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Déclaration d’Alger : la Ligue arabe a-t-elle les moyens de ses intentions ?

Sommet d'Alger

Soutien à la cause palestinienne, solidarité des pays dits arabes pour faire face aux défis géopolitiques, amélioration de leurs relations avec leur voisinage et les partenaires internationaux, efforts pour l’intégration économique entre les pays membres, par l’activation complète de la zone arabe de libre-échange,… beaucoup d’intentions mais quid du concret ?

Voici résumé à grands traits les ambitions partagées par les participants à la 31e session du sommet de la Ligue arabe d’Alger qui s’est achevée dans la soirée de mercredi 2 novembre 2022 avec l’adoption d’un document dénommé « déclaration d’Alger ». De grandes ambitions qui risquent, comme l’ensemble des décisions de cette Ligue, de rester sur du papier.

Le document qui synthétise l’ensemble des points abordés et sur lesquels les participants se sont mis d’accord se veut une feuille de route pour une démarche concertée pour trouver des solutions à l’ensemble des écueils et problèmes d’ordre économique, politique et sécuritaires que rencontrent leurs peuples est beaucoup plus un catalogue de bonne intentions qui ne  précise pas  les leviers et les mécanismes pour les concrétiser.

En vrai, rien ou peu dans les éléments de langage de ce texte ne précise le mode opératoire pour solutionner les crises multiformes que rencontrent les pays de cet ensemble géopolitique. Sans agenda précis ni définition précise des contours des dossiers, document frise la simple glose.

Des satisfecit en vois-tu en voilà !

Dans la conférence de presse qu’ils ont animée conjointement,  le chef de la diplomatie algérienne, Ramtane Lamamra et Aboul Ghit, SG de la Ligue arabe ont fait beaucoup plus dans la logorrhée verbale et l’exercice de style, une manière de boter en touche pour éviter les questions essentielles.

« Le sommet a été un succès à tout point de vue. L’histoire retiendra que ce rendez-vous était un succès au regard  de la dimension internationale qu’il a prise», dira euphorique, le chef de la diplomatie algérienne pour qui le rendez-vous des dirigeants des Etats arabes d’Alger a été celui du «renouveau», dans le sens où, expliquera-t-il, il a permis de «jeter les jalons d’un travail arabe commun que nous devons consolider» et de «travailler pour la réunification des rangs». Rien que ça ! Lamamra a enterré les vieilles querelles des pays arabes : exit le différend entre le Yémen et l’Arabie saoudite, l’Egypte et le Qatar sur la Libye. Que dire de la rupture diplomatique entre l’Algérie et son voisin marocain. Lamamra semble l’avoir complètement oubliée. Ou bien la crise entre Tunis et Rabat…

Le SG de la Ligue des pays arabes a mis en avant «le consensus inédit» qui aura marqué le déroulement et les conclusions de ce sommet, considérant que le niveau de représentation des pays a été des plus élevés à l’occasion de ce Sommet d’Alger. Il a indiqué à ce propos que 17 dirigeants, entre rois et chefs d’Etat étaient présents, alors quatre autres pays ont été représentés à un rang très élevé, estimant que c’est le sommet le plus représenté, louant «l’absence de réserves» parmi les participants sur l’ensemble des questions et crises traitées pendant les travaux.

Interrogé sur les «mécanismes» et «outils» à mettre en œuvre pour rendre palpables les engagements pris à l’occasion de ce sommet, le chef de la diplomatie algérienne  mettra en avant «la volonté politique des dirigeants (qui) est un acquis» du sommet arabe d’Alger.

Visiblement, aucun calendrier n’a été établi pour l’application des résolution prises. Pour Ramtane  Lamamra, l’essentiel est de travailler à «l’application» de ce qui a été décidé en œuvrant au renforcement de la coopération arabe pour un développement dans la région. «Les responsables arabes ont pris conscience de l’impératif du travail commun pour défendre les intérêts de leur pays», se réjouit-il.

