Lundi 13 novembre 2017
Devenir maire : engagement, témérité ou inconscience ?
La fête, le spectacle et les agapes continuent à accompagner la campagne électorale pour les élections communales et de wilaya du 23 novembre prochain. Comme on continue à enregistrer les dérives verbales, qui sont loin d’être des « peccadilles » sur les chemins d’une entreprise de persuasion, y compris de la part des hauts responsables de partis impliqués dans les joutes électorales.
Cela a commencé par l’inénarrable Djamel Ould Abbes, secrétaire général du FLN, qui est, en toute apparence, pris par une sorte de delirium tremens, prolongeant une vieille inclination à la flagornerie et aux génuflexions les moins soupçonnables devant les maîtres du moment. Les médias et les réseaux sociaux ont eu tout le loisir de rapporter les facéties de celui qui se prétend comme ancien camarade de classe d’Angela Merkel. À supposer que cela fut vrai- malgré l’énorme différence d’âge- en quoi une telle éventualité ou une telle coïncidence peut constituer un quelconque mérite ou donner lieu à un quelconque titre?
Le secrétaire général du RND, Ahmed Ouyahia, s’est senti, ces derniers jours, dans l’obligation de riposter à des flèches venant du camp ami, celui précisément d’Ould Abbès, allant jusqu’à user d’un langage qui ne lui est pas coutumier, lui le manieur de chiffres et d’estocades bien dressées.
En tout état de cause, le niveau de la communication politique connaît probablement ses heures les plus sombres à l’occasion des harangues qui sont en train d’être débitées chaque jour depuis plus de deux semaines.
Ce degré zéro de la communication, les enjeux entourant les élections locales sont, le moins que l’on puisse dire, assez mal cernables dans un contexte où le pays n’arrive pas encore à bénéficier d’un minimum de visibilité quant aux chances et à la manière de dépasser la crise financière qui l’affecte depuis juillet 2014. Une crise qui, en réalité, n’est qu’une mise à nu d’une grande crise souterraine, latente, en œuvre depuis des années, laquelle a structuré tout l’appareil économique, la morale politique et le niveau culturel du pays.
Hormis la caution du taux de participation à laquelle s’attache maladivement le pouvoir politique, le scrutin du 23 novembre ne charrie que peu d’enjeux sur le plan de la gestion des affaires publiques locales, et pour cause. La limitation manifeste des prérogatives des élus par rapport à la marge de manœuvre dont disposent le wali et le chef de daïra, le déficit budgétaire chronique de plus de 1000 communes, sur les 1541 communes du pays, ainsi que la baisse drastique du niveau culturel des prétendants à la gestion des affaires publiques, tous ces facteurs et bien d’autres encore ont fini par émousser la curiosité, la détermination et l’enthousiasme des administrés-électeurs, eux qui sont majoritairement déjà échaudés par la prestation l’engagement sur le terrain des élus des mandats passés.
Le poids des archaïsmes
La présente fièvre électorale qui s’empare des candidats « récidivistes » pousse ces derniers à faire feu de tout bois, allant jusqu’à réclamer la paternité de projets sectoriels qui ne leur doivent pourtant rien. Ils s’attribuent le mérite d’avoir canalisé des projets de route ou d’électrification, souvent décidés au niveau des ministères.
Ce serait là, sans doute, un moindre mal, le clanisme et le tribalisme ne venaient pas corser la situation et lui conférer les contours d’une guerre des tranchées. Éreintés par de telles pratiques, des citoyens n’ont pas hésité à regretter les anciens délégués exécutifs communaux (DEC), sorte d’administrateurs qui avaient remplacé, en 1992, les maires issus du FIS dissous.
Ce sentiment est pourtant loin d’être mû par la volonté d’enfreindre les voies de la démocratie, dont la plus usuelle et la plus probante demeure le système électoral. Elle exprime a plutôt tendance une profonde insatisfaction, voire une grave frustration, face à la gestion locale. Les citoyens s’en prennent, à tort ou à raison, au président de l’Assemblée communale. Ce dernier, comme « la plus belle fille du monde », ne peut, pourtant, donner que ce qu’il a.
Il se trouve que depuis au moins 2015, les maires voient les plans communaux de développement (PCD) se réduire en peau de chagrin, après plus d’une décennie d’embellie financière passée, par les édiles municipaux, à refaire les trottoirs, acquérir des véhicules de tourisme et assister, impuissants, à inondations des villages et villes.
D’autres se sont livrés à des transactions douteuses, allant jusqu’à traîner des centaines d’élus en prison. En outre, le tribalisme qui nourrit les choix électoraux des populations fait que les élus ne sont pas nécessairement les plus compétents ou les plus instruits, mais, plutôt, les plus influents, disposant d’un certain « charisme », dût-il être induit par la position sociale ou une richesse matérielle dont l’origine n’est pas tout à fait établie. En d’autres termes, l’acte de vote lui-même demeure prisonnier de schémas archaïques qui font prévaloir le rang et l’argent sur les compétences managériales ou techniques. Il n’est malheureusement pas rare de rencontrer, en ce début du 21e siècle, des maires à la limite de l’analphabétisme.
