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De l’impérilleuse nécessite de fusionner les banques publiques

DECRYPTAGE

De l’impérilleuse nécessite de fusionner les banques publiques

Je fus désigné, malheureusement, par mon ministre de l’époque, Président de la commission de restructuration organique du secteur des finances, en 1982.

Il s’agit de l’opération de restructuration organique de toutes les entreprises publiques, menée le sable au clair par le CNRE, sous l’autorité du très puissant MPAT (1) et de son non moins puissant ministre Abdelhamid Brahimi. C’est pour moi, encore aujourd’hui, l’œuvre la plus puissante de destruction du secteur public tout entier !

En effet, cette opération va consister à atomiser les entreprises publiques en « entités plus petites », sous le prétexte fallacieux de les rendre plus faciles à gérer ! « Small is beautiful » pour reprendre l’expression anglaise consacrée à cette époque. En réalité, certaines entreprises publiques avaient atteint une taille respectable tant au niveau national qu’à celui international, ce qui se traduisait, pour leurs dirigeants, à les élever à un statut plus important que celui de simple gestionnaire (2) et leur conférer une liberté d’action hors de la tutelle administrative qui les étranglait par divers injonctions et autres directives.

Pour le « pouvoir politique » du moment, c’était intolérable et il fallait y remédier par un subterfuge dénommé la restructuration organique, au sein duquel c’étaient nichés les courants d’extrêmes gauches, trahissant ainsi leurs idéaux fondamentaux de préservation du secteur public.

Ainsi, le dépeçage devait être systématique et sans exceptions, secteurs par secteurs (3) et pour couronner le tout, chaque secteur devait proposer son propre schéma de « restructuration » et le présenter au Conseil national qui, bien entendu, disposait de la décision finale… en matière de cynisme on ne peut faire mieux ! Toutes les grandes entreprises dites « Sona… quelque chose » et mêmes les moyennes y sont passées. Jugez en vous-mêmes, j’en oublierais forcement quelques unes : 

  • Dans le secteur de l’industrie et de l’énergie la Sonatrach, Sonelgaz, Sonacome, SNS, Sonarem, Sonic, Enpc, Soneric, Sonitex, Enie,  

  • Dans le secteur des services Air Algérie, Sntr, Cnan, Sncf, Onaco, Onama, Ofla, Sonatour, Onab,     

  • Dans le secteur du bâtiment et des travaux publics la Sonatro, Sonatiba, DNC-Anp, Sorecal, 

  • Dans le secteur des manufactures la Sonipec, Sogedia, Enap, Emac, Enal, Snta, Snat,  

Alors qu’à cette époque l’économie mondiale restructure les entreprises en multinationales et en gros trusts, par des fusion-acquisitions, absorptions, ententes, opérations boursières…, de manière à présenter des capacités technologiques et des surfaces financières en mesure de faire face à la concurrence internationale et pour emporter des parts de marché de plus en plus grandes, avec des arrière-pensées monopolistiques, notre pays décide, à contrecourant de l’histoire économique mondiale, d’atomiser ses entreprises publiques en les fragilisant par la taille !

Mais l’acte le plus criminel de cette opération est certainement celui d’avoir séparé les bureaux d’études et autres centres de recherche, de leurs donneurs d’ordre, éparpillant ainsi irrémédiablement notre matière crise et le Know How accumulés durant des décennies de la période préindustrielle, au profit des bureaux d’études étrangers. Mises en concurrence déloyale avec le marché mondial, ces ressources humaines vont dépérir ou faire le bonheur des multinationales qui vont les récupérer à moins coûts et surtout sans avoir dépensé le moindre dollar pour leur formation de base et leur background. 

S’agissant du secteur financier, j’avais défendu, après du CNRE, avec le groupe de travail constitué de banquiers, le maintien du statuquo, arguant du fait que la spécialisation des banques par secteur d’activités était déjà actée (4) et que scinder ex nihilo les banques existantes ne pouvait qu’appauvrir la présence du réseau bancaire au niveau du territoire national et sa capacité à mettre en œuvre ses métiers de base à savoir l’octroi des crédits, la mobilisation de l’épargne et enfin le conseil.

Je fus mouché énergiquement par le Président du CNRE et ses membres et mon schéma rejeté. En outre, une demande indirecte, fut ordonnée à mon ministre pour me décharger du dossier. Le résultat de ce rapport de force fut la création ex nihilo de deux banques (5) additionnelles (BADR et BDL) et d’une compagnie d’assurance de plus (CAAT).

