Site icon Le Matin d'Algérie

Daphné Ewin : « Le corps parle là où les mots échouent… »

Daphné Ewin

Publié le 19 novembre 2024 aux éditions Books On Demand, le roman Au-delà du plaisir de Daphné Ewin invite le lecteur à pénétrer dans un univers où psyché humaine, désirs et rapports de pouvoir se croisent et se confrontent.

Psychologue clinicienne de formation, l’autrice s’appuie sur sept années d’expérience en milieu carcéral pour donner à son récit une profondeur authentique, en explorant les zones grises de la morale et de l’émotion.

Le roman questionne les limites de la liberté intérieure, l’intensité des émotions humaines et les choix qui façonnent nos vies. Il mêle tension psychologique et exploration des désirs, offrant une lecture à la fois exigeante et profondément humaine.

Daphné Ewin a aimablement accepté de répondre aux questions du Matin d’Algérie, partageant son regard sur l’écriture, ses personnages et les thèmes qu’elle aborde avec audace et sensibilité.

Le Matin d’Algérie : Votre roman Au-delà du plaisir se déroule dans un milieu carcéral. Dans quelle mesure votre expérience de psychologue clinicienne a-t-elle nourri l’intrigue et les personnages ?

Daphné Ewin : Elle en est le socle. J’ai passé sept ans derrière les murs à écouter, observer, comprendre… ça laisse des traces, et nourrit la réflexion comme l’imaginaire.

J’ai puisé dans cette réalité mais sans vouloir la copier. J’en ai donc extrait une réalité, qui questionne justement la frontière entre réalité et fiction, entre légalité et moralité, entre comportement normal et déviant. J’ai préservé l’intensité des relations humaines, leur fragilité, la violence des émotions parfois, mais la fiction m’a permis d’aller là où la réalité s’arrête.

Le Matin d’Algérie : Cléo et Antony sont des personnages ambivalents, oscillant entre victime et bourreau. Comment avez-vous construit cette complexité psychologique ?

Daphné Ewin : Je ne sais pas si j’ai « construit » une complexité psychologique : je me suis davantage laissé habiter par mes personnages.L’ ambivalence fait partie de chacun de nous (ou presque – du point de vue de la psychologue). Cléo et Antony sont deux êtres en lutte permanente : contre l’autre, mais surtout contre eux-mêmes, contre leurs désirs et leurs démons. Leur rôles se renversent sans cesse parce qu’il n’y a pas de vérité simple, univoque, encore moins quand il s’agit de passion ou de pouvoir, me semble-t-il.

Le Matin d’Algérie : Le roman mêle érotisme, BDSM et thriller psychologique. Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre tension narrative et scènes sensuelles ?

Daphné Ewin : Il a été facilité en écoutant la respiration de mes personnages. L’érotisme n’est pas une pause dans le récit, il en est la continuité. Chaque scène est là pour révéler quelque chose de leur rapport à la domination, à la peur, à la perte de contrôle. L’équilibre s’est donc imposé de lui-même : le corps parle là où les mots échouent… C’est bien là, d’ailleurs, toute la problématique de nos personnages !

Le Matin d’Algérie : La prison devient un espace presque métaphorique dans votre récit. Qu’avez-vous voulu montrer sur la psyché humaine à travers ce cadre oppressant ?

Daphné Ewin :Je considère que la prison peut s’inviter partout. Elle se décline sous tant de formes : concrète, mentale, affective. Derrière les barreaux, on observe à quel point la liberté intérieure est souvent plus difficile à atteindre que la liberté physique. C’est précisément cette tension que j’ai voulu explorer : nos murs invisibles, les chaînes que nous nous mettons, notre prison interne. Cette prison nous concerne tous, elle n’est plus l’apanage des seuls détenus. Encore une manière, peut-être, de rendre moins nette la frontière entre « intérieur » et « extérieur ».

Le Matin d’Algérie : Le contrôle, le pouvoir et les désirs refoulés sont des thèmes centraux. Diriez-vous que le roman explore avant tout la psychologie ou le désir ?

Daphné Ewin : Les deux sont indissociables. Le désir est un phénomène psychique, il naît dans l’esprit avant de se loger dans le corps. Le roman interroge justement ce moment où la « pulsion » prend le pas sur la pensée, et où la raison cède. Le plus souvent, c’est quand on croit maîtriser qu’on découvre notre plus grande vulnérabilité.

Le Matin d’Algérie : Votre écriture est à la fois clinique et sensuelle, évoquant une tension permanente. Comment décririez-vous votre style ?