Comme le conclave de Tunis, en 2019 avait donné lieu à une flopée de déclarations de bonnes intentions sans lendemains, il faudra sans doute attendre le prochain sommet qui se tiendra en Arabie saoudite pour faire le bilan de la mise en ruine des résolutions d’Alger. En clair, ce fonctionnement est une vieille habitude de cette organisation.

Lue en séance de clôture par le représentant permanent de l’Algérie auprès des Nations unies, Nadir Larbaoui, le texte appelé déclaration d’Alger embraye sur « la conjoncture délicate et des développements effrénés sur la scène internationale et des signes de l’état actuel de polarisation qui augurent d’une reconfiguration des rapports de force », alertant  sur « les dangers que cette situation fait peser sur notre sécurité nationale et sur la stabilité de nos patries. »

De fait, il est impératif, est-il souligné de « fédérer nos efforts pour préserver nos intérêts communs et se positionner en tant qu’acteur influent et agissant pour dessiner les contours d’un nouvel ordre international basé sur la justice et l’égalité souveraine entre Etats. »

Dans le même contexte, la déclaration appelle les pays membres à adopter une position  de neutralité vis-à-vis de la guerre en Ukraine, laquelle position repose sur « le rejet du recours à la force et l’adoption de solutions pacifiques à travers l’adhésion effective (…) aux efforts internationaux visant à cristalliser une solution politique à la crise en adéquation avec les principes de la Charte onusienne. » Voilà qui va sans doute plaire à Vladimir Poutine, dont le message a été lu en plein conclave.

Dans le même  sillage, un appel est lancé afin de « valoriser la politique équilibrée adoptée par l’Organisation des pays exportateurs de pétrole et ses alliés (OPEP+), afin de garantir la stabilité des marchés énergétiques mondiaux et la pérennité des investissements dans ce secteur stratégique dans le cadre d’une approche économique assurant la protection des intérêts des pays producteurs et consommateurs à la fois ».

Palestine: droit à la terre contre la paix

Une autre vieille rengaine que les Palestiniens connaissent très bien. La déclaration souligne « l’importance de la centralité de la cause palestinienne, du soutien absolu aux droits inaliénables du peuple palestinien, y compris son droit à la liberté, à l’autodétermination et à l’établissement de l’Etat de Palestine indépendant, pleinement souverain sur les lignes du 4 juin 1967, avec Al Qods Est pour capitale, le droit au retour et à l’indemnisation des réfugiés palestiniens, conformément à la résolution 194 de 1948 de l’Assemblée générale des Nations unies. » Voilà qui va aider beaucoup les Palestiniens en lutte pour leur terre !

Les pays participants au sommet d’Alger réaffirment leur « attachement à l’initiative arabe de paix de 2002, avec tous ses éléments et priorités et engagement vis-à-vis d’une paix juste et globale en tant qu’option stratégique pour mettre fin à l’occupation israélienne de toutes les terres arabes, y compris le Golan syrien, les fermes de Chebaa et les collines libanaises de Kafr Shuba, et résoudre le conflit arabo-israélien sur la base du principe de «la terre contre la paix », du droit international et des résolutions pertinentes de la légalité  internationale », tout en poursuivant  « les efforts visant à protéger la ville d’Al-Qods occupée et ses lieux saints et à la défendre contre les tentatives inacceptables et condamnables visant à en modifier la démographie et l’identité arabo-musulmane et chrétienne ainsi que le statut historique et juridique, notamment à travers le soutien à la tutelle hachémite historique pour protéger les lieux religieux islamiques et chrétiens. »

Les dirigeants  arabes appellent à « la levée du blocus israélien imposé à la bande de Ghaza et condamnation de l’usage de la force par l’occupation contre les Palestiniens, et de toutes les pratiques barbares, dont les assassinats et les arrestations arbitraires, tout en réclamant la libération de tous les détenus et les prisonniers, notamment les enfants, les femmes, les malades et personnes âgées. »