L’analyse bilancielle des banques publiques est plus que préoccupante (6), (à part la BEA qui a pour client majeur le groupe Sonatrach) et la bancarisation des ressources en numéraire est très faible (quelques 5.000 Milliards de DA sont hors banques soit 30% de la masse monétaire en circulation). Tant dans la représentation territoriale que dans activité intermédiation elle-même et de la qualité du service (informatisation et monétique), il nous parait claire que l’intermédiation financière reste faible (7) qualitativement (important taux de crédits toxiques) et quantitativement (crédit à l’économie) malgré les subventions publiques (bonifications des taux d’intérêts débiteurs).

Il ne faut pas se tromper de cible de politique monétaire, il ne s’agit donc pas de rendre disponible le cash comme le défendent certains mais bien au contraire de le bancariser, ce qui est une toute autre affaire. Il reste cependant à signaler que les banques publiques représentent 80 % des crédits à l’économie, alors que la quinzaine de banques privées internationales et mixtes agréées (8), seulement 20 %. Cette situation structurelle héritée mérite que l’on se penche sur le problème et que l’on lève les obstacles qui nous amènent à ce paradoxe. 

Il est donc temps de réparer ce qui a été détruit par la restructuration organique dans le secteur monétaire et financier en reconstruisant un schéma bancaire avec deux banques publiques (9) par absorption des actifs des trois autres. Cette fusion a pour objectifs principaux d’accroitre la surface financière des deux futures institutions financières, d’augmenter leur représentation territoriale et d’agrandir le réseau (il y a seulement 1.664 agences bancaires de différents niveaux actuellement) à moindre coût, d’introduire la normalisation et standardisation des activités bancaires, d’intensifier l’informatique et la monétique, de redéployer les ressources humaines (10) et de les optimaliser.

Aller vers un changement radical et non pas se contenter de mesurettes, nécessite une décision politique au plus haut sommet de l’état, afin de mettre sur le rail du changement le secteur monétaire et financier, qui en a tant besoin.

M.G.   

Renvois

(1) Ministère de la planification et de l’aménagement du territoire et Conseil National de la Restructuration des Entreprises.

(2) Beaucoup de gestionnaires sont devenus Ministres, ce qui avait pour résultat la perte un bon gestionnaire et le gain d’un mauvais ministre.

(3) Le CNRE a poussé l’outrecuidance jusqu’à régionaliser les sièges des entreprises dans les villes et les villages les plus isolés du pays sans s’inquiéter des disponibilités d’accueil de l’encadrement ainsi déplacé. Cette décision a eu deux conséquences désastreuses sur l’économie nationale. La première, les cadres performants qui ont refusé ces transferts, ont trouvé la solution de se réfugier dans les « cabinets » des administrations et des entreprises non déplacées, ce qui est un énorme gaspillage. La seconde c’est la promotion à la tête des entreprises de cadres médiocres et sans expérience qui ont accepté ces déplacements. Enfin, au bout de quelques années, les sièges des entreprises déplacées, ont ouvert des succursales dans la capitale. 

(4) Les entreprises publiques avaient été affectées d’office aux banques publiques sur la base des critères d’équilibres financiers des banques, en répartissant les entreprises publiques déficitaires et celles excédentaires. 

(5) Pour la petite histoire nous fumes obligés, dans certains cas, de séparer par un mur une même agence, pour créer le réseau des nouvelles banques et ce fut la même chose pour la compagnie d’assurance nouvellement créée !

(6) Je ne cesserais pas de citer A. Benachenhou qui avait déclaré comme ministre des finances « que les banques publiques sont un danger pour la sécurité de l’état ». C’est peut-être cette phrase qui explique son départ précipité de son poste.

(7) L’une des fausses solutions proposées est celle qui consiste à recruter des super-administrateurs pour garnir les Conseils d’administration des banques publiques. Il s’agit de changer le mode de gouvernance des banques et non les personnes !

(8) Les banques privées internationales développent leur action en particulier sur le commerce extérieur et sont très peu présentent pour le financement de l’exploitation et encore moins pour l’investissement. Certains s’adonnent carrément à des opérations illégales d’exportation des capitaux.

(9) Il y a actuellement la BEA, la BNA, le CPA, la BADR et la BDL, la CNEP étant une caisse d’épargne (institution financière non monétaire) comme banques publiques. Ces cinq banques peuvent très facilement fusionner pour créer deux banques publiques sur simple décision de leur actionnaire unique qui est l’état.

(10) Il est très clair que les banques étrangères, installées en Algérie, ont écrémé les meilleures ressources humaines en les débauchant les banques publiques qui les ont formées et qui leur ont permis d’acquérir une expérience précieuse.

 

Auteur
Mourad Goumiri, professeur associé

 




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