Daphné Ewin : J’avoue que je ne saurais le définir précisément. J’écris à la fois comme ça me vient, mais en cherchant toujours à être la plus juste possible.

J’aime l’authenticité, je ne veux pas tricher. Alors oui, certains mots sont crus, certains dialogues bruts. Le résultat reflète sans doute cet état de tension qui les traverse… et qui me traverse aussi, quand j’écris.

Le Matin d’Algérie : Certains lecteurs pourraient être surpris par l’intensité des scènes érotiques. Quel rôle jouent-elles dans la psychologie des personnages ?

Daphné Ewin : Elles ne sont jamais gratuites. Mes scènes érotiques sont avant tout émotionnelles : elles sont le lieu de toutes les contradictions – plaisir et douleur, abandon et contrôle, vérité et illusion. Ce sont dans ces moments-là que les masques tombent. L’érotisme, dans ce roman, évoque la sexualité avec retenue mais sans tabou. Elle vient interroger les limites de chacun, ce que l’on tait, ce qui, habituellement, reste enfoui : jusqu’où peut-on aller par plaisir ? Où se situe la frontière entre sexualité « normale » et « déviante », lorsque le consentement prime ? Ce sont des scènes de dévoilement, plus que de provocation.

Le Matin d’Algérie : Dans le roman, la frontière entre normalité et déviance est floue. Est-ce une réflexion sur la société ou sur la nature humaine ?

Daphné Ewin : Les deux, sans doute. Je viens d’en parler : la société pose des normes – morales, légales – mais la nature humaine les contourne sans cesse.

Et moi, que ce soit sous ma casquette de psychologue ou d’autrice, la question reste la même : j’aime interroger cette zone grise, là où tout vacille, parfois jusqu’à la bascule.

C’est cette marge qui questionne, intrigue et fascine. Souvent, c’est aussi là qu’où on se découvre.

Le Matin d’Algérie : Avez-vous rencontré des difficultés à traiter des thèmes aussi sensibles que le BDSM et la sexualité en milieu carcéral ?

Daphné Ewin : La plus grande difficulté a été pour moi d’éviter les clichés.

Ces thèmes demandent de la justesse, pas du sensationnalisme. Je voulais surtout parler de pouvoir et d’abandon, moins de pratiques. Même si, évidemment, il en question.Mais justement, ce qui m’intéresse, c’est ce qui se joue à l’intérieur. Du corps comme de l’esprit.

Le Matin d’Algérie : Le roman s’adresse à un public averti. Quels conseils donneriez-vous aux lecteurs pour aborder ces thèmes sans préjugés ?

Daphné Ewin : Je dirais qu’il faut laisser tomber les étiquettes, lire sans chercher à juger. La littérature n’est pas toujours là pour rassurer ; elle est là, avant tout, pour interroger. Au-delà du plaisir n’invite pas à l’imitation, ni à croire que ce qui s’y joue est forcément acceptable. Il invite plutôt à la réflexion : sur soi, sur l’autre, sur ce qui nous lie ou au contraire nous enferme.

Le Matin d’Algérie : Au-delà de l’histoire de Cléo et Antony, souhaitez-vous que le roman provoque une réflexion sur le pouvoir, le désir et la morale ?

Daphné Ewin : Oui, mais vraiment sans moraliser. J’aime quand un livre dérange, au moins un peu ; quand il pousse à regarder différemment ce qu’on croyait acquis.

J’ai écrit comme j’aime lire : en cherchant à être bousculée, bouleversée. Le pouvoir, le désir, la morale… en définitive, tout cela n’est qu’un jeu d’équilibre précaire. Et chacun, à mon sens, doit trouver sa propre ligne de crête.

Le Matin d’Algérie : Enfin, envisagez-vous une suite ou un nouveau roman explorant des univers aussi intenses et psychologiquement complexes ?

Daphné Ewin : Oui. Abnégation, le deuxième tome, qui sort le 18 novembre prochain, prolonge cette exploration : plus sombre et plus déroutante encore. J’y pousse plus loin la question de la perte de soi. Au-delà du plaisir s’est en réalité imposé à moi comme une trilogie : trois parties d’une même relation, dont l’intensité va crescendo, au fil des pages et des tomes.

Et au-delà, d’autres histoires viendront. Tant qu’il restera des zones d’ombre à éclairer, j’aurai envie d’écrire.

Entretien réalisé par Djamal Guettala 

Pour en savoir plus sur l’autrice et ses ouvrages : www.daphne-ewin.fr, ou son profil Instagram : daphne_ewin_auteure

Quitter la version mobile