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Défaillance de la langue arabe ou indigence de la didactique islamisée ? (2)

TRIBUNE

Défaillance de la langue arabe ou indigence de la didactique islamisée ? (2)

Force est de relever que, pour coloniser habilement le système scolaire algérien, les partisans de l’enseignement religieux ont confectionné cette difforme matière scolaire idéologique, désignée sous le terme amphigourique et oxymorique « sciences islamiques ».

Encore deux termes radicalement antinomiques. L’islam n’est pas une science et ne pourra jamais le devenir. Car la religion relève de la croyance, de la foi. Contrairement à la science qui, elle, ressortit de la raison.

Si la religion islamique s’appuie sur un corpus considéré comme incréé, immuable, immortel, œuvre de Dieu, d’où le doute est banni, la remise en cause, proscrite ; la science, fondée sur l’observation et l’expérimentation, avec comme principe régulateur le doute méthodique et systématique, est l’œuvre de la seule Raison de l’homme, pour laquelle la remise en cause est prescrite. On ne peut donc associer ces deux champs d’investigation spirituelle et scientifique antithétiques, radicalement incompatibles.

Toute science serait superflue s’il y avait coïncidence immédiate entre la forme phénoménale et l’essence des choses. Telle est manifestement la conception de la religion (musulmane) en la matière, le postulat sur lequel repose sa doctrine intangible. De son point de vue théologique, nul besoin de procéder à l’étude, à l’observation et à l’expérimentation des phénomènes pour saisir leur essence. Cette essence est d’emblée posée, donnée, une fois pour toute par Dieu : cette main invisible à l’origine de la création de l’univers et de l’homme. Dès lors, à quoi bon s’échiner à instruire l’homme pour lui offrir les outils scientifiques afin de lui permettre de produire sa vie, d’aiguiser sa curiosité, d’aiguiller ses recherches, de développer son esprit critique, d’affermir ses connaissances, de conquérir sa liberté.

Blasphème, hérésie…

Dans la logique (irrationnelle) des religieux, des milliards de livres ne remplaceront pas et ne vaudront jamais leur Unique Livre. Conséquence : il ne peut y avoir d’avancée du savoir, de progrès scientifique. La « Vérité » a déjà été énoncée une fois pour toutes. Et l’on ne peut que continuer à énoncer et annoncer son message, mais jamais la dénoncer, ou y renoncer.

De façon définitive, l’islam postule, une fois pour toutes, que le Coran l’emporte en toutes circonstances et dans tous les cas de figure, en tous lieux et en tout temps, qui ne souffre aucune exception ni aucune transgression, sur ce que les hommes peuvent décider en matière de lois, d’éducation, d’instruction, de morale, de politique, d’économie. L’islam ne peut admettre la critique.

L’esprit critique établit des distinctions, et distinguer est un signe de modernité. Dans la culture moderne, la communauté scientifique entend le désaccord comme un instrument de progrès des connaissances. Or, pour l’islam, le désaccord est synonyme de trahison, de division (fitna), symptomatique d’un désordre mental. Toute remise en cause est jugée comme un sacrilège, toute critique, comme un blasphème, une hérésie. Dès lors, aucun progrès n’est toléré, n’est possible.

Sans conteste, la place de la religion est à la mosquée. La place de la science, à l’école. Chacune son humble demeure. Aussi, l’école publique doit, pour être efficiente et progressiste, se défaire du fardeau de la religion qui l’écrase de son enseignement dogmatique archaïque. Et la religion, pour être en conformité avec sa dimension spirituelle, refluer vers la sphère privée. En outre, si l’école publique, placée sous l’autorité de l’État, appartient à tous les citoyens et doit donner lieu, sans jeu de mot, matière à débat libre pour la rendre performante ; la religion, elle, relevant de la seule sphère personnelle, ne doit par conséquent jamais s’inviter sur la place publique pour être l’objet de stériles controverses.

« Les langues commencent par être une musique et finissent par être de l’algèbre. », avait écrit André Marie Ampère. Encore faudrait-il que ses locuteurs se muent en virtuoses de savoirs et ses institutions tutélaires étatiques leur offrent toutes les technologies et infrastructures indispensables à leur perfectionnement et développement. Faute de quoi, elles demeureront toujours de simples sonorités langagières.

