Lundi 15 octobre 2018
De lourdes accusations pèseraient sur les cinq généraux-majors en détention provisoire
La grande muette doit bégayer en ce moment. Cinq puissants généraux-majors placés, dimanche 14 octobre, en mandat de dépôt par le tribunal militaire de Blida.
Faut-il applaudir ou s’en inquiéter ? L’affaire n’est pas mince quand on connaît le fonctionnement hiératique des institutions du pays.
Said Bey, ancien patron de la 2e Région militaire (RM), Lahbib Chentouf, ancien commandant de la 1re RM, Saïd Bey, Cherif Abderrazak, ex-commandant de la 4e RM, Menad Nouba, ex-commandant de la Gendarmerie nationale, Boudjemaa Boudouaouar, ancien directeur des finances au ministère de la Défense nationale ainsi qu’un colonel du renseignement dorment dans la prison militaire de Blida. Un fait unique dans les annales de l’histoire de l’Algérie. Des officiers supérieurs devant la justice ! L’Algérien lambda n’a pas vu pareil opération.
Cette opération intervient dans un contexte très particulier. Celle d’un président coupé de l’Algérie vivant reclus dans sa résidence, laissant le fonctionnement des affaires du pays à des seconds couteaux. Pas seulement, puisque les Algériens assistent ahuris par le spectacle qu’offre les députés de la majorité à l’APN. Cinq groupes parlementaires supporters du clan au pouvoir qui exigent le départ du président de l’APN, lui-même soutient patenté du président Bouteflika. C’est à ne rien comprendre !
Affairisme au sommet de l’Etat
Mais revenons à cette affaire de la décennie ! Les chefs d’accusation retenus contre les cinq généraux-majors pèsent lourd sur leur dossier. Trafic d’influence et corruption… rien que ça.
Si l’on en croit El Watan, tout est parti de l’arraisonnement des 701 kg de cocaïne par l’armée fin mai dernier au port d’Oran. L’importateur de la viande congelé dans laquelle était cachée la cocaïne, Kamel Chikhi, dit El Boucher, croupit depuis en prison. Mais l’enquête entretemps révèle ses relations tentaculaires au sein des institutions militaires, de la haute administration, des élus… au sommet de l’Etat, beaucoup de beaux linges est éclaboussé.
La première tête à tomber a été celle du patron de la DGSN, Abdelghani Hamel qu’on disait pourtant un temps comme possible candidat du clan au remplacement de Bouteflika.
Le vice-ministre de la Défense Ahmed Gaïd Salah, débarque ensuite le général-major Menad Nouba, patron de la Gendarmerie. S’ensuivront alors les limogeages des six commandants de Régions militaires dont deux sont aujourd’hui incarcérés. Un véritable séisme.
Les premiers éléments de l’enquête sur Kamel Chikhi révèlent sa proximité avec de nombreux généraux qu’il gratifie de nombreux cadeaux pour services rendus. « Le premier à être mis en cause est le directeur financier, le général-major Boudjemaa Boudouaouar, dont la proximité avec Kamel, dit «le Boucher», est sur toutes les lèvres », écrit El Watan.
Boudjemaâ Boudouaour a fait la connaissance de Kamel Chikhi par l’intermédiaire de son collègue, le général-major Mokdad Benziane, ex-directeur du personnel au ministère de la Défense.
Dans la foulée, ajoute El Watan, Boudjemaâ Boudouaouar « s’est offert une villa coloniale dans un quartier résidentiel à El Biar, (Alger), avant de la raser pour en construire une autre à coups de milliards, et achète deux appartements haut standing dans une des résidences promotionnelles de Kamel Chikhi. Aussi bien le général-major Mokdad que le général-major Boudouaouar étaient considérés comme faisant partie des hommes de confiance du chef de l’état-major ».
Fils de généraux impliqués ?
Il est reproché au général-major Saïd Bey et au colonel chargé de la sécurité de l’armée au niveau de l’Ouest d’avoir manqué de vigilance dans une affaire de sécurité de l’Etat.
L’affaire ne s’arrête pas là. Les éléments de l’enquête « auraient évoqué le fils de l’ex-chef de la 4e RM, le général-major Abderrazak Cherif, ses relations dans les milieux d’affaires et particulièrement avec Kamel Chikhi, qu’il aurait introduit dans le circuit des marchés d’approvisionnement en viande des casernes à Ouargla. Il en est de même pour l’ex-chef de la 1re RM, le général-major Lahbib Chentouf, dont le fils aurait été identifié parmi les personnalités qui fréquentaient les bureaux de Kamel Chikhi. »
Au-delà de ces lourdes accusations qui pèsent sur ces prévenus, l’affaire tombe dans une période particulièrement troublante. Si la célérité de la justice militaire est à saluer, il y a de quoi s’interroger sur les autres affaires qui ont touché par le passé des ministres proches du clan au pouvoir et qui ont réussi tous à passer entre les gouttes sans grand fracas. Certains ont même eu droit à une réhabilitation en bonne et due forme.