Lundi 22 janvier 2018
Des experts pour classer le couscous au patrimoine mondial de l’Unesco
Des réunions sont programmées prochainement entre experts issus des pays d’Afrique du Nord dans le cadre du projet de classement de leur patrimoine culinaire commun, le couscous, comme patrimoine commun de l’humanité par l’Organisation des Nations-unies pour l’Education, la Science et la Culture (Unesco), a annoncé le Directeur du Centre national de Recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH), Slimane Hachi.
« Le dossier du classement du couscous en tant que patrimoine universel est un projet commun aux pays d’Afrique du nord. Son montage est en cours et des réunions d’experts de ces pays se tiendront prochainement « , a déclaré à l’APS, M. Hachi.
« Ce classement ferait la lumière sur l’ancestralité de ce plat plusieurs fois millénaire et sur sa trans-culturalité car il appartient à plusieurs peuples. Il a résisté au temps et au changement et est demeuré authentique sans être figé », a commenté, de son côté, la chercheure audit centre, Ouiza Gallèze.
Le classement « éventuel » de ce patrimoine sur la liste universelle, lequel « doit intégrer au moins les pays du Maghreb », sera, en outre, « une reconnaissance et un moyen de raffermir les liens solides entre les peuples, dans le sens où ils répondent aux mêmes traditions par les mêmes expressions culinaires. Car comme tout élément culturel, le couscous est un moyen de rapprochement entre les peuples », a ajouté cette spécialiste en patrimoine culturel.
Elle explique que « l’exigence de l’Unesco est l’appropriation et le sentiment d’appartenance que les communautés doivent exprimer envers l’élément », objet de classement, avant de relever que le couscous représente « un composant de l’identité culturelle, symbolisant l’offrande et marquant les grands événements heureux ou tragiques, aux niveaux familial et communautaire ».
Pour ces peuples, le couscous est « un moyen d’exprimer leur solidarité, mais aussi leur rapport à la nature », a-t-elle poursuivi, considérant que les Etats maghrébins « gagneraient à lancer en commun une étude de grande envergure pour cerner tous les contours » de ce patrimoine commun. Jusque-là, a-t-elle regretté, celui-ci a seulement constitué le thème partiel ou total de plusieurs écrits.
Interpellée, par ailleurs, sur la valeur économique de cet héritage ancestral, Mme Gallèze considère que le couscous « est, dans son étendue, plus important que le pétrole, qu’il a dépassé les limites frontalières et revêtant une reconnaissance internationale, dans la mesure où il est présent sur les cinq continents ».
Au fur et à mesure de son développement, ce plat « s’est industrialisé et s’est enrichi » dès lors qu’on le retrouve associé à toutes les viandes. Ce pourquoi, a-t-elle fait remarquer, « le distinguo entre le couscous plat, à la mode, et l’originel, le végétarien ou avec peu de viande, est nécessaire, étant donné qu’il ne s’agit pas de chercher le meilleur ou le plus cher plat mais celui auquel le génie humain a donné de la saveur ».
Un couscous auquel, également, « la tradition donne du sens et l’histoire une raison d’être », a-t-elle poursuivi, insistant sur le rôle essentiellement féminin quant à la perpétuité de ce précieux legs.
A la question de savoir comment les Etats concernés peuvent en tirer des dividendes économiques, elle a souligné la nécessité d’une « volonté politique » pour ce faire, tout en notant que le couscous peut être « propulsé » en Algérie dans le cadre du secteur touristique.
A ce propos, elle a déploré l’absence de grands restaurants « spécialisés » dans les variétés de couscous, qui soient dotés d’une notoriété internationale et qu’un touriste étranger « intégrerait dans son itinéraire ». Pis, il n’existe même pas encore « un guide » des différents restaurants versés dans cette spécialité, a-t-elle déploré.
Des origines très lointaines…
Le couscous, ce mets conçu à base de semoule de blé et accessoirement d’orge, est très apprécié de par le monde. Il est « un des plus importants plats dans les habitudes alimentaires du Maghreb et est une tradition très ancienne », explique Mme Gallèze, s’agissant de son origine, notant que le célèbre historien Ibn Khaldoun l’a cité comme « composant essentiel dans la définition du berbère ou de l’amazigh ».
Décliné sous diverses appellations en Algérie, en fonction de la région (Sekssou, Ksekssou, Berboucha, T’aâm etc), le couscous remonterait, selon la spécialiste, à l’antiquité en raison de découvertes archéologiques attestant que « des ustensiles proches des outils de fabrication du couscous ont été retrouvés dans des tombes remontant au règne du roi Massinissa ». En outre, des fouilles, dans la région de Tiaret, ont permis la découverte de pareils ustensiles, datant du IXeme siècle, notamment le couscoussier ».
« Le centre de l’Afrique du Nord était alors particulièrement prospère et était considéré comme le grenier de Rome », a-t-elle rappelé, avant de faire remarquer que les Arabes, « qui ne connaissaient pas la semoule », l’ont découvert lors de leur conquête de cette région pour l’adopter ensuite.
« Une légende, située entre l’Algérie et la Tunisie, raconte qu’un chef de tribu menaça sa femme étrangère, nouvellement convertie à l’islam, de la tuer si elle ne lui préparait pas un couscous », a tenu à narrer la chercheure.
L’introduction de cet ingrédient dans la péninsule Ibérique daterait, quant à elle, du règne de la dynastie berbère des Almohades, au XIIIème siècle, a encore fait savoir Mme Galléze, relevant que « sa popularité s’est propagée rapidement » en Espagne et au Portugal. « Bien avant la colonisation de l’Algérie par la France, l’auteur Rabelais l’a évoqué dans Pantagruel (1532) en l’appelant « Couscoussou », alors que son concitoyen Alexandre Dumas, l’a dénommé « Coussou Coussou » dans son « Grand Dictionnaire de cuisine », a-t-elle détaillé.
La consommation de cette succulente préparation se répand « réellement » sur la rive nord de la Méditerranée au XXème siècle, avec l’émigration de familles algériennes lors de la première guerre mondiale, a affirmé la chercheure, précisant que les « Pieds noirs » l’ont également emporté dans leurs bagages après l’indépendance de l’Algérie pour devenir enfin, le troisième plat préféré des Français, selon une étude réalisée en 2014.
« Le couscous, exclusivement berbère, nord-africain, antique et ayant acquis ses lettres de noblesse, demeure le plat copié et imité en dehors de ses frontières originelles, sans jamais être égalé, néanmoins », a conclu la spécialiste du CNRPAH.