Il se trouve aussi que, dans une grande partie des cas, les partis politiques moulent leur action et leur stratégie dans ces archaïsmes sociaux, au point de ne pouvoir proposer comme candidats aux élections locales qu’une catégorie de personnels assoiffés de promotion sociale via la gestion des affaires locales. Afin de corriger quelque peu les distorsions issues des choix électoraux, le gouvernement a essayé d’encadrer les élus par des formations rapides dans le domaine de la gestion administrative et comptable et dans le domaine de la passation des marchés publics.
Représentation problématique et défaut de management
Lorsque les présidents d’APC ont été convoqués pour plusieurs séances de formation à partir de 2007, les concernés et les citoyens qui tiennent à la réhabilitation du poste et de la fonction du responsable de la première cellule de base de la République, ont applaudi à une initiative qui avait réellement tardé à prendre forme. Mieux valait, sans doute, tard que jamais, avaient estimé les citoyens qui étaient en attente de l’amélioration des services publics et du cadre de vie. Le management dont il était question avait porté sur différents domaines liés à la législation, la comptabilité, la gestion de l’environnement et des autres services publics.
Les élus municipaux- le maire et les membres de l’exécutif communal- sont censés greffer à l’habit d’une représentation politique, caractérisée jusqu’ici par une effrayante vacuité, un contenu palpable, susceptible de se traduire dans la vie économique et sociale des citoyens. On a admis presque par fatalité une certaine division du travail au sein des assemblées communales, où la routine se joint à la médiocrité pour aboutir à une perversion qui participe au statu quo général du pays. Ainsi, le pivot de la mairie se trouve être le secrétaire général sans que son poste et les missions techniques qui lui sont dévolues soient correctement valorisés.
Les mairies souffrent du déficit en ressources humaines affectant leurs services techniques (urbanisme, hygiène espaces verts, agriculture, travaux publics,…). Le président de l’APC, de son côté, cumule les attributs de la représentation politique, les fonctions de premier magistrat de sa commune et de président de l’exécutif communal, ainsi que la symbolique de représentation sociale (famille, aârch, village,…). Trop étendues ou pas assez claires, les attributions du maire sont, en tout cas, tronquées de cette exigence que l’on cherche chez tous les candidats à des postes de gestion. Assurément, ici, plus qu’ailleurs, les valeurs morales et les compétences managériales du titulaire du poste engagent l’avenir de la communauté et du territoire qu’il administre.
De là, se posent aussi avec grande acuité les critères qui peuvent servir de base du choix du maire par les électeurs. Dans une société où les appartenances tribales et le poids du statut social du candidat ont une terrible avance sur les critères de compétence et de rectitude morale, la gestion moderne de la municipalité ne peut que ressentir, dans ses différentes articulations, ce retard culturel et sociologique. À ces écueils et obstacles de toutes sortes, nourris par des réalités sociales pas toujours au niveau escompté, s’ajoutent les effets d’une hypercentralisation historique de l’Etat, qui réduit la marge de manœuvre des élus à la portion congrue.
Les présupposés d’une mutation positive
La gestion du pays et de ses différents territoires étant très longtemps focalisée sur la seule machine administrative de l’État, personne n’y trouve réellement son compte, si on excepte les fils réticulés de la corruption et les gisements de clientélisme, lesquels exploitent à leur avantage la concentration des pouvoirs et de l’opacité de gestion qui lui est intimement liée. Signe des temps, cinq ans après sa révision, on compte encore réviser une nouvelle fois le code de la commune.
Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia en a fait l’annonce il y a deux semaines de cela. Mieux ou pire, le gouvernement, depuis le début de la crise financière, est hanté par l’idée d’assigner aux communes des missions de développement, d’animation du mouvement d’investissement et de création de richesses. Le moins que l’on puisse dire est que, sur tous les plans – économie, finances, mode de recouvrement fiscal, législation, aménagement du territoire,…etc.-, le contexte se prête difficilement, et c’est un euphémisme, à de telles ambitions. L’on sait pertinemment que presque rien n’a changé, de façon substantielle, dans le sens de l’amélioration, pour que de telles missions aient la garantie optimale d’être prises en charge de façon efficace et correcte. Imparablement, au-delà de la simple révision du code communal, la crise multidimensionnelle que vit le pays requiert des changements plus profonds, où la décentralisation est supposée ne pas être un vain mot et où le système même de la représentation politique est censé bénéficier d’une mutation qui le mettrait au diapason des aspirations de la société et des défis de la modernité politique.
A. N. M.