Elles ne deviendront jamais des partitions mathématiques ou des compositions conceptuelles. On ne produit pas de la vraie musique avec la seule antique darbouka. Car celle-ci sert seulement d’appoint à un orchestre, véritable maître d’œuvre chargé de la conception et de l’exécution de la production musicale. Une belle œuvre musicale, pour être audible et agréable à l’oreille, se compose avec plusieurs instruments modernes, sur la base d’une réelle maîtrise des techniques du solfège.

On ne bâtit pas un système éducatif avec comme programme prééminent la religion. La religion ne constitue qu’un appoint spirituel destiné au développement personnel, par ailleurs pratiquée dans la sphère privée. Elle n’a pas vocation à former l’esprit, donc à régenter l’école. La formation de l’esprit d’un élève est du ressort des multiples sciences dispensées dans toutes les écoles modernes du monde. La vocation de la religion est de façonner et d’épurer les cœurs.

En tout état de cause, la langue arabe n’est nullement responsable de l’échec du système éducatif algérien. C’est l’intrusion tentaculaire et totalitaire de la religion islamique dans l’école algérienne qui a perverti la mission pédagogique de l’Education Nationale. En vérité, dans les mêmes conditions d’envahissement de la religion islamique belliqueuse telle qu’elle s’est incrustée depuis les années 70, même si l’enseignement avait continué à être dispensé majoritairement ou exclusivement en français, le résultat aurait été identique.

On aurait connu et l’islamisme et l’échec scolaire, aggravés par le sous-développement économique permanent. Pour preuve : la Turquie, longtemps parangon de la modernité, utilise l’alphabet latin pour l’écriture de sa langue, et jamais la langue arabe. Or, depuis plusieurs décennies, elle est également infectée par l’islamisme, contaminée par la bigoterie, corrompue par la pensée archaïque, travaillée par la régression sociale et intellectuelle, après avoir vécu un âge d’or de la rationalité introduite par la révolution d’Atatürk.

A contrario, la langue hébraïque nous administre la preuve de la primauté de l’économie sur les gesticulations politiques et artifices académiques linguistiques. L’hébreu a été des siècles durant la langue rituelle et liturgique de la religion juive. La langue hébraïque était devenue une langue exclusivement religieuse utilisée pour le culte, quasiment en voie de disparition.

Or, depuis la création de l’État colonial d’Israël, grâce au développement prodigieux de son économie, l’hébreu a su se moderniser au point de se hisser en langue scientifique. C’est la formidable puissance de l’économie qui a permis d’accomplir cette révolution linguistique. Aucun décret ni loi constitutionnelle ne peut transformer une langue « domestique » ou « morte » en langue dynamique et scientifique.

Sans conteste, la langue, en fonction de son contenu philosophique et politique et des forces économiques qui la portent, peut se révéler réactionnaire ou révolutionnaire. Il y a des Algériens intégralement arabisants, mais pourtant extrêmement cultivés et politiquement révolutionnaires. Comme il existe des Algériens francophones, mais pourtant dramatiquement incultes et politiquement réactionnaires.

Une langue peut connaître des temps de gloire, puis subir des déboires

La preuve par la France. La France, pays des Lumières, dotée d’une langue lumineuse, aujourd’hui sombre dans la médiocrité. Son système scolaire est en faillite. Sa population verse dans l’obscurantisme politique, l’intégrisme populiste, le racisme institutionnel. Ce n’est pas la langue qui génère les bêtes immondes, mais la décadence économique du moment qui les produits. La langue française, hier langue des révolutionnaires, est devenue l’idiome des réactionnaires. Hier langue du Progrès, elle est devenue parlure de la régression.

Pour revenir à l’Algérie, certes, quantitativement, elle a accompli une véritable révolution en permettant à 100% de ses enfants d’être scolarisés, mais, qualitativement, le résultat est malheureusement catastrophique. L’Algérie n’éduque pas, elle endoctrine, elle « salafise ». De là provient l’échec scolaire de nombreux élèves qui décrochent précocement du système éducatif. Sans omettre la dramatique baisse du niveau scolaire.

La sécularisation de l’enseignement, objectivée par la rationalisation des contenus scolaires, est fondamentale afin de former des élèves libres dotés d’un esprit critique. Dans tous les pays modernes, la distinction entre la raison et la foi dans le curriculum scolaire est inscrite dans le système éducatif.

À l’instar des pays développés de « culture chrétienne », dans le sillage de la politique de séparation entre « l’État et l’église », l’Algérie doit procéder à la séparation entre croyances religieuses et sciences. Cette rationalisation des contenus scolaires doit devenir obligatoire. La science est par essence sécularisée. Elle s’exerce dans le champ d’investigation du réel avec des règles méthodologiques spécifiques, inhérentes à sa démarche de construction rationnelle et à ses finalités de recherche fondée sur l’observation et l’expérimentation.

