« C’est moi qui porte le destin du pays. Tous les soldats français doivent donc m’obéir. Eh bien, mon cher et vieux pays, nous voici ensemble, une fois encore, devant une lourde épreuve.»
Par Kamel Lakhdar Chaouche
Le 8 mai 1945, Paris à peine libéré, des massacres ont été commis à Alger contre ceux qui avaient pourtant les armes à la main lutté en premières lignes, servant de « chair à canon », dans le combat contre les Allemands. Des milliers de manifestants qui célébraient la victoire contre le nazisme ont été massacrés. C’était une trahison de trop pour les Algériens. La liberté promise après la libération de la France a été remise aux oubliettes.
Le général de Gaulle, lui-même, en fut le témoin, trouvant refuge en Algérie depuis fin mai 1943 après avoir été humilié par les Alliés Winston Churchill et Franklin Roosevelt et la nomination du général Henry Giraud à la tête des armées françaises présentes en Afrique du Nord, pourtant proche du Marchal Pétain en convenance avec les nazis. Winston Churchill lui avait même interdit de s’exprimer ou de s’impliquer dans la guerre. Délivré des tutelles de Churchill et de Roosevelt, c’est à partir d’Alger que le père de la résistance française lavera cet affront en menant sa propre résurrection et il sera triomphalement et officiellement accueilli par son rival le général Henry Giraud. Le général de Gaulle s’y installera jusqu’au débarquement au mois d’août 1944, pour libérer Paris. C’était à partir d’Alger qu’il dirigera la résistance.
Le destin du général de Gaulle, chef de la France libre, est mystérieusement lié à celui de l’Algérie combattante. C’est lui, qui déclarait au sujet de la guerre d’Algérie : « C’est moi qui porte le destin du pays. Tous les soldats français doivent donc m’obéir. Eh bien, mon cher et vieux pays, nous voici ensemble, une fois encore, devant une lourde épreuve. » Le général de Gaulle l’avait compris, très tôt.
Il était convaincu que le système de domination coloniale avait atteint ses limites face à l’engagement et à la détermination du Front de libération national (FLN). Ce n’est pas au père de la résistance française que l’on apprend que se battre pour arracher sa liberté et gagner la plus noble des guerres demande à l’homme de se détacher de sa condition et de ses réalités, et que cela requiert un courage surhumain.
La 4e république a trébuché
Du côté de la métropole, l’opinion publique commençait à désapprouver sérieusement cette longue et coûteuse guerre. Sur la scène internationale, la France était de plus en plus discréditée à cause de la guerre menée en Algérie. Alors que les représentants de la Révolution exprimaient haut et fort les impératifs et la volonté du peuple algérien aux Nations unies, et surtout à la conférence de Bandung, en Indonésie, qui s’étaient tenue du 18 au 24 avril 1955.
Le général était convaincu que le système de domination coloniale avait atteint ses limites ; qu’il devrait être remplacé par une version plus moderne qui tiendrait compte des contradictions, une colonisation technologique et économique qui ouvrirait ses portes sur le néocolonialisme.
Les gouvernements de la 4e république ont trébuché sur la question algérienne, alors qu’ils avaient conduit la Tunisie et le Maroc sur la voie de l’autonomie puis sur celle de l’indépendance. Ils n’ont trouvé aucune solution à la guerre d’Algérie bien qu’ils aient été élus pour cela. La classe politique et la société civile française ont souvent été divisées sur la question algérienne. Les démissions des gouvernements se suivaient et les crises s’accumulaient aboutissant à une impasse totale, une perte de confiance entre l’armée et les dirigeants politiques s’étant ajoutée à cela.
Le mois de mai 1958 avait marqué un tournant décisif dans l’histoire de l’empire colonial français. Les généraux Raoul Salan, Edmond Jouhaud, Jean Gracieux, l’amiral Auboyneau avec l’appui de la 10e division parachutiste du général Massu et Pierre Lagaillarde, ancien avocat et député d’Alger, ont organisé un putsch le 13 mai 1958 à Alger. Ils fondent alors le Comité de salut public, présidé par le général Massu. Ce comité réclame « un pouvoir politique fort, capable de les soutenir fermement dans la guerre contre les indépendantistes algériens ». Le général de Gaulle était en retrait à Colombey-Les-Deux-Eglises, un village de Haute Marne. Il apparaissait comme le représentant du salut pour les putschistes d’Alger. Le général Massu fit appel à lui dès le 14 mai, tandis que des rumeurs de débarquement militaire en métropole se répandaient.
