal (75 ans) a également été évoquée par Emmanuel Macron. Le président a exprimé ses préoccupations quant à la « détention arbitraire » de l’auteur et à sa situation de santé. Cette question, bien que moins médiatisée que d’autres, illustre la complexité des relations entre les deux pays, où les questions de droits humains et de libertés individuelles restent un sujet de friction. Macron a précisé que la situation de Sansal devait être résolue dans le cadre d’un dialogue afin de « rétablir la confiance » entre les nations.
Le discours prononcé par Emmanuel Macron, vendredi 28 février 2025, a une nouvelle fois mis en lumière les défis qui marquent la relation entre les deux nations. S’il rompt avec la guéguerre entretenue par l’extrême droite à des fins électoralistes internes à la France, Emmanuel Macron n’offre pas une sérieuse perspective. Il n’est pas revenu par exemple sur son soutien à la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.
Cette salve présidentielle mettra-t-elle un terme à la polémique ? Ou, à deux ans de la présidentielle, s’agit-il d’un baroud d’honneur d’un président qui n’a plus prise sur l’actualité française ? Cette déclaration est vue par certains comme une volonté d’apaisement. Il reste à savoir ce que pensent Tebboune et son précarré et quelle sera leur réaction. Sont-ils prêts à oublier le soutien de Macron au plan de Mohammed VI sur le Sahara occidental, comme ce fut le cas pour l’Espagne ?
Déjà, dans un communiqué, le ministère des Affaires étrangères a rejeté la responsabilité de cette crise sur la France.
Le passé et l’actualité, enjeux et polémiques
Les relations entre la France et l’Algérie se sont sérieusement dégradées depuis 5 ans. Elles ont été marquées par de nombreux coups de froid, de crises politiques avec rappel par l’Algérie de son ambassadeur à Paris. Outre l’actualité géostratégique, ces rapports sont en grande partie empreints d’un passé colonial lourd. Des divergences sur des questions contemporaines, telles que l’immigration, les accords bilatéraux et la question du Sahara Occidental ont creusé le différend entre Alger et Paris.
L’histoire commune de la France et de l’Algérie est empreinte de lourdes cicatrices, notamment en raison de la période de la colonisation et de la guerre d’indépendance menée par le FLN contre l’armée française.
Les relations diplomatiques oscillent entre réconciliation, mémoire douloureuse et défis contemporains. Chaque crise, comme celle des accords de 1968 ou des questions géopolitiques sur le Sahara Occidental, réveille des tensions sous-jacentes, voire internes à la France et à l’Algérie. Si en Algérie, la question de la lutte pour l’indépendance est une rente politique, en France, elle est outrageusement instrumentalisée par l’extrême droite.
En vrai, le discours de Macron, qui appelle à une coopération pragmatique, met en exergue l’impasse actuelle et la nécessité d’un dialogue constant pour éviter que ces tensions ne dégénèrent en conflit ouvert. Les deux pays, bien qu’ayant des intérêts communs, semblent encore loin d’un véritable apaisement durable. Pourtant, aucun des deux pays n’a autant de lien avec un pays tierce.
Environ 4 millions d’Algériens vivent et travaillent en France ; la proximité géographique et historique participent à l’entretien de liens solides, en dépit des crises diplomatiques. Des dizaines d’entreprises françaises opèrent en Algérie et malgré une politique d’arabisation agressive, le français tient encore sa place dans la société algérienne.
Sofiane Ayache