Dimanche 28 octobre 2018
Des Tazmamart à l’algérienne en vue…
La lâcheté légendaire des Européens quand il s’agit de sauvegarder leurs propres intérêts a été encore une fois vérifiée. Tous les journaux, d’Athènes jusqu’à Lisbonne, en passant par Berlin, Londres et Paris, ont dit et répété, à juste titre d’ailleurs, les situations intolérables que sont en train de vivre le cinéaste Oleg Stentov, l’anarchiste Alexandre Kolchenko ou Serguei Mokhnatkine qui croupissent dans les infâmes prisons russes qui leur rappellent les dures lois des goulags soviétiques.
Des organisations humanitaires – et pas uniquement européennes – se décarcassent pour faire entendre raison à l’empereur russe qui joue avec la vie de ses opposants mais les prisonniers politiques algériens sont totalement inexistants. Parler de prisonniers politiques en Algérie ? Vous n’y pensez pas ! La politique des importations des hydrocarbures a sa raison que la raison ne connaît pas.
Laissons croupir le blogueur Merzouk Touati qui a été arrêté au petit matin pour avoir levé la tête avec fierté et écrit suivant sa perception du monde. Oublions Saïd Chitour, emprisonné depuis plus de 500 jours. Ne parlons surtout pas d’Adlene Mellah, responsable du site Dzairpresse.
Fermons les yeux sur l’arrestation d’Abdou Semmar, éditeur d’Algériepart. Détournons nos regards du cas du journaliste Merouane Boudiab. C’est en toute conscience que le pouvoir algérien est en train de défier son propre peuple en mettant sous les verrous ceux, précisément, qui sont les interprètes de ses propres aspirations.
Des Tazmamart à l’algérienne sont-ils en train de naître en catimini pour faire taire non pas des organes de presse mais toute opposition au clan qui dirige le pays ? Quand on sait que ce même clan, pour protéger ses intérêts, est en train de mettre en place, quoi qu’il puisse se dérouler dans les prochains mois, un cinquième mandat d’un « président » qu’aucun citoyen n’a vu sur une estrade depuis des années.
Oui, Abdelaziz Bouteflika, ou plutôt son ombre, celle qui soulève péniblement un bras pour saluer et que l’on met difficilement dans une chaise roulante pour faire croire qu’il respire toujours – pire qu’il est toujours vivant – sera reconduit aux plus hautes fonctions, quitte à précipiter tout un pays dans un scénario qui le conduira fatalement aux portes d’un chemin inexploré et dangereux.
Pourquoi Emmanuel Macron, Angela Merkel et Theresa May n’adressent-ils aucun avertissement au pouvoir algérien ? Vladimir Poutine serait donc plus enclin à recevoir des remontrances comme au bon vieux temps de la guerre froide ? Comment se fait-il qu’un chef d’Etat qui n’arrive plus à tenir un discours ni à voyager ni à gérer les affaires de son pays puisse donner des sueurs froides à ceux qui ont pris l’habitude de donner des coups de menton à tire-larigot ?
Est-ce la guerre de libération algérienne qui donne des sueurs froides aux dirigeants français parce qu’ils auraient peur d’être accusés du titre infâmant de néocolonialistes ?
Car enfin, la vie de quelques prisonniers politiques algériens ne pèse pas lourd face aux importations de pétrole et aux exportations de voitures et autres produits finis. Il ne faut surtout pas grever la balance commerciale juste pour faire plaisir à ceux qui croient que la liberté de s’exprimer est un élément à défendre coûte que coûte.
Le pouvoir algérien est en décomposition avancée, tout le monde le sait, et c’est là qu’il fait tout pour se surpasser et garder sa domination en dépit des violations constantes de la Constitution. L’Algérie n’a pas connu d’alternance depuis son indépendance malgré des hommes de grande valeur qui auraient pu prétendre à la direction des affaires et le seul parti qui a mis en place ses pions au gouvernement a été ce FLN faisandé jusqu’à la lie. Rien n’échappe à ses prérogatives. Tout doit passer par ses fourches caudines même la façon de s’exprimer – surtout les sujets sur lesquels on peut s’exprimer.
Il nous revient à nous, gens de peu et individus sachant nous réunir, d’apporter notre soutien à tous ces hommes privés de liberté pour la seule faute d’avoir dit – et dit dans le mauvais sens pour cet exécutif putréfié et rance. Se taire, c’est encourager la poursuite de ces arrestations arbitraires.
Se taire, c’est être complice de la construction de ces Tazmamart à l’algérienne.
Se taire, c’est se détourner de toute possibilité d’avancer. Alors faisons du bruit et exigeons la libération immédiate et sans condition de tous les prisonniers politiques qui croupissent dans les geôles de Bouteflika et de ses sbires.