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De la raison d’un Etat à un Etat de la raison ?

TRIBUNE

De la raison d’un Etat à un Etat de la raison ?

Le secteur des hydrocarbures a commencé à jouer un rôle important dans l’Algérie contemporaine à partir de 1952. Ce secteur était organisé en fonction d’une seule finalité : approvisionner la France en produits bruts.

L’exploitation coloniale de ses gisements était inscrite dans une cohérence entièrement orientée vers la dépossession de l’Algérie de ses richesses énergétiques.

En dix ans d’indépendance, l’Algérie a réussi à prendre en charge efficacement la totalité des activités pétrolières et gazières. A partir d’une situation entièrement dominée par le capital étranger, les pouvoirs publics ont réussi à créer une structure industrielle entièrement nationale. L’aspect le plus formel de la domination étrangère qui s’exerçait sur l’exploitation de ses hydrocarbures a été éliminé. C’est là une condition nécessaire mais pas suffisante car les mécanismes profonds de domination demeurent.

La partie dominante tente toujours d’imposer à la partie dominée son propre modèle de consommation par le biais de ses exportations (au comptant ou à crédit), des biens et des services ou des idées. 

Quelle est la nature de cette emprise étrangère ? Elle est de plusieurs ordres : elle est d’abord d’ordre politique puisqu’elle influence les centres de décision nationaux,  elle est d’ordre économique ensuite puisqu’elle agit  sur la structure  et la conjoncture du pays, elle est enfin d’ordre culturel et technique, puisque non seulement  elle s’impose par la production intellectuelle, littéraire, artistique et scientifique mais aussi par le biais de tout ce qu’elle peut inspirer en matière de mode de vie, de nature des valeurs, de comportement  individuel et collectif, de méthodes de travail et de gestion aussi bien sur le plan des microdécisions que sur le plan des macrodécisions.

Dans leur conquête du pouvoir politique, les dirigeants se sont la plupart du temps efforcer à recueillir l’adhésion des masses populaires pour justifier voire légitimer la place qu’ils occupent. Ils ont très vite compris que le pouvoir politique ne signifiait rien sans le pouvoir financier et ce n’est que par la conquête de ce dernier qu’ils ont pu asseoir leur autorité sur une longue période. Le droit de « battre monnaie » est un attribut de souveraineté qui remonte à la création des Etats.

Le système de financement de l’économie et des ménages apparait essentiellement basé en premier lieu sur le principe de la centralisation des ressources et leur affectation en fonction d’objectifs politiques décidés centralement. L’idée finalement admise voulait que les hydrocarbures devraient assurer les ressources financières et ensuite de les mettre à la disposition de l’Etat qui se chargera ensuite de les répartir entre les différents secteurs économiques pour être finalement utilisées par les entreprises et les administrations.

L’équilibre socio-économique a pu être préservé parce que les problèmes financiers étaient résolus soit par la nationalisation des hydrocarbures, soit par la hausse des prix des hydrocarbures sur le marché mondial.

Sur le plan social, les gains qui ont résulté sont considérables que ce soit en matière de développement de l’éducation et des installations sanitaires qu’en amélioration de logements des services publics de transports ainsi qu’en accroissement de la consommation.

De tels effets n’auraient jamais eu l’occasion de se réaliser si l’exploitation des réserves algériennes étaient abandonnées à des intérêts étrangers. C’est là qu’apparaissent les nécessités d’appropriation nationale de ces ressources et l’utilité d’un plan d’utilisation volontaire et efficace de ces ressources. Si la nationalisation des hydrocarbures est une décision salutaire de l’armée, la responsabilité de l’utilisation de ces ressources à des fins stratégiques incombait à l’élite intellectuelle qui en avait la charge.

Malheureusement, elle n’a pas été à la hauteur de la confiance placée en elles. Elle ne veut pas le reconnaître. Elle va jusqu’à susciter une « ébauche de dénationalisation » sous le crédo d’ouverture du marché aux multinationales afin d’augmenter les recettes en devises pour maintenir le niveau de dépenses incompressibles à la pérennité du système en place.

