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De la « Mecque des révolutionnaires » à Alger des monarques !

REGARD

De la « Mecque des révolutionnaires » à Alger des monarques !

Depuis son accession au pouvoir en 1999, le président Bouteflika a rendu la parole diplomatique algérienne inaudible, fonctionnant selon ses sautes d’humeur, ses amitiés et ses intérêts de se maintenir au pouvoir : à rien refuser aux pays arabes de Golfe et leurs émirs, jusqu’à assouvir leurs petits caprices de braconniers, ainsi qu’un alignement aveugle et sans la moindre critique envers les puissants du monde. En rupture totale avec les positions traditionnelles de l’Algérie.

Aux cris de « Zeroual matehabetech esseroual (Zeroual ne baisse pas le pantalon) », des dizaines de milliers de femmes ont marché un certain 22 mars 1994 du Télemly, du bas de l’immeuble où avait été assassiné dans son appartement M’hamed Boukhebza, sociologue de valeur, jusqu’à la place Patrice-Lumumba, à quelques centaines de mètres d’El Mouradia, siège de la présidence. C’était un cri de révolte pour mettre fin aux tractations qui avaient été entamées entre la présidence et les chefs du FIS (Front islamique du salut) en prison.

Liamine Zeroual a coupé court à ces négociations quelques mois après, suite à la découverte sur le corps de Cherif Gousmi, l’émir des GIA (Groupes Islamistes armés), une lettre qui lui avait été adressée par Ali Belhadj lui reconnaissant la justesse de l’insurrection menée à l’encontre du peuple algérien et son « caractère sacré ».

Rappelons-nous : Les massacres quotidiens et les assassinats ciblant les cadres et les intellectuels de la nation ainsi que les pressions étrangères, le boycott international, au moment où l’Algérie traversait une situation économique très difficile (le pétrole à 19 dollars le baril). Mais l’Algérie n’a pas baissé le froc. N’oublions pas les critiques adressées aux Saoudiens et jusqu’à la rupture des relations diplomatiques avec le Soudan de Tourabi, pourvoyeur du terrorisme islamiste, qui a été reçu quelques années après avec des honneurs par Bouteflika.

On se souvient tous de la fin non- recevoir en 1995 au siège de l’ONU réservée par le Président Zeroual à son homologue français, Jacques Chirac, lorsque ce dernier voulait le rencontrer en catimini, loin des caméras.

Isolé, le pays était seul ; les monarchies arabes comme la plupart des autres pays qui se disent amis de l’Algérie, regardaient ailleurs. L’Algérie résistait farouchement au terrorisme islamiste. Cela qui n’a pas été admis et dès lors on a décrété notre « fréquentabilité » peu recommandable Il lui restait encore de la « fierté et de dignité ». Des valeurs que la venue de Bouteflika était censée entretenir…

Mais il a plutôt bradé tout ce capital, comme d’ailleurs les richesses nationales livrées à la prédation et au pillage au moment où le pays gorgeait de dizaines de milliards de dollars par an provenant seule de l’exportation des hydrocarbures.

Le président a vite renvoyé l’ascenseur à ses « amis ». Il y a eu la préférence des Qataris et des Emiratis pour l’acquisition de certains marchés (le gré à gré où par des cahiers des charges avantageux dans le cas des appels d’offres en divulguant les secrets des soumissions, comme dans l’affaire de l’obtention par Orascom et de la première licence de téléphonie mobile). Pas seulement, les autorités se sont pliées en quatre pour autoriser les princes à s’adonner à leur hobbie favori, la chasse dans notre désert et à l’extermination de notre faune. Des convois de voitures tout terrain sécurisés par l’Etat algérien s’installaient, chaque année, dans le sahara algérien pour traquer les gazelles et braconner l’outarde houbara, dont la chair, dit-on, est aphrodisiaque ! Une espèce pourtant protégée. Mais pour le bon plaisir des émirs, on outrepasse toutes les règles.

Amitiés douteuses

Deux familles composées de 17 membres ont été décimées en 2001 à Bougara et le même jour, Bouteflika s’envole vers la Suisse pour s’enquérir de l’état de santé de Cheikh Zayed, émir des Émirats-arabes-Unis, à l’article de la mort. Pour ne pas déranger la quiétude suisse du président Bouteflika, la télévision algérienne et l’agence officielle ont imposé un black-out sur l’information ayant trait à ce massacre.

Pendant 18 ans de règne, le président Bouteflika n’a jamais fait un déplacement à un hôpital pour s’enquérir de l’état de santé d’une victime du terrorisme, et même pas un mot de réconfort et de solidarité. Et le même mépris observé envers des anciens présidents algériens et des hommes historiques vivants leurs derniers jours.

Il a offert par contre à Youssef Al-Qardaoui toute une aile de l’hôpital Ain Naadja où il s’est empressé pour lui rendre visite sous les feux des caméras de l’ENTV. Le prédicateur de la haine est devenu « le grand savant émérite de l’islam » et pour couronner le tout, il se baisse pour lui faire le baisemain.

