Dans les arcanes du pouvoir politique contemporain, une continuité mémorielle relie la France et l’Algérie, révélant des dynamiques de leadership qui s’apparentent à un jeu de miroirs.
Ces deux nations, bien que marquées par des histoires et des contextes différents, partagent un paradoxe troublant : des « rois sans couronne » qui gouvernent des États où les « couronnes » semblent encore peser lourdement sur les décisions politiques.
Une technocratie républicaine en France
Depuis la création de l’École Nationale d’Administration (ENA) après la Seconde Guerre mondiale, la France a cultivé une élite administrative, composée de « énarques » qui accèdent aux plus hautes fonctions de l’État. Des présidents comme Jacques Chirac, Valéry Giscard d’Estaing, et Emmanuel Macron sont issus de cette tradition qui élève les technocrates au sommet du pouvoir. Ces dirigeants, bien qu’élu par le peuple, exercent une autorité qui rappelle les monarques d’antan, avec des décisions souvent prises loin des réalités du terrain.
Cette centralisation du pouvoir, tout en étant imprégnée d’un discours républicain, évoque une forme de monarchie moderne, où les énarques, en tant que rois sans couronnes, détiennent les rênes d’un État dont les décisions sont souvent perçues comme déconnectées des aspirations populaires. Les réformes, bien que présentées comme des avancées, semblent parfois masquer une continuité du pouvoir vertical qui remonte à l’Ancien Régime.
L’Algérie : une présidence à vie sous la lueur de la monarchie
De l’autre côté de la Méditerranée, l’Algérie indépendante de 1962 s’est bâtie sur les cendres du colonialisme français, avec un pouvoir qui se concentre rapidement autour du Front de libération nationale (FLN). Les premières décennies de l’Algérie ont vu émerger une autorité forte, incarnée par des présidents tels qu’Ahmed Ben Bella et Houari Boumédiène. Ce dernier a établi une forme de gouvernance autoritaire où le pouvoir exécutif est centralisé, souvent soutenu par l’armée.
L’exemple le plus emblématique reste celui d’Abdelaziz Bouteflika, qui a présidé le pays de 1999 à 2019. Sa longévité au pouvoir et sa gestion quasi-monarchique du pays ont alimenté des comparaisons avec une monarchie déguisée. Bouteflika, même affaibli physiquement, a continué d’incarner cette autorité, renforçant l’idée d’un système où le président est, en réalité, un roi sans couronne.
Un héritage commun : entre républiques et monarchies déguisées
À travers les siècles, la France et l’Algérie ont entretenu un lien complexe, illustrant comment le pouvoir peut se centraliser et se concentrer, même dans des régimes qui se prétendent républicains. En France, malgré les idéaux de démocratie et d’égalité, la technocratie des énarques rappelle l’autoritarisme d’une monarchie éclairée. De même, en Algérie, malgré les luttes pour l’indépendance et la souveraineté, le système politique a souvent révélé une concentration de pouvoir qui imite le modèle monarchique, délaissant les aspirations démocratiques de ses citoyens.
La question qui se pose est donc celle de l’authenticité de ces régimes. Sommes-nous réellement en présence de républiques, ou bien ces systèmes cachent-ils des monarchies modernes où le pouvoir se concentre entre les mains de quelques-uns ?
Les dirigeants, qu’ils soient énarques en France ou présidents en Algérie, sont, en effet, des « rois sans couronnes » régissant des « couronnes sans roi ». Cette dualité souligne un paradoxe troublant qui traverse les âges et les systèmes, nous interrogeant sur l’avenir de la démocratie dans ces deux pays.
En somme, l’évolution des leaderships de Paris à Alger révèle non seulement une continuité historique, mais aussi un défi contemporain. La lutte pour un véritable changement démocratique dans ces nations dépendra de leur capacité à briser les chaînes de la centralisation et à redonner la voix au peuple.
Dans le jeu complexe du leadership contemporain, la France et l’Algérie partagent un héritage d’autoritarisme dissimulé derrière les façades républicaines, où les dirigeants, qu’ils soient énarques ou présidents, incarnent des rois sans couronnes, perpétuant une centralisation du pouvoir qui interroge la véritable essence de la démocratie.
Dr A. Boumezrag