En outre, il est  impératif « d’appuyer les  efforts juridiques palestiniens visant à tenir l’occupation israélienne pour responsable des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qu’elle a commis et qu’elle continue de commettre à l’encontre du peuple palestinien. »

Dans le cadre de la solidarité inter-arabe, les représentants des Etats arabes  expriment leur soutien « aux efforts visant à mettre un terme à la crise libyenne à travers une solution inter-libyenne. Aucun mot sur l’Egypte et le Qatar, encore moins sur la Turquie qui se disputent la dépouille de ce pays. Il en est de même pour le Yémen. Si un soutien et exprimé au gouvernement de ce pays, la déclaration d’Alger fait l’impasse sur  ingérence de pays arabes tiers dans les affaires de ce pays en proie à la guerre civile.

S’agissant du problème syrien, la déclaration salue le « rôle collectif des Etats arabes dans les efforts visant à parvenir à une solution politique à la crise syrienne et au traitement de toutes ses retombées politiques, sécuritaires, humanitaires et économiques en vue de garantir l’unité et la souveraineté de la Syrie ». En attendant le dictateur Bachar Al Assad reste devant la porte de l’organisation arabe.

Idem pour la situation prévalant au Liban. Les participants au sommet d’Alger expriment leur solidarité « pour la préservation de sa sécurité et de sa stabilité. » Sans plus. Pourtant le pays est presque en banqueroute économique. Rien aucune ligne de crédit pour aider Beyrouth à sortir de l’ornière. Que des déclarations ! Lamentable.

Le même  soutien est exprimé en faveur de la République fédérale de Somalie. En outre, ils soutiennent les efforts déployés pour « une solution politique entre Djibouti et l’Erythrée ».

Par ailleurs, la déclaration souligne « la nécessité de créer une zone dénucléarisée et exempte d’armes de destruction massive au Moyen-Orient, conformément aux références convenues, et d’inviter toutes les parties concernées à rejoindre et mettre en œuvre le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), qui demeure la pierre angulaire du Système mondial de non-prolifération nucléaire ». On devine, ici, le lobbying exercé par l’Arabie Saoudite et des autres émirats du Golfe pour l’adoption de cette résolution qui désigne sans le citer, l’Iran, pays qui fait face à des pressions internationales pour renoncer à sa volonté de se constituer un arsenal nucléaire. Là encore, Israël, seule puissance nucléaire de la région n’est pas pointé. Mais depuis les accords d’Abraham tout porte à croire que seul l’Iran semble inquiéter les monarchies arabes.

Au plan économique, les Etats arabes sont appelés à « s’engager à multiplier les efforts pour la concrétisation du projet d’intégration économique arabe suivant une vision globale assurant une exploitation optimale des atouts des économies arabes, mais aussi des opportunités précieuses qu’elles présentent, l’objectif étant d’assurer une activation complète de la Grande zone arabe de libre-échange (GZALE), en prévision de la création de l’Union douanière arabe. »

Concernant les relations avec les pays du voisinage et les partenaires internationaux, il est souligné « la nécessité d’établir des relations saines et équilibrées entre la communauté arabe et la communauté internationale, y compris son environnement islamique, africain et euro-méditerranéen, des relations reposant sur le respect des règles de bon voisinage, la confiance, la coopération fructueuse et l’engagement mutuel aux principes consacrés dans la charte des Nations unies, en tête desquels le respect de la souveraineté des pays et la non-ingérence dans leurs affaires internes. » Quid de la guerre sanglante que mène l’Arabie saoudite au Yémen. Aucune voix dans l’assemblée n’a sans doute voulu rappeler cet épisode. Encore moins les milliers de morts yéménites suite aux bombardements saoudiens.

Aucune allusion au processus de normalisation appelé « Accord d’Abraham » engagé avec Israël par certains pays. Prudence. Quand on sait l’opinion d’Alger sur le sujet, il vaut mieux mettre sous le tapis les sujets qui fâchent.

L. M.

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