Il n’est pas la seule référence de Bouteflika, même le Mollah Omar, chef des talibans, en était pour quelques mois, la durée de son règne sur l’Afghanistan. Quelques semaines seulement avant le 11 septembre 2001, le journal télévisé de l’ENTV ouvre avec une déclaration de Mollah Omar pour dire tout le bien de l’amnistie en faveur les terroristes islamistes et de « la concorde nationale  » engagée par Bouteflika, qui sont des mesures, selon le prédicateur afghan, « conformes à l’esprit de l’islam ».

Ce sont les marqueurs de la diplomatie à la Bouteflika se caractérisant par l’hypocrisie et la traîtrise. L’exemple des prises de position par rapport à la crise irakienne est édifiant en la matière.

L’Algérie soutenait, du moins officieusement, l’Irak de Saddam, mais elle n’avait jamais publiquement dénoncé son invasion par l’armée américaine. Pis, s’adressant, d’un ton menaçant, le 1er mai 2003 aux syndicalistes de l’UGTA, Bouteflika avertit que si l’Algérie ne libéralisait pas ses hydrocarbures, elle « connaîtra le sort de l’Irak ». Il faisait allusion au projet de la loi sur les hydrocarbures concocté par son ministre Chakib Khelil et ses amis américains qui était déjà sur la table.  

Deux ans auparavant, il avait déclaré à partir de Philadelphie que « la Sonatrach est une société comme d’autres ». Un clin d’oeil du Président Bouteflika aux Texans pour leur dire « même la Sonatrach est à vendre » et qu’elle ne bénéficie pas de statut particulier comme il est stipulé dans la Constitution algérienne à propos de l’appartenance des richesses sous-sol à la collectivité nationale. Et comment ! C’était une revanche à prendre sur l’histoire, celle de l’Algérie qui avait nationalisé en 1971 son pétrole.  

Selon Sid Ahmed Ghozali, ancien Premier ministre et ancien PDG de Sonatrach, le président Boumediene n’avait pas mis Bouteflika, son ministre des Affaires étrangères, au courant de la décision de nationalisation alors qu’il était en négociation avec la France sur les parts des actions de l’État algérien dans les gisements. Il est rentré de Paris, selon M. Ghozali, tout content de lui d’avoir arraché des Français l’accord sur les 51% en faveur de l’Algérie avant que Boumediene lui annonce la décision prise la veille.   

Le même décalage et la même hypocrisie diplomatique singularisent les positions prises par ailleurs dans d’autres conflits : on soutient la Syrie de Assad, mais on s’arrange pour ne pas dénoncer les frappes américaines. Contre l’ingérence dans les affaires intérieures des pays, mais pas un mot sur les bombardements de la coalition menée par l’Arabie saoudite contre les populations yéménites, ou encore la violation de l’Égypte des territoire libyens. Avec le despote Ben Ali ce n’était pas mieux. Il s’est empressé à recevoir à la présidence l’islamiste Ghannouchi juste après la chute du dictateur. 

Solidaire avec l’Afrique, mais le représentant des Droits de l’Homme auprès de Bouteflika n’hésite pas à dire tout le mal et avec des propos nauséabonds et racistes à l’égard des réfugiés… Emboitant le pas au Monsieur Droits de l’Homme, Maitre Ksentini, Ouyahia a fait de la stigmatisation des migrants, « porteurs de maladies sexuellement transmissibles, responsables de la prolifération des crimes etc… », une constante de sa politique. En plus d’organiser des convois de transport de migrants pour les lâcher en plein désert, il a sommé par le biais de son ministre des Transports les transporteurs de ne plus prendre les migrants subsahariens. L’apartheid n’est pas loin.

En 2003, un couple italien, ayant l’unique nationalité palestinienne qui en fera les frais. il avait trouvé refuge en Algérie. Plus de 20 ans auparavant car la femme et son compagnon, membres de des Brigades rouges, avaient été reconnus comme impliqués dans l’enlèvement et l’assassinat en 1975 du ministre de l’Intérieur italien, Aldo Moro.

Sous les pressions de Berlusconi, le couple a été sommé par la police dans sa maison à Zeralda de quitter l’Algérie. La police italienne les attendait à l’aéroport du Caire pour les conduire en Italie, où ils seront condamnés à des lourdes peines, à la perpétuité pour la femme et à 20 ans pour son compagnon.  C’était un caprice de Berlusconi que Bouteflika a voulu satisfaire lors de sa première visite en Italie.

Voilà à quoi se résume la diplomatie chez Bouteflika : trahison, renoncements et hypocrisie ! C’est le talent du « dribbleur », comme l’a qualifié le général Toufik, l’ancien chef de défunt DRS, pour convaincre de l’option Bouteflika comme candidat du système en 1999.

Auteur
Youcef Rezzoug

 




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