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Derrière la panne de Facebook, la dépendance des médias à un monopole

RESEAUX

Derrière la panne de Facebook, la dépendance des médias à un monopole

Partout dans le monde, des milliers d’internautes se sont félicités de la récente panne de Facebook et du temps ainsi libéré. Si l’argument peut faire sourire, ces internautes passent outre un enjeu de taille : dans certains pays, Facebook ou ses filiales comme WhatsApp sont devenus des acteurs incontournables pour accéder à l’information.

Pendant plus de six heures, ce lundi 4 octobre, pas la moindre publication Facebook, pas le moindre message sur Messenger ou WhatsApp, pas la moindre story de chat sur Instagram. La panne, historique, serait due à une erreur lors d’une mise-à-jour. Privés d’accès, la plupart des internautes se sont rabattus sur d’autres applications ou en ont profité pour faire une pause dans leur vie ultra-connectée.

Mais dans les rédactions de nombreux pays, l’affaire, en se prolongeant, aurait pu prendre un tour plus désagréable. Facebook, et par extension ses applications WhatsApp et Instagram sont des relais d’information vitaux. Ce sont des « infomédiaires », des intermédiaires qui permettent aux journalistes de toucher une large partie de leurs audiences. Dans certains pays même, Facebook et WhatsApp sont devenus les principales autoroutes d’informations : les actualités vont directement à l’internaute, sans qu’il ait à les chercher. 

Des facteurs structurels

Si c’est moins le cas dans des pays comme la France ou le Royaume-Uni, au Brésil par exemple les applications de Facebook sont des acteurs médiatiques incontournables. « Le Digital news report du Reuters Institute de 2021 montre que 47 % des Brésiliens interrogés utilisent Facebook pour s’informer, et 43 % WhatsApp », décrypte Camila Mont’Alverne, chercheuse post-doctorante au Reuters Institute de l’université d’Oxford. Et le Brésil est loin d’être un cas isolé. De nombreux pays, comme la Tunisie, le Sénégal, l’Inde ou encore l’Afrique du Sud sont particulièrement friands de ces deux réseaux sociaux pour s’informer. Au Nigeria, les proportions sont encore plus grandes qu’au Brésil : 65 % des individus utilisent WhatsApp pour suivre l’actualité, 53 % Facebook. La dépendance est grande, car si autant de personnes atteignent les sites d’actualités par ces biais, c’est autant de visiteurs en moins pour les sites lorsque ces relais ne fonctionnent plus. 

Reste que cette dépendance varie selon les pays. Seuls 23 % des Britanniques interrogés par le Reuters Institute disent s’informer sur Facebook et 14 % sur WhatsApp. Pour la chercheuse du Reuters Institute, la chose s’explique par des facteurs structurels : « Au Royaume-Uni, il y a une forte concentration du système médiatique, comme la BBC, les individus ont un fort lien affectif avec ces médias et vont avoir tendance à se diriger vers eux pour obtenir des informations. Au Brésil, Nigeria, ou encore en Inde, les liens ne sont pas aussi forts. » Plus encore, la chercheuse précise que dans ces pays, l’audience a des difficultés d’accès aux médias : « Ils n’ont pas toujours l’argent pour payer un abonnement ou l’habitude d’aller voir spécifiquement certains médias plutôt que d’autres. »

La question du hors-forfait téléphonique joue aussi beaucoup. Dans plusieurs pays africains ou latino-américains, comme cela a un temps été le cas en France, les données cellulaires sont illimitées si l’on utilise Facebook ou WhatsApp, mais pas si l’on utilise un navigateur ou une autre application. Par crainte de frais supplémentaires, les internautes peuvent alors éviter d’aller directement sur les sites des médias en passant par un moteur de recherche. Les liens diffusés dans des discussions WhatsApp ou partagés par des amis Facebook font alors le lien entre le média et son audience. 

Des bénéfices et des risques

Pourquoi les médias s’infligent-ils une telle dépendance à ces réseaux sociaux ? Pour Camila Mont’Alverne, la réponse est simple : « L’audience potentielle est là : les médias qui se passent des réseaux sociaux ont généralement une audience plus faible que ceux qui les utilisent. » Facebook, Instagram et WhatsApp, cumulaient  6,1 milliards de comptes en 2021, soit l’équivalent de dizaines de centaines de millions d’individus. Dans certains pays même, Facebook et WhatsApp sont devenus des outils journalistiques qui font le lien entre les journalistes et leurs audiences. « Certains médias ont des comptes WhatsApp, avec des groupes dans lesquels les individus peuvent proposer des sujets à couvrir ou découvrir les dernières actualités postées sur le site internet du média », illustre la chercheuse d’Oxford.

Ces bénéfices s’accompagnent de risques : une dépendance encore plus profonde à des réseaux sociaux qui, lorsqu’ils tombent en panne, coupent tout lien entre l’audience et le média. Or, la fréquentation d’un site est un enjeu économique vital pour une entreprise de presse, rappelle Camila Mont’Alverne : « Quand Facebook ou Instagram ne fonctionnent plus, il est très dur pour les médias de maintenir un bon niveau de fréquentation sur leurs sites. Pour certains médias, je pense qu’une telle panne peut même être très critique. »

À cette dépendance s’ajoute l’omniprésence sur ces réseaux de fausses informations. Les infox partagées par les partisans des deux candidats brésiliens à la présidentielle de 2018 le rappellent : les nouvelles partagées par des sites dits fiables côtoient de nombreuses fake news. « WhatsApp a une problématique particulière : c’est un espace clos, sécurisé, c’est difficile pour les chercheurs de savoir ce qu’ils se partagent, comment les utilisateurs se servent de cet outil », admet la chercheuse. Ce qui rend dans le même temps le travail plus difficile pour les journalistes : une fausse nouvelle peut circuler dans des groupes fermés un certain temps, avant qu’un média ne s’en empare pour la vérifier.

Si une panne totale et de très longue durée semble peu probable, le crash de ce début de semaine vient rappeler une chose : en détenant lui-même tant d’autres « infomédiaires », Facebook créé une situation de monopole dont les médias sont dépendants. Et lorsque Facebook tombe en panne et ses applications tierces avec, c’est une grande partie des liens qui relient les médias à leurs audiences qui se rompt.

En Europe et aux États-Unis, des débats sont en cours pour casser le monopole de Facebook en lui interdisant de détenir ces différentes applications. Un enjeu important pour Camila Mont’Alverne : « Quand on considère que ces plateformes ont un impact non seulement sur la manière de s’informer des individus, mais aussi sur leur façon de gérer leur entreprise, car certains utilisent WhatsApp pour échanger avec leurs clients ou obtenir des paiements, c’est un problème qu’une seule compagnie les détiennent toutes. » Reste que les lois peinent à suivre et que la fin du monopole de Facebook ne semble pas encore d’actualité, bien que les témoignages des lanceurs d’alertes comme Frances Haugen pourraient pousser les gouvernements à légiférer. 

Auteur
RFI

 




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