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Deux profs, un hommage à l’école républicaine et laïque 

REGARD

Deux profs, un hommage à l’école républicaine et laïque 

En règle générale, je suis assez réfractaire aux manifestations publiques des larmes mémorielles. Pour une raison qu’il serait d’ailleurs hors de propos à développer dans un écrit dont le but est tout autre. Mais, ce matin du vendredi 15 octobre, j’ai été touché et le but d’un article, c’est aussi de partager son émotion avec le lecteur en l’accompagnant d’une réflexion et de clés de lecture.

Il y a un an fut assassiné un professeur, Samuel Paty, pour avoir fait son métier, par un imbécile qui ne saurait à peine bafouiller les raisons de ce qu’il reproche à cet homme. D’ailleurs ces assassins enragés ont-ils jamais compris quoi que ce soit ?

Pour cette commémoration, tous les professeurs devaient faire observer une minute de silence après lecture d’une lettre rédigée par le très célèbre Robert Badinter, en hommage à Samuel Paty. Ce fut notre responsable de l’établissement qui a lu cette lettre.

Puis nous devions, en toute liberté, décider de poursuivre ou non par un moment pédagogique de formation de l’esprit critique en réaction à l’événement. J’ai choisi de lire l’émouvante lettre qu’avait envoyée Albert Camus à son ancien instituteur d’Alger, monsieur Germain, le lendemain même de la réception de son prix Nobel. Et, bien entendu, de l’expliquer et la mettre dans le contexte. Cette lettre nous fut proposée dans une liste de suggestions.

La liaison était en parfaite cohérence avec la lettre de Robert Badinter. L’une reprend la définition de la laïcité et son objectif humaniste dans l’école de la république, l’autre honore un instituteur de la république, de ceux que la laïcité a fait naître. Il était d’Alger.

Je me propose de vous les retranscrire.

Une définition de la laïcité dans l’école républicaine 

« C’est un honneur pour moi de rendre aujourd’hui hommage au professeur Samuel Paty devant vous.

Samuel Paty a consacré sa vie d’homme à la plus belle des missions : éduquer les jeunes dans le respect des lois et des valeurs de la République en lesquelles il avait foi et pour lesquelles il a donné sa vie.

Parmi ces valeurs, la liberté d’expression et d’opinion, y compris religieuses, qui fonde la laïcité lui étaient particulièrement chères.

C’est donc de cette laïcité que je veux aujourd’hui vous parler.La laïcité dans notre République, c’est d’abord l’expression de notre liberté car la laïcité permet à chacun de pratiquer la religion de son choix ou de n’en pratiquer aucune, selon sa conviction.

La laïcité dans notre République, c’est aussi l’égalité entre toutes les religions. Il n’existe pas dans la République de religion d’État ou de religion officielle. Elle les reconnaît toutes et n’en privilégie aucune.

La laïcité de notre République, c’est enfin la fraternité, parce que tous les êtres humains, femmes ou hommes, quelles que soient leurs croyances ou leurs opinions, méritent une égale considération et appellent un même respect.

C’est pourquoi l’École de la République est laïque car la laïcité garantit à tous les élèves et à tous les niveaux un enseignement consacré au seul culte du savoir et de la recherche, qui forgent les esprits libres et ouverts au monde. Honorons donc la mémoire de Samuel Paty, héros de la laïcité.»    

Samuel Paty, dans le cadre de cette laïcité a voulu construire l’esprit de discernement de ses élèves en prenant appui sur des caricatures. Or la caricature est justement l’un des points délicats de la prise de distance pour former l’esprit critique.

Il n’a fait que son métier, sur une thématique qui est au programme. Samuel Paty s’est dévoué à la formation de ses jeunes élèves, dans un métier et des conditions très difficiles.

Il n’avait demandé à aucun d’entre eux d’être ce qu’ils n’est pas, dans ses convictions ou dans ses coutumes familiales. 

Il voulait juste leur apporter l’appui de la république laïque pour être des hommes libres car le savoir et la force de l’esprit critique sont les remparts contre toutes les manipulations de l’esprit et de la terreur.