Dès le 15 mai, le général de Gaulle déclarait être prêt à assumer les pouvoirs de la République. Il développa son propos dans une conférence de presse le 19 mai, rassurant sur sa volonté de maintenir la République souveraine : « Ce n’est pas à 67 ans que je vais commencer une carrière de dictateur ? » Pour une majorité de la classe politique française, il approuva le coup d’État des militaires. Cela lui rendit la tâche très délicate pour mener la suite des évènements, en dépit de son aura de libérateur de la France.
Le 27 mai, de Gaulle annonça avoir « entamé le processus régulier nécessaire à l’établissement d’un gouvernement républicain capable d’assurer l’unité et l’indépendance du pays ». Deux jours plus tard, avec l’accord des chefs des principaux partis politiques, Guy Mollet et Antoine Pinay, le président René Coty fit appel à lui pour former ce qui sera le dernier gouvernement de la 4e république.
Le 4 juin 1958, le général de Gaulle se déplaça à Alger et déclara : « Je vous ai compris » et « Vive l’Algérie française » le 6 juin à Mostaganem. Les Européens d’Algérie et l’armée semblent rassurés désormais par le général de Gaulle. Mais afin de pouvoir s’investir et manœuvrer efficacement dans le règlement de la crise algérienne, le général de Gaulle obtint d’abord la possibilité de rédiger une nouvelle constitution pour le pays, conforme à ses vues. Ainsi naquit la 5e République. De l’incapacité de la 4e à dégager des majorités de gouvernements solides et durables, capables de traiter des problèmes aussi dramatiques que la crise algérienne.
L’autodétermination
Contre toute attente, le général de Gaulle avait proposé lors de son discours du 16 septembre 1959 trois possibilités pour le règlement de la crise algérienne à savoir la francisation (un seul pays réunissant la France et l’Algérie et dont tous les citoyens ont les mêmes droits), l’autonomie (une fédération entre la France et l’Algérie), la sécession (conduisant à l’indépendance).
Le 15 octobre 1959, l’Assemblée nationale valide à la majorité absolue la politique d’autodétermination, ouvrant la possibilité de l’indépendance de l’Algérie. Usant de ses pouvoirs constituants, le président de Gaulle avait rappelé le général Massu à Paris et l’avait relevé de ses fonctions du chef du corps d’armée d’Alger, le 19 janvier 1960. Cette première purge du général de Gaulle contre les militaires d’Alger a ouvert le ballet de « la semaine des barricades », des journées insurrectionnelles qui se sont déroulées du 24 janvier au 1er février 1960 à Alger contre le président de Gaulle, avec un mot d’ordre « l’Algérie doit choisir, être française ou mourir ».
Le 29 janvier 1960, le président de Gaulle avait réagi dans un discours : « Si j’ai revêtu aujourd’hui l’uniforme à la télévision c’est pour marquer que je le fais comme étant le général de Gaulle aussi bien que le chef de l’État ». Et il déclarait : « L’autodétermination est la seule politique qui soit digne de la France. Je suis le responsable suprême et appelle l’armée à ne pas se joindre aux insurgés » qu’il condamne. Trois généraux et plusieurs officiers ont été rappelés à Paris pour être traduits en justice. Pour les partisans de l’Algérie française, il s’agit là d’une deuxième purge dans leurs rangs.
Le 8 janvier 1961, le référendum sur l’autodétermination en Algérie est approuvé par 75 % des votants. Les résultats annonçaient déjà l’indépendance de l’Algérie. Les partisans de l’Algérie française (Armée et Européens d’Algérie) se voyaient trahis par De Gaulle. Ainsi, ils créèrent le 11 février 1961, l’Organisation armée secrète (OAS).
Il faut rappeler que cette dernière tirait ses racines des organisations d’extrême droite comme l’Organisation de résistance de l’Afrique française (ORA), le Comité de la renaissance française (CRF), le Mouvement algérien secret des ultras (MASU), le Résistants clandestins français (RCF), l’Organisation de défense antiterroriste (ODAT), qui ont été mises sur pied depuis 1955 et investies dans la cause de Algérie française.
