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Crise en Espagne : au fait, un roi, à quoi ça sert ?

REGARD

Crise en Espagne : au fait, un roi, à quoi ça sert ?

La Catalogne ne cesse de gronder par la voix des indépendantistes qui revendiquent avec la même force une autodétermination pour créer une république souveraine. Laissons de côté, pour une fois, le fond du débat politique habituel pour nous intéresser à l’un des points soulevés par les séparatistes, soit leur rejet d’une institution monarchique qui leur semble inadaptée à la modernité démocratique.

La crise institutionnelle et politique en Espagne ne sera donc pas notre sujet mais sa base à partir de laquelle nous réfléchirons à une question qui intrigue souvent les républicains : «Comment des démocraties modernes ont-elles encore une institution si décalée, désuète et à priori fondamentalement contradictoire avec le principe démocratique de l’élection ?».  

Et pourtant les monarchies présentes dans certains pays ne laissent aucun doute sur la parfaite démocratie constatée dans leur vie politique et institutionnelle. La démocratie a prouvé de longue date qu’elle pouvait être compatible avec une monarchie si cette dernière s’efface pour laisser la vie politique évoluer dans les règles du vote libre. Mais alors, la question reste entière car sans pouvoir exécutif direct, à quoi servirait un monarque si ce n’est pour le folklore et les touristes ?

Il y a donc bien une explication plus profonde, historique et constitutionnelle, qui justifie au regard de ces pays l’existence de cette apparente incongruité. Essayons de relever le défi de l’explication d’une contradiction étonnante par une approche pédagogique des plus simples et partons de la position personnelle qui est au centre de la tentative de réflexion.  

Mon opinion personnelle, donc contestable

Elle est à priori expéditive et sans appel car l’idée d’une transmission héréditaire de n’importe quelle représentation publique est à l’inverse absolu de l’objectif de la nuit du 4 août 1789 qui fut celle de l’abolition de la noblesse durant la révolution française, point de départ de la construction de tous les États républicains contemporains. C’est donc une idée inacceptable pour un républicain que celle de pouvoir accéder à la position de chef d’État, ou de tout autre pouvoir public, du seul fait de la naissance. C’est une chose entendue et sur laquelle je ne peux revenir. 

Mais c’est justement parce que j’ai une connaissance plus approfondie, historique et juridique, comme beaucoup d’autres, qu’il faut prendre de la distance avec cette opinion première et essayer d’analyser les autres points de vue. Ils ne m’obligeront en aucune manière à changer d’opinion mais aident toujours à l’humilité intellectuelle, indispensable à l’argumentation de ses propres idées.

C’est donc à partir des arguments en faveur de la monarchie qu’il faut analyser le sujet en toute sérénité et objectivité en plaidant à charge et à décharge. Nous établirons progressivement, sans érudition universitaire, ce n’est ni le lieu ni l’objectif, une trame d’arguments qui valideront ou non  mon opinion de départ.

Au départ de l’histoire, c’est mal parti  !

Sans caricaturer, juste en prenant un chemin rapide, le départ de cette affaire n’est pas pour nous convaincre lorsqu’on analyse sa genèse historique. Pour les peuplades anciennes, le souverain est celui qui va cumuler quatre caractéristiques. La première est simple à se représenter, le puissant souverain est celui qui avait réduit tout le monde au silence, par la terreur, qui décide de tout jusqu’à avoir droit de vie ou de mort sur quiconque s’opposerait à lui. Nous sommes là dans une étape de la civilisation humaine bien conforme aux âges premiers. Nous en avons hélas encore des traces dans certaines communautés du monde actuel. 

