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Détenteurs du pouvoir, étonnez le peuple comme il a étonné le monde

REGARD

Détenteurs du pouvoir, étonnez le peuple comme il a étonné le monde

L’étonnement est l’essence même de l’art, et la politique est l’art suprême selon Aristote. Cette essence-là est une sorte de jouvence qui fait de l’art, un acte nourricier du plaisir et de découverte.

Le peuple de ce pays nommé Algérie a par deux fois étonné le monde. En 1954, dominé par la 5e puissance du monde, fatigué par le poids de la misère, il se souleva et étonna le monde par sa résistance. En 2019, essoufflé par le manque d’oxygène de la démocratie et de la dignité, il se leva pour dire Basta à une politique en passe de ruiner son avenir.

Ainsi, le pays n’est donc pas victime d’une attaque par je ne sais quel OVNI. Ses malheurs actuels, il les doit à cette catégorie d’hommes qui ont agressé de leur insondable arrogance et leur ‘’sublime’’ incompétence un peuple qui peut tout supporter excepté el hogra. Ces hommes ont pratiqué la politique dans un style où la grossièreté rivalisait avec la vulgarité à l’aide mots sans tête ni queue. Ils ne se sont jamais rendu compte que le vrai théâtre de la vie obéit, non à une infantile représentation des choses, mais à une vision du monde et de l’histoire qui se nourrit de pensées sans cesse en mouvement.

Leur petit jeu de manigance ne pouvait par conséquent faire oublier l’histoire à ce peuple en ‘’l’amusant’’ avec des mots qui sentent la naphtaline. Le pays a donc vécu à l’ombre d’une fiction qui avait l’avantage d’offrir une jolie vitrine d’Etat ‘’respectueux’’ de Droit et de servir de forteresse contre d‘éventuels et ‘’inconscients contestataires’’. Sauf qu’une fiction est une construction dont la cohérence et la solidité sont dépendantes des matériaux et du génie de son architecte-metteur en scène. Sauf que le Droit est un rejeton de la force qui exerce sa violence engoncée dans le manteau de la légitimité qui est rarement celle du peuple. Tout ceci pour dire que le bla bla du discours politique depuis 62 a la peau dure car il continue de sévir encore aujourd’hui.

Mais peu à peu, ce discours se vide de sa substance devant la muraille du mouvement populaire. Ce dernier inventa qui des mots et des métaphores puisés dans le lexique populaire qui redonnait de la noblesse, de la puissance et même de la poésie au Politique. Au fur et à mesure que les vendredis s’écoulent, des pans de la forteresse supposée imprenable s’effondraient.

Parallèlement, cet effondrement entrainait dans sa chute des plans de sortie de ‘’crise’’ élaborés par des juristes (1) sur la base d’une constitution qui était à leurs yeux porteuse de la clé de Sésame. Les mêmes juristes ont fini par se faire discret quand ils ont vu que le conseil constitutionnel triturait sans la moindre élégance la loi fondamentale. Ledit conseil censé dire le Droit et laisser le soin au pouvoir de décider du report de l’élection du 4 juillet, a outrepassé ses prérogatives. Cette usurpation du rôle de décideur ne passa pas inaperçue à quelque haut fonctionnaire.

C’est pourquoi pour réparer cette bévue, on vit dare-dare le président par intérim annoncer officiellement jeudi 6 juin le report sine die de l’élection présidentielle. La sortie de crise par la ‘’magie’’ de la constitution ayant accompli son sacerdoce sans grand résultat, place est faite à la transition, ce ‘’bizarre’’ laps de temps que d’aucuns n’arrivent pas à nommer. Ils préfèrent le contourner en passant par des mots ou expressions comme ne pas perdre de temps précieux. Temps précieux et appel à la raison, quelle agréable surprise pour beaucoup de gens. L’apparition de tels mots inconnus jusque-là dans le vocabulaire de la gestion des affaires publiques relève du ‘’miracle’’.

Ah ! le rapport au temps et à la rationalité, que n’a-t-on pas fait appel à ces concepts pour que le pays puisse jouir plus vite de ces fameuses autoroutes dont le coefficient monétaire de la facture est passé de 1 à 10 à cause de la sempiternelle incompétence mais aussi et surtout de la misérable corruption, cette gangrène qui vida le pays de son sang.

