Vendredi 11 juin 2021
Des législatives contre la volonté populaire
Les élections législatives anticipées censées apporter une nouvelle légitimité au régime, sont rejetées par le mouvement contestataire du Hirak et une majeure partie de l’opposition, sur fond de répression généralisée.
Le pouvoir imposé, le peuple dispose. Telle est la volonté de ceux qui dirigent l’Algérie. En réalité, le principal enjeu est à nouveau la participation après les précédentes consultations électorales (présidentielle de 2019 et référendum constitutionnel de 2020), marquées par une abstention historique (60% et 76% respectivement).
Deux fiascos pour un pouvoir déterminé à appliquer sa « feuille de route » électoraliste, en ignorant les revendications de la rue (Etat de droit, transition démocratique, justice indépendante).
« Le pouvoir a besoin de se renouveler, en tout cas de donner l’illusion d’un renouvellement, et de renouveler sa légitimité par des élections », souligne Amel Boubekeur, sociologue à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) à Paris.
A l’issue d’une campagne électorale sans public pour cause d’épidémie, les partis progouvernementaux et les médias officiels ont appelé « à participer en force à ce scrutin crucial pour la stabilité du pays ».
Islamistes à l’affût
Mais le régime s’accommode, par avance, d’une éventuelle forte abstention, tout en espérant un taux de participation entre 40% et 50%.
Quelque 24 millions d’Algériens sont appelés à élire les 407 députés de l’Assemblée populaire nationale (APN, chambre basse du Parlement) pour un mandat de cinq ans.
Ils doivent choisir parmi près de 1 500 listes – dont plus de la moitié s’affichent comme « indépendantes »–, soit plus de 13 000 candidats.
C’est la première fois qu’un nombre aussi élevé d’indépendants se présentent face à des prétendants endossés par des partis politiques, largement discrédités et jugés responsables de la crise politique et socio-économique qui ébranle l’Algérie depuis 30 mois.
Ces nouveaux venus, à l’affiliation floue, pourraient s’imposer comme une nouvelle force avec l’aval du pouvoir, qui a fait appel aux « jeunes » et encouragé leurs candidatures.
D’autant que certains, dans l’opposition laïque et de gauche, en perte de vitesse, ont appelé leurs partisans à boycotter le scrutin.
Quant aux vainqueurs des dernières législatives (2017), le Front de libération nationale (FLN) et le Rassemblement national démocratique (RND), –partenaires au sein d’une Alliance présidentielle ayant soutenu l’ex-président déchu Abdelaziz Bouteflika–, ils sont aujourd’hui déconsidérés.
« Fin de la mainmise du duo FLN-RND » sur l’APN? », s’interrogeait mercredi le quotidien francophone El Watan.
Il faut aussi compter avec la mouvance islamiste légaliste qui a décidé de prendre part au scrutin afin de « contribuer au changement souhaité ».
Abderrazak Makri, le président du Mouvement de la Société pour la Paix (MSP), proche des Frères musulmans, s’est dit « prêt à gouverner » en cas de victoire.
Certains analystes prédisent une majorité relative pour les partis islamistes modérés dans la nouvelle assemblée.
Abdelmadjid Tebboune semble prêt à composer: « Cet islam politique-là ne me gêne pas parce qu’il n’est pas au-dessus des lois de la République », a-t-il confié à l’hebdomadaire français Le Point.
Tout-sécuritaire
En revanche, les autorités redoutent une nouvelle désaffection de l’électorat en Kabylie (nord-est), région berbérophone, traditionnellement frondeuse, où la participation a été quasi nulle en 2019 et 2020.
De fait, le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) et le Front des forces socialistes (FFS), les deux partis les mieux implantés en Kabylie, ne participeront pas au scrutin.
A l’approche de l’échéance électorale, le chef d’état-major de l’armée, le général Saïd Chengriha, a mis en garde contre « tout plan ou action visant à perturber le déroulement » du vote.
Confirmant le choix du tout-sécuritaire, les forces de sécurité ont interpellé jeudi l’opposant Karim Tabbou, figure du Hirak, et Ihsane El Kadi, directeur d’une station de radio proche du mouvement contestataire, selon leur entourage.
On était sans nouvelles du journaliste indépendant Khaled Drareni.
Le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), une association de soutien, a fait état d’autres arrestations à Alger et Oran (nord-ouest).
Façade civile de l’institution militaire, le gouvernement s’est efforcé ces derniers mois d’étouffer le mouvement de contestation.
Il a de facto interdit les marches du Hirak et multiplié les interpellations et les poursuites judiciaires visant opposants politiques, militants hirakistes, journalistes indépendants et avocats.
Considérant qu’il a déjà répondu aux demandes du « Hirak béni », il dénie désormais toute légitimité à ce mouvement inédit, pacifique et sans véritable leadership, qu’il accuse d’être instrumentalisé par des « parties étrangères ».
Quelque 240personnes sont actuellement incarcérées pour des faits en lien avec le Hirak et/ou les libertés individuelles, selon le CNLD. Des dizaines d’autres sont sous le coup de poursuites judiciaires.
Pour le moment seule la Kabylie maintient ses marchés de contestation populaire. Partout ailleurs le pouvoir a réussi au prix dune répression brutale à faire cesser les manifestations.