Mais la violence farouche n’est pas suffisante, il faut un second allié au monarque pour perdurer car il y a toujours un assoiffé de pouvoir qui veut être souverain à la place du souverain. Il trouvera cet allié dans la discorde entre les autres barons et familles au pouvoir qui auront intérêt à se soumettre au régnant plutôt qu’à leurs ennemis les plus viscéralement opposés à leur survie. Ils savent qu’ils   doivent au souverain de se maintenir dans une position de pouvoir, moyennant leur fidélité, au moins dans une situation provisoire avant qu’ils ne tentent leurs chances lorsque l’opportunité se présentera. Ce point est fondamental car il est, sous une autre nature bien entendu, encore présent dans l’esprit des constitutions monarchiques ou républicaines contemporaines, nous y reviendrons.

Cela n’est toujours pas encore explicatif entièrement du pouvoir d’un être humain sur les autres en ces époques éloignées. Il faut donc une troisième explication, nous la trouverons dans la capacité du souverain à apporter la paix et la richesse. Celui ou celle qui a autorité doit protéger son peuple, lui assurer gloire et expansion économique, c’est à dire en premier lieu mener vers des batailles victorieuses et enrichissantes.

Pourtant, les trois premières explications ne suffiraient toujours pas si le souverain n’est pas protégé par une autre dimension, plus spirituelle. C’est ainsi que le pouvoir reviendra à celui qui est entouré d’une légende, qui fait croire qu’il sait communiquer avec les forces occultes ou encore dont les batailles ont engendré mythes et croyances d’invincibilité.

Ce quatrième point est fondamental dans l’histoire des monarchies car, en Europe néanmoins, les souverains l’ont immédiatement compris, depuis les premiers empereurs romains, des souverains germaniques jusqu’aux dynasties régnantes durant les deux mille ans de chrétienté. 

Clovis fut le premier à s’assurer de l’appui et de la légitimité de la puissance divine. Le roi est donc sacralisé dans son pouvoir temporel par celui qui possède le pouvoir spirituel, le Pape ou autre représentant de la communauté religieuse. Nous en gardons des traces dans certaines constitutions actuelles, en tout cas dans les rites de couronnement ou de mise en place des Présidents à pouvoirs forts.

Tout cela est donc mal parti pour essayer de convaincre un laïc républicain. Mais ce sont   paradoxalement les arguments exposés précédemment qui lui apportent une contre-argumentation, plus favorable au système constitutionnel monarchique. Nous dirions plutôt qui l’amènent à comprendre le processus de choix, donc vers une acceptation de l’idée monarchique sans y adhérer pour autant.  

Le souverain comme point d’équilibre institutionnel

Reprenons le premier point évoqué, celui d’un équilibre dans le rapport de force par un arbitrage supérieur, accepté par tous. C’est incontestablement le point central de toutes les constitutions modernes, qu’elles soient républicaines ou monarchiques.

Le lien est facile à comprendre. Si les barons et chefs de clans de l’ancienne époque trouvaient dans le souverain un minimum d’équilibre pour ne pas s’étriper tous les jours dans une bataille féroce pour conquérir le pouvoir, il en est de même pour les partis politiques de nos jours.

Il faut donc un arbitre qui est le maître de cérémonie et dont la constitution est la norme pour justifier son éventuelle intervention. Sinon nous pouvons imaginer le désordre que cela serait si chaque parti politique interprète par lui-même les procédures de la constitution et aurait en main l’exécution des procédures. Le jeu de l’alternance politique suppose un élément stable d’arbitrage.

La reine en Angleterre, aux Pays-bas, le roi en Espagne ou ailleurs ne sont donc pas que des coutumes qu’on a voulu préserver mais des mécanismes institutionnels qui se justifient totalement. Dès lors, bien évidemment, où il s’agit d’une démocratie et que le souverain ne possède aucun pouvoir de gouvernance politique (on dira que c’est une « monarchie constitutionnelle »).

Cette règle est tellement assumée par les démocrates que dans la quasi-totalité des démocraties modernes n’ayant pas gardé la monarchie il existe un chef de l’État sans pouvoir exécutif qui assume ce rôle d’équilibre institutionnel. C’est le cas de l’Allemagne ou de l’Italie dont on se remémore le nom de la personne qu’au moment des crises ou des renouvellements de gouvernement. Cet homme ou femme, promu(e) au rang de chef de l’État, assume ce rôle ancien du souverain mais on comprend qu’il ne lui en reste que la forme « cérémonielle », celle nécessaire pour les transitions et les arbitrages.