Outre que ces organisations s’opposaient et rejetaient même les lois et réformes du gouvernement français au profit des Algériens en Algérie, elles étaient surtout coupables des dizaines de crimes visant les Algériens. Elles ont été même suivies attentivement par les services de Renseignent français, car certaines de ces organisations complotaient contre Jacques Soustelle, dernier gouverneur d’Algérie, favorable « l’intégration des Algériens musulmans à la citoyenneté française ». Leurs objectifs étaient d’organiser des attentats visant des personnalités politiques et administratives du gouvernement légal français, des intellectuels ou des organes de presse favorables à une négociation avec le FLN, en Algérie comme en métropole, ainsi que la population musulmane, soupçonnée de soutenir le FLN.
Vint ensuite, le 21 avril 1961, le coup d’État à Alger organisé par les généraux Maurice Challe, André Zeller et Edmond Jouhaud, auxquels se joint ensuite le Raoul Salan. Mais le président de Gaulle riposta 4 jours plus tard dans un discours qualifiant les putschistes « d’un quarteron de généraux en retraite…. Composés d’officiers ambitieux et fanatique (…) J’interdis à tout français, d’abord à tout soldat d’exécuter aucun de leur ordre ». Pour avoir accepté de se mettre à la table des négociations avec le FLN, De Gaulle est critiqué par la junte militaire et les pieds-noirs.
L’OAS surgit du néant
Les militaires français, après l’humiliation subie à Diên Biên Phu, n’ont pas pardonné à De Gaulle ses tractations avec le FLN, alors qu’ils pensaient avoir gagné la guerre sur le terrain. Il subit ainsi les foudres de l’OAS et échappa de justesse à une série d’attentats menés par ses détracteurs, compagnons d’hier et ennemis de l’heure. Il fut l’objet de plusieurs tentatives d’assassinat par l’OAS. La première, le 8 septembre 1961, à Pont-sur-Seine (Aube), quand une bouteille de gaz remplie de plastic explosa au passage de sa voiture. Mais il n’y eut aucun dégât.
Quelques mois plus tard, De Gaulle devait être abattu sur le perron de l’Élysée par un tireur posté en face. Ce fut encore un coup raté. Par la suite au Petit-Clamart, sa voiture fut criblée de balles. Ces attentats, pour lesquels l’OAS a toujours été tenue pour responsable, ont discrédité cette organisation. Étant peu habituée à ces actes terroristes, l’opinion française percevait ces attaques comme une atteinte très grave à l’État français, lui-même.
Parmi ces attentats de l’OAS, deux auront particulièrement marqué les esprits du monde culturel et universitaire. Celui du 15 mars 1962, soit quatre jours seulement avant les accords d’Evian, où le célèbre écrivain algérien Mouloud Feraoun sera fusillé par un commando de l’OAS avec cinq de ses compagnons, dont deux Français, Max Marchand et Marcel Basset, et deux Algériens, Ali Hamoutène et Salah Ould Aoudia. Le second attentat étant celui qui ciblera le 7 juin 1962 l’université d’Alger lorsque, à 12 h 40, l’explosion de trois bombes au phosphore provoque l’incendie de la bibliothèque universitaire qui comptait jusqu’à 600 000 ouvrages.
C’est à ce moment que le peuple français s’est complètement détaché de toute sympathie à l’égard de l’OAS. Il finit par sortir dans la rue pour crier son soutien au général. Toute cette crise n’a fait que renforcer et précipiter le cours de l’histoire. Au lieu de faire changer d’avis le général de Gaulle et les Français sur la question algérienne, la tentative de putsch des généraux d’Alger, la guerre abjecte menée par l’OAS et les attentats contre De Gaulle ont fini par faire basculer l’opinion française, gagnée désormais à la cause des « terroristes du FLN ».
C’est dans ce contexte que le 7 mars 1962 débutent à Évian-les-Bains (en Haute-Savoie, France), dans le plus grand secret, les pourparlers de paix entre le gouvernement français et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), qui ont conduit à l’indépendance de l’Algérie.
K.L.C