Elle est totalement autonome des dogmes religieux qui ressortissent de la croyance bâtie sur des vérités éternelles indiscutées et indiscutables, inscrite dans une conception séculaire de la primauté de la foi sur la raison. Dès lors que les valeurs humaines s’inspirent de la religion, fondée sur le mystère, l’individu inséré dans une telle société corsetée par la religion doit impérativement se plier devant ce mystère insondable, et donc renoncer à utiliser son intelligence pour explorer les fondements de l’univers et de la société.

Une chose est sûre : un enseignement focalisé sur l’apprentissage des matières religieuses, par essence figées, est incapable de répondre aux besoins d’une éducation rationnelle contrainte de s’adapter aux mutations sociétales et scientifiques de notre époque moderne en perpétuelles transformations.

Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que l’économie algérienne n’intègre pas dans le procès de production toujours aussi atone. Toute une jeunesse, souvent fortement diplômée, parvenue à l’âge d’entrer dans la vie active, demeure exclue du marché du travail lilliputien, et vit en marge de la société sans perspective d’avenir. Prisonniers d’une société encore archaïque incapable d’accomplir la transition vers la modernité, étouffés par un enseignement médiocre assaisonné de religiosité islamique, les jeunes ne trouvent pas d’opportunités d’épanouissement de leurs facultés intellectuelles, et finissent par démissionner de la vie et sombrer dans l’anomie.

En réalité, on ne peut réformer le système éducatif algérien sans révolutionner préalablement les structures sociales archaïques sur lesquelles repose l’enseignement. On ne bâtit pas une pédagogie moderne dans une société encore prisonnière de mœurs conservatrices, séquestrée par la religion. En particulier, quand la langue arabe est érigée en langue sacrée par la religion islamique, quand elle est consubstantiellement incorporée à l’islam, à qui elle sert de servante de sa pensée théologique, de vectrice exclusive de l’apprentissage coranique, quand l’islam est déclaré religion d’État, enseigné obligatoirement à l’école.

Quoi qu’il en soit, on ne peut moderniser la langue arabe dans une société dépourvue d’une économie productive, dans un pays à l’économie fondamentalement rentière.

C’est le développement économique qui soutient et promeut la langue, non l’inverse. Ce n’est pas l’esprit qui guide le monde. C’est le monde concret qui façonne l’esprit. Ce n’est pas la conscience qui détermine l’être, c’est l’être social qui détermine la conscience. Ce n’est pas la langue qui développe l’économie, c’est l’économie qui dynamise la langue. À économie sous-développée, langue sous-développée.

À la vérité, la langue arabe est victime et de l’instrumentalisation opérée par les islamistes qui l’ont dégradée en un exclusif idiome religieux inquisitorial et belliqueux, et de l’incurie du pouvoir despotique algérien qui lui a amputé ses capacités d’expression scientifique évolutive faute d’investissements productifs et de progrès économique.

Aujourd’hui, il faut redonner à l’arabe ses lettres de noblesse, pour renouer avec la noblesse des lettres arabes. Il faut « scientifiser » la langue arabe par la purgation de ses archaïsmes religieux. La langue arabe dispose de potentialités remarquables en matière d’enseignement, mais malencontreusement obérées par la prégnance du contenu religieux islamique envahissant et invalidant.

Dans le cas de l’Algérie, doublement pénalisée, et par le sous-développement économique et par le poids écrasant de la religion islamique, toute modernisation de la langue arabe est illusoire sans réformes structurelles pédagogiques et transformation sociale et économique.

Pour accomplir la modernisation de l’école algérienne, l’Algérie doit réaliser une double révolution : d’une part, se soustraire au plan de l’Éducation nationale de l’emprise délétère de la religion pour expurger l’enseignement de ses scories islamiques ; d’autre part, transformer radicalement l’économie par l’impulsion d’un modèle de développement industriel novateur. Tout le reste, n’est que Littérature !

Dans notre pays plongé dans l’arriération économique et le désarroi social, certes les vieilles bougies de la religion peuvent réconforter, mais il faut surtout allumer les projecteurs modernes de la Connaissance scientifique, vectrice du progrès économique, pour s’extraire enfin du ténébreux tunnel obscurantiste pédagogique creusé par le sous-développement économique encouragé par le Système FLNesque depuis l’indépendance.

Auteur
Khider Mesloub

 




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