Le pays est sans planification stratégique depuis la fin des années 70 livrant le pays aux excès du système mondial dominant et aux dérives des politiques gouvernementales.

Pourtant, ni les instituts, ni les hommes, ni l’argent n’ont manqué. Au cours des dernières années, l’économie algérienne est devenue de plus en plus dépendante des avatars pétroliers. Les augmentations subites et importantes des prix et des revenus pétroliers ont eu un impact considérable sur le niveau et le modèle de développement économique retenu. La richesse pétrolière a façonné tout un comportement social à l’égard de la consommation, des investissements, de l’emploi et du monde des affaires.

Le pays s’est mis à « importer » le développement, puis de la « nourriture » et enfin de la « santé », évolution qui a entraîné une expansion considérable du secteur des services et de l’administration et une quasi disparition des activités traditionnelles comme l’agriculture, l’artisanat, la pêche etc. En fait ce laxisme dans la gestion n’est pas le résultat de l’intervention étatique, il semble être le passage obligé de toute société qui n’a pas atteint un niveau d’éducation sociale, scientifique et politique au sens large, à même de s’autogérer dans le domaine de la vie sociale.

En effet, la colonisation, en excluant les algériens du système économique, social et politique, a empêché la formation d’une bourgeoisie nationale dynamique. La bourgeoisie capitaliste autochtone, de par sa position subordonnée et sa faiblesse ne pouvait jouer un rôle fondamental dans le processus de construction de l’Algérie indépendante.

Ce rôle incombe à l’Etat, c’est-à-dire à l’administration. Face à la désorganisation de la société civile, à son manque de dynamisme tributaire de la colonisation, seul l’Etat constitue une entreprise structurée, rationnelle, efficace, capable de relever le défi de la modernisation économique L’Etat apparaît dans ces conditions comme le seul instrument de gestion et se substituant aux individus et au groupe, leur impose sa propre conception des choses par les décisions qu’il prend à leur place.

L’organisation sociale étant ainsi faite favorise la dynamique d’un processus de transfert des pouvoirs de la base et de leur centralisation au sein des appareils de l’Etat. N’ayant pas d’autres moyens d’intervention que par la transmission d’ordres formels, l’Etat multiplie les lois, les décrets, les circulaires et les organes de contrôle créant de toute pièce un système tentaculaire administratif : la bureaucratie étouffant toute initiative de production ou d’investissement. Dans une économie fondée sur les hydrocarbures, les membres de l’administration tendent à se transformer en une classe de rentiers.

A chaque fois que l’on fait de l’Etat ou d’une petite élite, le principal acteur du développement, on suscite l’apathie générale du corps social et les citoyens se détournent des structures sociales et politiques organisées. On se trouve devant une société éclatée, une classe dominante qui vivant de l’Etat n’a pas le sens de l’Etat mais de celui de ses intérêts. Cette classe a le goût de l’autorité et du prestige, elle ignore celui de l’austérité et de l’humilité. C’est parfois l’affrontement. La rivalité politique prend la forme d’un affrontement violent.

Or, il existe d’autres façons de gouverner qui n’accroissent pas la violence, ne produisent pas de désordre et n’hypothèquent pas l’émergence d’économie productives et d’un ordre social légitime. Il s’agit de savoir comment moduler et répartir la violence de telle façon que le résultat soit à la fois un accroissement de la productivité et aussi paradoxale que cela puisse paraître un surcroît de légitimité pour l’Etat et ceux qui le dirigent. Surcroît de légitimité qui au bout du compte accroîtra l’efficacité du pouvoir et diminuera les potentialités de révolte, de désordre et de chaos.

La question de la violence est donc importante, parce qu’elle invite à un examen attentif des formations sociales et à une réflexion neuve sur l’économique dans son rapport avec le politique en Algérie.

 

Auteur
Dr A. Boumezrag

 




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