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De Nuremberg à Alger

REGARD

De Nuremberg à Alger

De surenchères verbales aux simulacres procès d’assainissement des affaires de corruption, dans un pays où l’autorité du juge est sous scellé, il faut comprendre le mimétisme endémique avec lequel les règlements de compte, au sommet de l’Etat, se réinventent.

Des coups de sifflet endiablés du dernier janissaire, Gaïd Salah, qui gouverne avec une couronne, un  quart de sarouel et quelques tanks derrière lui, un Nuremberg à Alger, est un procès à réinventer.

Ce n’est ni infâme ni incongru d’arrêter l’horloge du pays pour quelque temps, remettre les aiguilles au temps où l’on pensait naïvement que les affres du colonialisme étaient bien derrière nous et compter le nombre de morts et de victimes que leur sale guerre nous a laissées incrédule. Oui, il y a bien eu des guerres après la Grande Guerre de libération. Une affreuse guerre de succession qui dure depuis plus d’un demi-siècle et qui, à chaque fois, se termine par la mise en place, aux commandes de la torture et du pillage des richesses du pays, les dignes héritiers du Général Massu. Cela est largement suffisant pour dire qu’en Algérie, il y a eu crime contre l’humanité.

Le pathétique tribunal de Sidi M’Hamed voit défiler les petits larbins au fur et à mesure que les grands larbins aiguisent leurs couteaux en dessous des capes des juges qui, autrefois, officiaient, avec la plus sévère des sentences, leurs lois sur le petit citoyen, El Guellil, le vendeur à la sauvette et le journaliste libre. Le pénitencier d’El-Harrach devient alors une bénédiction pour ceux qui ne passeront pas par la case du cachot, à fouiller inlassablement le moindre faisceau de lumière qu’ils ne verront jamais. Comment le pathétique tribunal de Sidi M’Hamed, sous les verrous, de Gaïd Salah et de ses prédécesseurs, peut-il juger non pas seulement les hommes qui ont été et sont aux commandes du pays, mais tout le système au complet, qui a rendu de tels crimes : financier, économique, politique et humain, possibles ?

Comment ne pas considérer l’insondable corruption qui gangrène les institutions de l’État, depuis l’avènement de l’indépendance et l’instauration d’une république bananière, comme un génocide économique commis par un bataillon d’oligarques, lourdement armés, à l’encontre d’une majorité, indéfiniment affamé. Ils ont pompé, dans l’impunité la plus totale, les richesses du pays, alors que des générations de jeunes, souvent diplômés, pleines de vie et de rêves, fuyant leur razzia, dépérissaient dans les profondeurs sans fin de la méditerranée ? Ne serait-il pas un crime contre l’humanité de pousser cette jeunesse à une mort certaine, quand le pays regorge de richesse et que le pouvoir en place, avec ses courtisans, tels que les Amara Benyounes, Amar Ghoul, Baha-Eddine Tliba , Naima Salhi, Aboudjerra Soltani , Chakib Khellil ou encore Khalida Toumi, comme de vulgaires hommes de paille , piquent, à la volée ,ce qui reste de miettes pour le peuple?

Comment expliquer aux Algériens le processus politique par lequel des figures, portant le visage de la haine et de la mort comme Ali Belhadj, ont pu envoyer des milliers de jeunes à l’abattoir au nom d’Allah?

Donnons la parole aux mutilés des sous-sols de la sécurité militaire, ils nous parleront de ces cellules qui retentissaient au rythme des cris de supplices des âmes damnées qui s’y trouvaient. Ils nous diront comment la nuit se transformait en un berceau inconsolable de tourments et de supplices, du crépuscule jusqu’au jaillissement des premières lueurs de soleil. Ils nous parleront du florilège des méthodes les plus abjectes de dessiccation du corps. Ils nous nommeront leurs tortionnaires qui maîtrisaient autant le coup de tiroir, que les noyades dans les baignoires pour étouffer la moindre velléité de révolte chez le peuple.

Comment ne pas réinventer Nuremberg à Alger, juste le temps de purger notre histoire des crimes qui l’ont souillé et redonner justice aux victimes des innombrables charniers ? Du printemps berbère, où à peine si on avait pas épingler le kabyle d’un insigne pour le ficher, le traquer, lui pomper le sang comme des sangsues, aux génocides de Bentalha et Rais, ces minorités recluses et invisibles, prises dans l’étau du conflit armé opposant l’état aux terroristes islamistes, en passant par la révolte d’octobre 1988, avec son lot de victimes abattues à bout portant, par la horde des généraux à la tête de l’État .

Comment faire la paix en absence d’une justice pour les deux cent cinquante mille morts de la décennie noire, ces innombrables illuminés scientifiques, artistes, hommes de lettres, journalistes…. qu’il va falloir , désormais, s’armer de patienter pour les réinventer ? Une justice pour les disparus, dont les sanglots des mères ne peuvent étancher le feu incandescent qui consume leur cœur. Une justice pour El Djoundi mort sur le front de la lutte contre le terrorisme islamiste pendant que, à quelques encablures d’Alger, nichés dans leurs inviolables forteresses, des généraux ventrus, curaient leurs dents du dernier festin qu’ils vilipendaient de la bouche du peuple meurtri.

Un Nuremberg à Alger n’est pas une idée farfelue, c’est une justice qui n’ose pas dire son nom. Elle est nécessaire pour comprendre cette longue errance dans les crimes dissimulés, les richesses vilipendées et les vies à jamais brisées. Elle est nécessaire pour expliquer à cette génération, née dans la houle laissée par les vagues de traques nocturnes, de corruption organisée et de meurtres programmés, combien nous ne devons plus nous  excuser d’exister, fuir la lumière et nous courber l’échine devant un nouveau despote, fut-il Gaïd et Salah, en même temps. De Nuremberg à Alger, il nous faudra tous les tribunaux de la terre pour étancher notre soif de justice et de liberté.
 

Auteur
Mohand Ouabdelkader

 




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