Mais revenons à la transition. Tout un chacun veut remplir le temps de cette période mais selon sa petite recette où l’on sent surtout les petites combines pour préserver ses petits intérêts et dire après moi le déluge. Il ne faut pas être l’inspecteur Tahar pour deviner ce que cette catégorie sociale a en tête. La peur du peuple affublé généreusement de ‘’ghachi’’ et autre joliesse de populace, de plèbe, la peur donc de cet acteur de l’Histoire est la chose la mieux répandue dans les milieux conservateurs. Après les juristes, on fait appel à une autre ‘’élite’’ censée connaitre et l’histoire et la philosophie politique pour éclairer la lanterne du peuple et l’appeler à la ‘’sagesse’’. Le débat va être, est déjà rude car nous n’avons plus affaire à la fiction de la constitution mais à la réalité rugueuse des rapports de force politique et historique.

On voit déjà des spécialistes pour cerner ‘’notre’’ transition, tomber dans le piège des comparaisons avec d’autres pays et d’autres époques. Les expériences étrangères et historiques sont toujours utiles à étudier, encore faut-il éviter les pièges de l’anachronisme faute de connaissances sérieuses des faits historiques et de la maîtrise de l’appareil conceptuel de la philosophie de l’histoire. Ces connaissances et cet appareil conceptuel est encore plus que nécessaire s’agissant de la transition en débat chez nous actuellement. Les progrès faits par les sciences de l’histoire nous éclairent sur les ‘’mystérieux’’ échecs ou victoires, conséquences d’un événement X dans une période Y. Ceci pour dire qu’il n’y a ni fatalité ni déterminisme dans l’histoire de l’Humanité.

Prenons l’exemple de notre d’histoire. Pourquoi le pouvoir a fini par échouer dans l’escarcelle de l’armée ? La réponse n’est pas évidente d’emblée car elle est traversée par des faits Politico-historiques qui s’enchaînent en produisant ces fameux ‘’mystères’’.

Enonçons les éléments de cette chaine : non application de la primauté du politique sur le militaire, crime politique contre le dirigeant qui défendit cette notion, émergence du FLN à la suite de conflits qui déchira le mouvement national, prégnance du zaïma dans la culture politique elle-même formatée par la culture féodale etc… La nature de la résolution de ce chapelet de conflit accoucha de l’installation d’un même pouvoir depuis 62.

S’agissant des contradictions sur la nature de la transition, on est face à deux écoles. La première s’accroche à la constitution en lâchant un peu de lest en acceptant de prolonger la période de deux ou trois mois. La seconde exige le temps nécessaire en raison de la complexité de l’énorme tâche à accomplir pour asseoir véritablement une nouvelle république. La petite ‘’guéguerre’’ sur la période cache en vérité des contradictions à propos du fameux rapport au temps.

La première école réduit ce rapport à une simple technique que l’on maîtrise en allant à l’attaque à la hussarde. La seconde est convaincue que le temps est un facteur qui peut être un allié mais qui peut se transformer en ennemi. Le temps est un accoucheur quand on le mesure avec le métronome du joueur d’échec (2).

Ce n’est donc pas une mince histoire la transition. Si on peut éviter les erreurs commises durant la guerre de libération, ça serait une bonne chose pour tous ceux dont le cœur bat pour l’amour du pays. Le destin du pays ne peut pas se jouer à la loterie en privilégiant le chemin le plus court. Ce destin est plus précieux que nos peurs ou nos agitations. Il mérite que l’on prenne des chemins tortueux ou de traverse pour éviter des embuscades tendues par des ennemis qui n’attendent qu’une erreur de notre part pour assouvir leur bestial désir.

La reconnaissance du président par intérim de l’intelligence collective de notre peuple dans son discours du 6 juin, a dû faire plaisir à beaucoup de gens. Alors Monsieur le président, joignez-vous à cette intelligence-là. Intelligence collective, intelligence de l’Histoire, le peuple est imprégné de ces notions à la lecture des mots d’ordres qui rythme la vie du pays depuis quatre mois. Ces intelligences sont de son côté et non de ceux qui joue du théâtre de boulevard alors que le pays pratique le théâtre authentique, celui de la tragédie shakespearienne.

Ali Akika.

Renvois

(1)  Il serait injuste de mettre dans le même sac tous les juristes. J’ai lu de remarquables interviews de certains qui m’ont rappelé notre Nono national (Noureddine Saadi) disparu trop tôt. La qualité de ses réflexions sur la philosophie du Droit et l’élégance de son écriture d’écrivain manquent au pays par les temps qui courent.

(2) La référence au jeu d’échec est une image de la beauté et la complexité de ce jeu où la moindre erreur est pratiquement irrémédiable. Elle fait penser à la phrase de Spinoza qui écrivit que ‘’l’homme maîtrise l’espace mais est impuissant devant le temps’’.

 

Auteur
Ali Akika, cinéaste

 




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