Les États-Unis, un contre-exemple ? Pas exactement car il existe deux pouvoirs détachés du système politique qui garantissent l’équilibre. Le premier est la référence à Dieu que cet État a gardé, le second est la Cour suprême dont l’inamovibilité des juges constitue une garantie d’être une institution indépendante des soubresauts de la politique et de l’alternance au pouvoir. Cette fonction se légitime également dans les périodes de guerre ou lors des grandes divisions de l’opinion dans les questions sociétales profondes. Cependant, on pourrait objecter l’inverse puisque les juges sont en nombre impair et désignés par les institutions politiques, dégageant ainsi une majorité d’un camp ou d’un autre. 

Reste le cas de la Ve république française que je ne cesse de fustiger tant elle est une exception anormale dans le paysage institutionnel des démocraties modernes. La France a coupé la tête au roi pour remettre un souverain au pouvoir quelques années plus tard. Elle a même été jusqu’à faire d’un révolutionnaire républicain…un Empereur. Quant à la réforme constitutionnelle de 1962, elle a créé « un monarque républicain » qu’on investit par un protocole tout à fait royal, avec remise du grand collier et descente des Champs-Élysées pour paraître devant « son peuple ». Il est l’incarnation de la nation, possède tous les pouvoirs et toutes les frustrations l’accusent d’être finalement le responsable jusqu’à ce qu’on lui fasse subir l’échafaud par la chute des sondages.

La France aime porter au pouvoir des rois pour pouvoir leur couper la tête aussitôt.

Le souverain comme incarnation nationale ?

L’autre rôle du souverain est d’incarner. Cette incarnation est multiforme puisqu’elle représente l’intégrité du territoire, la continuité des valeurs identitaires et de bien d’autres dont il est le garant. La famille royale peut également incarner la notion de famille à laquelle chaque foyer peut s’identifier.

Encore une fois, cela permet une stabilité dans le temps et un recours qui s’opposent aux conflits sociaux et politiques, internes comme aux frontières. Le roi représente la clé de voûte du système qui permet toutes les autres expressions tout en étant un point de référence commun à tous.

Tout cela est parfaitement exact dans l’histoire de certaines nations mais je ne peux que contredire cette argumentation ancienne, pour deux raisons essentielles. La première est que la république sait parfaitement trouver des icônes et des institutions qui créent l’incarnation par l’élection. C’est justement cela le secret de la démocratie.

La seconde réserve est le comportement des familles royales dans certaines démocraties qui ont failli les supprimer comme c’est le cas au Royaume-Uni. Le coût de la famille et parfois ses exubérances sont en décalage criant avec ce qu’ils sont censés représenter comme valeurs d’incarnation.

Mais puisqu’il nous faut retomber en cette fin d’article sur le cas de l’Espagne, il faut comprendre le fossé qui existe entre les nationalistes catalans et la dynastie des Bourbons. Ce roi est le fils du protégé spirituel de Franco, ce que les catalans n’ont jamais oublié.

Comment l’oublier car la Catalogne fut meurtrie jusqu’au saignement par un dictateur qui s’est permis le luxe de choisir son successeur, le frère du roi légitime en ordre de succession écarté par Franco. Tel fut son bon plaisir, jusqu’à choisir un roi comme successeur et celui qu’il souhaitait.

Oui, le roi a une fonction constitutionnelle qu’il faut connaître et qui est parfaitement en accord avec la démocratie de certains pays. Mais en revenant sur l’argumentation exprimée dans cet article, assez succincte mais parlante, il m’apparaît toujours que le pouvoir public ne peut légitimer une passation de pouvoir par la filiation.

Cependant le dernier mot revient aux Espagnols, pas à quiconque d’autre car elle est actuellement une grande démocratie, quels que soient ses errements dans le passé.

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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