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Deux questions que ni le Maroc ni l’Algérie n’osent affronter

La vidéo virale de la députée marocaine Nabila Mounib*, enregistrée il y a quelque temps et remise en circulation ces derniers jours, continue de faire parler d’elle.

En dénonçant une normalisation « imposée » avec Israël, elle ne fait pas que pointer les dérives d’un État en perte de souveraineté. Elle soulève – consciemment ou non – deux questions centrales, que peu osent poser de manière frontale :

Quand un régime est acculé, choisit-il la soumission comme unique échappatoire ?

L’Algérie a-t-elle, elle aussi, commis une faute stratégique en fermant la porte à toute forme de fraternité régionale ?

Ces deux questions nous mènent loin des slogans creux, vers le dur terrain de la stratégie et de la diplomatie, celui que ni Alger ni Rabat ne semblent vouloir affronter sérieusement.

Quand un pays est en difficulté, il prend la main qu’on lui tend – même si elle est empoisonnée

Sans exonérer les responsabilités internes des dirigeants marocains – dont on sait qu’ils n’ont pas toujours fait passer l’intérêt du peuple avant celui des élites –, force est de constater que le Maroc traverse une fragilité économique et politique chronique. Endettement massif, dépendance aux institutions financières, libéralisation aveugle des marchés : les marges de manœuvre sont faibles, voire inexistantes.

Dans ce contexte, toute main tendue devient potentiellement salvatrice, même si elle vient d’un acteur historiquement hostile à la région. Et lorsque le champ des alliances se restreint, la logique de survie prime sur les principes. On appelle cela la raison d’État — une notion que les deux rives du Maghreb semblent avoir perdue de vue.

Or, dans l’imaginaire géopolitique marocain, l’ennemi numéro un reste l’Algérie – et vice versa. Pas l’ennemi par la réalité des faits, mais par la construction idéologique, par les récits entretenus des deux côtés, nourris d’invectives, de fermeture, et de nationalisme étroit.

Résultat ? Lorsqu’on est isolé, on se tourne vers l’ennemi de son ennemi. Et Israël, dans ce jeu trouble, a su s’imposer comme le partenaire « pragmatique » du moment.

L’erreur stratégique algérienne : se fermer, se raidir!

L’Algérie, de son côté, se trouve aujourd’hui dans une situation économiquement stable, bénéficiant d’une balance commerciale excédentaire, d’une manne énergétique renouvelée par les crises mondiales, et d’un retour diplomatique remarqué sur la scène africaine. Mais à quoi sert une force si elle n’est dirigée vers aucun horizon stratégique commun ?

Car ici se pose la vraie faute stratégique : plutôt que de tendre la main à un voisin en crise, au nom d’une fraternité maghrébine minimale, on a préféré le silence, le mur, voire le mépris.

Au lieu d’ouvrir ne serait-ce qu’un « couloir de confiance », l’Algérie a choisi de fermer porte et cœur, confondant fermeté et fermeture. En diplomatie, c’est une erreur lourde.

L’absence de lien humain, affectif ou historique entretenu ne peut être comblée que par les puissances extérieures.

De là découle un engrenage tragique : la division maghrébine nourrit l’ingérence étrangère, et chaque posture de rigidité renforce le besoin, pour l’autre, de chercher soutien ailleurs.

Un Maghreb divisé, un rêve brisé

Ni une Algérie puissante, ni un Maroc « résilient », ne peuvent peser quoi que ce soit tant que ces deux nations se considèrent comme des ennemis stratégiques.
Pas par angélisme. Par réalisme géopolitique.

Un Maghreb fort, c’est un Maghreb coordonné. Un Maghreb qui comprend que la stabilité régionale est une force en soi, et que le silence ou l’arrogance diplomatique est souvent un aveu de faiblesse stratégique.

Ni Rabat ni Alger ne gagneront seuls.
Et tant que la méfiance primera sur la coordination, le Maghreb restera une terre d’opportunités ratées, où les puissances étrangères – économiques, sécuritaires, idéologiques – continueront de s’engouffrer.

Conclusion : ce qu’il manque aux deux capitales, ce n’est pas la puissance. C’est la hauteur. C’est la vision. C’est ce que l’on appelle, dans les grandes traditions politiques, la raison d’État.

Zaim Gharnati

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