Mercredi 30 septembre 2020
« Dans la peau de l’étranger » d’Ai Weiwei : hommage à l’humanité de l’étranger
L’artiste chinois Ai Weiwei est connu par la diversité des formes artistiques: sculptures, installations, peintures, films, photographies, livres…Après son film Human Flow (2017) qui explore la condition des réfugiés à travers de nombreux camps partout dans le monde, il publie un petit livre en guise de manifeste : Dans la peau de l’étranger. Traduit de l’anglais, il s’agit d’un recueil de petits textes.
L’édition française commence par une note liminaire rédigée le 2 juin 2020, dans laquelle Ai déclare que la Covid-19 a dégradé davantage l’humanité des réfugiés qui se trouvent depuis des décennies dans des conditions inhumaines.
Pour lui, la pandémie « a eu au moins le mérite de rappeler ce qu’est une mise en quarantaine et que certains passent des décennies-voire des générations- dans cette situation » (pp7-8).
Dans la première partie, Ai parle de son enfance marquée par la déportation. Le fils du poète et intellectuel Ai Qinq, a été expulsé de Pékin avec sa famille, pour se retrouver tous dans un village hostile et xénophobe. Cette expérience marque à vie le petit Ai et influencera plus tard sa vison de l’art. C’est pourquoi il peut se « mettre dans la peau de l’étranger perçu comme un danger par son entourage et par sa société. » (p13). Ainsi, son histoire se mêle à la grande Histoire.
Ensuite, Ai explique sa vision de l’art, estimant qu’il est pour lui une transmission d’expériences. En effet, il ne s’appuie pas uniquement sur son imagination artistique, mais aime vivre des expériences avant de s’en inspirer dans ses œuvres ; c’est le cas de presque toutes ses œuvres (expositions, photos, etc.) dont le film Human Flow (il allait à la rencontre des réfugiés dans divers pays pour avoir accès à leur humanité effacée).
Sa première source d’inspiration est l’humanité. La condition humaine des réfugiés l’inspire et le secoue particulièrement. « Je souhaiterais mettre l’accent sur le caractère universel des droits de l’homme » (p20).
Dans le troisième texte, il dénonce la politique migratoire basée sur la catégorisation inhumaine des réfugiés, la dictature des frontières, et insiste sur le fait que toute terre a été peuplée par migrations. « L’état du réfugié est une constante anthropique » (p 23).
Dans le texte qui suit, il donne des détails sur ses documentaires dont Human Flow. Dans le dernier texte, il peint la relation entre l’art et l’humanité, souligne le caractère illusoire des frontières. « Les frontières existent aussi pour être abolies » (p48)
Dans ce court manifeste, Ai Weiwei tente de répondre à une problématique : comment transmettre ses expériences par l’art ? Pour y répondre, il mêle autobiographie, sociologie, art et philosophie. « (…) l’art aura le pouvoir de nous révéler le plus précieux de la vie : la fragilité humaine » (p45). Il brise la frontière avec son lecteur universel et l’exhorte par le « vous » ; il dénonce et sensibilise pour transmettre un message de paix et d’humanité dans le monde entier. En plus de la question des réfugiés, il offre des détails sur son univers artistique.
Quand il n’a pas d’explication ou d’analyse à offrir, il pose les bonnes questions comme celle-ci : « Est-il nécessaire qu’une bombe tombe sur votre maison pour faire de vous un ‘vrai’ réfugié ? » (p26)
Alors, à travers ce livre, Weiwei saura-t-il transmettre ses expériences et peindre l’humanité de l’étranger ? Réussira-t-il à expliquer au lecteur, au monde, comment « entrer » dans la peau de l’étranger ?
Bref et engagé, sensible et humain, Dans la peau de l’étranger est un hommage universel à l’humanité de l’étranger. Un message de paix et d’amitié !
Note : Ai Weiwei réalise un film inspiré par le coronavirus intitulé « Coronation » (2020).
Point fort du livre : angle du thème (philosophique).
Belle citation : « Nous appartenons tous au ‘cosmos des réfugiés’. Nous avons tous été réfugiés à un moment ou l’autre du passé, ou nous avons contribué à produire des réfugiés : tantôt victimes, tantôt responsables » (p10).
L’auteur : né en 1957 en Chine, Ai Weiwei est un artiste activiste, adoptant diverses disciplines et formes (sculpture, installation, photo, film, écriture…). Il vit en Angleterre.
Dans la peau de l’étranger, Ai Weiwei, éd. Actes Sud, trad. Béatrice Commongé, 2020, France, 64p.