Vingt-quatre heures après la décision de Paris de suspendre les visas de long séjour pour les Algériens et de restreindre l’accès aux détenteurs de passeports diplomatiques, Alger a riposté en dénonçant un accord clé sur les visas et en mettant fin à la mise à disposition gratuite de biens immobiliers à la diplomatie française. Un nouvel épisode dans l’escalade d’une relation bilatérale marquée par la défiance et la volonté algérienne d’imposer une stricte réciprocité.
Ainsi donc, le jeu de ping-pong diplomatique entre Paris et Alger se poursuit. Vingt-quatre heures après les mesures de rétorsion décidées par Emmanuel Macron à l’encontre des autorités algériennes, accusées de blocages dans le dossier migratoire et les questions sécuritaires, l’Algérie réagit vigoureusement en adoptant à son tour une série de décisions « punitives » à l’égard de la France. Une escalade aux allures de bras de fer diplomatique.
À l’origine de cette nouvelle montée des tensions, une lettre adressée mercredi par le président français Emmanuel Macron à son Premier ministre, révélée par Le Figaro. Il y annonce la suspension de l’octroi des visas de long séjour (type D) aux ressortissants algériens, accompagnée du refus systématique des visas de court séjour pour les titulaires de passeports diplomatiques et de service.
Dans sa correspondance, le chef de l’État français exprime sa « profonde déception » face à ce qu’il qualifie de manque de coopération d’Alger sur des sujets jugés sensibles, notamment les reconduites à la frontière, la sécurité régionale et les échanges consulaires. Un durcissement qui s’inscrit dans une politique migratoire française de plus en plus restrictive à l’égard des pays du Maghreb.
À cela s’ajoute une réduction de 30 % du quota global de visas délivrés aux Algériens — une mesure susceptible d’être renforcée à l’avenir. Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a été chargé de transmettre cette décision aux autorités algériennes, tandis que le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a reçu pour mission d’initier une concertation avec les partenaires européens en vue d’étendre ces restrictions à l’ensemble de l’espace Schengen.
Riposte algérienne : fin des privilèges immobiliers et du régime d’exemption de visas
Dès le lendemain, l’Algérie a convoqué le chargé d’affaires de l’ambassade de France à Alger pour lui notifier une série de mesures destinées à rétablir ce qu’elle considère comme un déséquilibre structurel dans les relations bilatérales.
La première décision concerne la fin de la mise à disposition gratuite de biens immobiliers de l’État algérien au profit de la diplomatie française. En ligne de mire : la résidence de l’ambassadeur de France, connue sous le nom de « Les Oliviers », un domaine de 4 hectares dans les hauteurs d’Alger, occupé depuis 1962 contre un loyer symbolique payé… en franc sysymbolique.
Alger a également annoncé la révision des baux à loyer très avantageux concernant 61 autres propriétés occupées par la mission diplomatique française sur le territoire algérien, dont le siège même de l’ambassade, installé sur un terrain de 14 hectares. L’Algérie a invité la partie française à envoyer une délégation pour renégocier ces accords, jusqu’ici jugés unilatéralement favorables à Paris.
Deuxième mesure forte : la dénonciation de l’accord bilatéral de 2013 sur l’exemption de visas pour les détenteurs de passeports diplomatiques et de service. Contrairement à la suspension française, la décision algérienne est définitive. Dès à présent, les Français concernés sont soumis à une demande de visa pour accéder au territoire algérien. Alger se réserve par ailleurs le droit d’appliquer à ses propres ressortissants les mêmes conditions imposées par Paris, au nom du principe de stricte réciprocité.
Ces échanges de mesures hostiles viennent souligner une relation franco-algérienne structurellement instable, marquée depuis des années par une alternance de rapprochements symboliques et de crispations profondes.
Les autorités algériennes dénoncent depuis longtemps une série d’accords déséquilibrés hérités de l’après-indépendance. Parmi eux, l’accord de 1968 sur la circulation des Algériens en France, régulièrement contesté par certains responsables politiques français, mais toujours en vigueur.
Alger rappelle que cette main-d’œuvre a contribué à la reconstruction et au développement de la France. De même, l’accord de coopération de 1994, notamment dans les domaines commercial et économique, est perçu comme avantageux surtout pour les entreprises françaises, au détriment des intérêts algériens.
Jusqu’où ira la crise ?
Si les deux capitales évitent pour l’instant une rupture officielle des relations, les gestes posés de part et d’autre témoignent d’une phase de durcissement sans précédent depuis, au moins, l’accession de Abdelmadjid Tebboune au pouvoir. Le climat de méfiance s’installe, et les dossiers sensibles — comme celui de la mémoire coloniale, de la mobilité des personnes ou des intérêts économiques — semblent aujourd’hui englués dans une logique de confrontation.
Derrière les décisions administratives et les gestes symboliques, c’est une reconfiguration du partenariat franco-algérien qui se dessine, portée par des revendications algériennes de souveraineté pleine et d’égalité dans les rapports bilatéraux. À Paris comme à Alger, le temps des privilèges semble révolu.
Samia Naït Iqbal