Un instituteur, la force républicaine et laïque 

Avec la célèbre lettre de Camus à monsieur Germain, nous sommes dans la parfaite continuité et cohérence avec celle de maître Badinter. Il s’agit cette fois-ci d’honorer une corps de fonctionnaires sans lequel la laïcité est vidée de son sens.

Beaucoup de textes admirables mettant à l’honneur les enseignants existent parmi lesquels on peut citer le discours de Jaurès à l’adresse des professeurs.

Mais la lettre de Camus est sans aucun doute la plus admirable car son caractère intime et profondément émouvant en fait sans aucun doute le plus grand hommage aux enseignants.

Monsieur Germain était de ceux dont le travail était le plus admirable et le plus important pour fonder la république dans un socle solide, en instruisant et éduquant les futurs citoyens.

Cette lettre, je l’ai déjà précisé, fut rédigée et envoyée le lendemain de la remise du Prix Nobel, c’est dire si elle est sincère, puisqu’elle a été pensée et écrite sans se soucier du vacarme causé par le flot étourdissant d’éloges et de sollicitation de la presse.                                                                                  

Camus a su garder la tête froide en revenant sur l’essentiel, celui par qui tout a été permis au jeune enfant pauvre de Belcourt.                                                                                                                                                             

La plupart des lecteurs connaissent l’histoire, racontée dans une des œuvres majeures et publiée après que l’on ait retrouvé le manuscrit près de son corps lors d’un accident routier mortel.

Dans ce livre, « Le premier homme », Albert Camus raconte sa vie d’orphelin, avec des ressources très maigres de sa mère, femme de ménage et proscrite dans un silence presque psychiatrique.

Dans cette enfance, deux autres personnages dont Camus nous révèle l’importance, sa grand-mère d’origine espagnole, caricaturale, une de ces femmes rudes, illettrées et qui assument la survie des siens par la force du travail et de la sévérité.

Puis monsieur Germain, le fameux instituteur algérois, de Belcourt. Monsieur Germain, vu les grandes qualités du petit Albert, ne pouvait se résigner que celui-ci arrêtât  l’école, n’accédant donc pas aux grandes marches du lycée (dès la sixième à cette époque) pour aller travailler et participer aux revenus de sa famille. Car c’était le « Premier homme » de la famille, depuis la disparition de son père.

Camus raconte que monsieur Germain se déplaça à la maison et entama une rude négociation avec la matriarche qui était loin de l’idée de laisser Albert aller vers des hautes études, coûteuses, et qui priveraient la famille d’un salaire indispensable.

Il finit par convaincre la grand-mère, non sans peine, et tout démarra de là. La reconnaissance du petit Albert fut éternelle pour cet homme qui, non seulement l’avait instruit mais qui, en plus, était venu l’arracher de son destin malheureux, s’est battu pour cela, alors que rien ne l’y obligeait.

La suite, on la connaît, le petit Albert, l’orphelin pauvre de Belcourt, sera l’un des auteurs francophones les plus connus dans le monde, les plus lus et les plus étudiés.

Voici son émouvante lettre :

« Cher Monsieur Germain,

 J’ai laissé s’éteindre un peu le bruit qui m’a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler un peu de tout mon cœur. On vient de me faire un bien trop grand honneur, que je n’ai ni recherché ni sollicité. 

Mais quand j’ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. 

Je ne me fais pas un monde de cette sorte d’honneur mais celui-là est du moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi, et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève.

Je vous embrasse, de toutes mes forces.
Albert Camus »

Un instituteur ou professeur de collège qui nous a marqué en Algérie et à qui nous devons tout, c’est chacun de ma génération qui peut en témoigner.

Sauf que nous n’avons ni le talent d’un Camus pour le raconter ni, pour de nombreux d’entre nous, eu une histoire aussi dramatique dans notre vie, ce qui, dans ce cas, quintuple l’apport de ces hussards de la république, les vrais héros.

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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